Prabowo Subianto, ministre de la Défense sortant, ici avec son colistier Gibran Rakabuming Raka, l’emporterait au premier tour de la présidentielle de 14 février 2024 si les tendances se confirment officiellement.
Dès la fermeture des bureaux de vote, deux instituts de sondage indépendants, sur la base d’un décompte rapide couvrant les deux tiers des votes, donnaient entre 58 % et 60 % de voix à Prabowo. Pour l’instant, le score de 58 % se maintient. Les résultats finaux ne seront toutefois publiés que cinq semaines après le vote. En attendant, la bourse de Jakarta a réagi par un index qui a gagné 1,3 %. « Les marchés », comme on dit, aiment la certitude, ce qu’apporte l’élection de Prabowo dès le premier tour.
Cet impressionnant résultat doit beaucoup au soutien de Jokowi, dont le fils Gibran Rakabuming Raka [1] était candidat à la vice-présidence aux côtés de Prabowo. Malgré le reproche fait au président sortant d’avoir non seulement soutenu son ministre mais aussi utilisé des moyens gouvernementaux pour ce soutien, Joko Widodo est en effet encore très populaire. En outre, la candidature de Gibran (prononcer : « Guibranne ») a été possible grâce à une décision de la Cour constitutionnelle autorisant un individu de moins de 40 ans (Gibran en a 36) à être candidat s’il a déjà occupé un poste d’élu. Le précédent président de la Cour, Anwar Usman, est un beau-frère de Jokowi et est soupçonné d’avoir facilité cette décision.
Autre facteur du succès de Prabowo : la jeunesse de l’électorat indonésien. Plus de la moitié a moins de 40 ans, et n’est pas toujours au fait de ses antécédents. Les jeunes perçoivent positivement la présence de Gibran, ce qui a contribué à la popularité de son duo avec Prabowo.
Pour Jonathan Head, correspondant de la BBC pour l’Asie du Sud-Est, cette élection démontre que la démocratie en Indonésie est en bonne santé. La campagne électorale s’est déroulée dans la courtoisie, loin de la confrontation sectaire qui avait marqué la précédente en 2019, quand Prabowo, l’adversaire de Jokowi, avait mobilisé des organisations islamistes violentes pour protester contre le résultat, provoquant des émeutes qui avaient duré une semaine et fait plus de dix morts. Mais la personnalité de Prabowo continue d’inquiéter. Beaucoup d’Indonésiens se demandent ce que va devenir la démocratie dans leur pays.
Jonathan Head rappelle que Prabowo est accusé de violation des droits de l’homme durant les 24 ans d’occupation de Timor Leste par l’Indonésie. Dans les derniers mois du régime de Soeharto, qui avait pris le pouvoir en 1966 et avait fini par démissionner en 1998 après une semaine d’émeutes à Jakarta, le Kopassus (forces spéciales de l’armée de terre), que Prabowo commandait à l’époque, avait enlevé 23 militants des droits de l’homme. L’un d’eux est mort et 13 n’ont jamais été retrouvés. Prabowo est en outre soupçonné d’être l’instigateur des émeutes. L’armée l’avait destitué mais il a toujours nié son implication.
En 2000, les États-Unis avaient déclaré Prabowo interdit d’entrée sur leur territoire. Mais sa nomination par son adversaire Jokowi, réélu en 2019, comme ministre de la Défense, a créé une situation nouvelle. L’administration Trump a levé cette interdiction en 2020. En 2023, à l’issue d’une visite de Prabowo à Washington, le département américain de la Défense avait produit une déclaration annonçant que Prabowo et le chef du Pentagone « condamnaient « l’agression de la Russie contre l’Ukraine ». Prabowo a démenti, rappelant que l’Indonésie maintenait sa politique de non-alignement et de « bons rapports avec la Chine et la Russie ».
Si l’élection de Prabowo est confirmée, son investiture n’aura lieu qu’en octobre prochain. Pour l’heure, il a d’ores et déjà déclaré qu’il poursuivrait la politique de Jokowi. Il a par ailleurs quelques idées qui lui sont propres. En particulier, son programme phare est un déjeuner gratuit dans les écoles qui profiterait aux agriculteurs et aux pêcheurs et ajouterait 1,5 % à 2 % de croissance annuelle.
Il faut aussi rappeler qu’en même temps que s’est tenue l’élection présidentielle, les 205 millions d’électeurs indonésiens votaient également pour leurs représentants à l’Assemblée nationale, le DPR (Dewan Perwakilan Rakyat), à la chambre haute du pouvoir législatif, le DPD (Dewan Perwakilan Daerah) et aux parlements des 38 provinces et des 416 kabupaten (départements) et des 98 kota (grandes villes).
Dix-huit partis étaient en lice pour ces élections législatives. Pour l’heure, le PDI-P (Partai Demokrasi Indonesia Perjuangan, « parti démocratique indonésien de lutte ») de l’ex-présidente Megawati, dont le candidat présidentiel était Ganjar, est en tête pour le DPR national, alors que le Gerindra (Partai Gerakan Indonesia Raya, « Parti du mouvement de la grande Indonésie ») de Prabowo est en 3e position. Le deuxième parti est le Golkar (Partai Golongan Karya), héritier du soehartisme (il a dominé le DPR de 1971 à 1999), qui soutient Prabowo.
Pour mener à bien sa politique, Jokowi a su s’assurer le soutien de 80 % des membres du DPR. Reste à savoir si son successeur compte adopter la même approche.
Anda Djoehana Wiradikarta