Sozialistische Zeitung - Uwe, tu es notamment très impliqué dans la lutte contre le démantèlement du S-Bahn berlinois. Où en sont les projets de privatisation dans la capitale ?
Uwe Krug - Dès 2016, une réorganisation a détaché les infrastructures du S-Bahn de l’entreprise. Actuellement, un appel d’offres est en cours. Il est probable qu’un consortium composé de la Deutsche Bahn (DB), du constructeur de matériel ferroviaire Stadler et de Siemens remporte le marché. La maintenance sera alors dissociée dans une entreprise séparée et le S-Bahn deviendra à terme un simple prestataire de services de personnel.
Tant le syndicat des chemins de fer et des transports (EVG, membre de la confédération DGB ndt) que le GDL ont laissé cette privatisation se faire. Le comité directeur de mon syndicat n’a pas vu d’intérêt à mettre la privatisation au cœur des mobilisations revendicatives ou à s’y opposer dans le cadre de la politique des transports qu’elle défend. Une majorité au sein du syndicat et du comité directeur est favorable à la séparation du réseau et de l’exploitation, y compris à l’externalisation du réseau ferroviaire sur tout le territoire vers la nouvelle société Infrago AG.
Nous, en tant que section locale, disons que toute forme de privatisation nuit aux travailleurs, aux clients et à la collectivité, laquelle paie au bout du compte. Le transport ferroviaire doit être organisé par l’État ou placé sous le contrôle des salariés et des usagers.
Depuis l’été 2023, le GDL a mis en place son propre organisme de placement de personnel, la coopérative FairTrain.
Cette coopérative a été mise en place par le comité directeur sur sa propre initiative et sans débat. La raison : comme la DB veut se retirer en grande partie du transport de marchandises, environ deux mille postes seront supprimés chez DB Cargo. L’idée derrière Fair Train était probablement de recaser les licencié.e.s. Mais je pense qu’il est peu probable que la DB conclue avec eux des contrats de mise à disposition de personnel. Au lieu de cela, les collègues seront probablement placés en location auprès des chemins de fer privés. Le GDL veut « participer » à la libéralisation du transport de marchandises par le biais de la coopérative - entre guillemets, car il peut tout au plus peser sur les réglementations relatives à la sécurité sociale et aux salaires de base.
Tu déplores qu’aucun des syndicats de cheminots ne s’oppose à la privatisation. Cette orientation est-elle donc incontestée ?
J’aimerais bien que l’on se dispute davantage au sein du GDL. Il n’y a pas de culture du débat. Les critiques sont souvent considérées comme un crime de lèse-majesté envers le roi Claus Ier. Même si Claus Weselsky accepte tout à fait la discussion dans le cadre de conversations privées, mais tant que cela reste confiné aux organes internes. Les débats politiques ne sont pas bien vus. Par exemple, à Berlin, nous avons décidé que les conducteurs de train et les cheminots devaient avoir le droit de refuser le transport de matériel militaire et d’armes de guerre. Nous voulions inclure cette revendication dans les négociations collectives, mais elle a été mise sous le boisseau. De même, les négociations collectives sont menées de manière très centralisée, la base n’est pratiquement pas impliquée.
Avec son attitude combative, le GDL inspire la sympathie à beaucoup de gens.
Il est combatif parce qu’il doit lutter pour assurer sa survie. La privatisation des chemins de fer en 1994 l’a obligé, en tant que syndicat de fonctionnaires, à combattre pour préserver son existence. Les salaires ont ensuite chuté, conformément à ce qui était voulu. Le mécontentement de la base et la menace de tomber dans l’insignifiance ont conduit le GDL à se montrer plus offensif.
Il n’en reste pas moins qu’il est foncièrement axé sur la concertation. Il se bat pour être reconnu comme partenaire social. Il est vrai que dans les interventions publiques, on fustige lla mauvaise gestion et les salaires exorbitants du directoire de la DB. Mais le futur président du syndicat, Mario Reiß, a par exemple voté au conseil de surveillance en faveur d’une augmentation des bonus du directoire. En tout cas, il y a beaucoup de signes qui le laissent penser, même si cela n’est pas reconnu officiellement.
Il faut que le contrôle du syndicat s’exerce sur les conducteurs de train et les contrôleurs. Il serait tout simplement trop dangereux qu’ils se mettent en grève d’eux-mêmes. Aujourd’hui, le GDL et l’EVG se font concurrence pour tenir ce rôle. Mais le capital ne leur fait pratiquement aucune concession. C’est pourquoi ils doivent constamment faire grève et se faire entendre.
Les conventions collectives n’ont en fait pas apporté de grandes améliorations, si nous les examinons en détail, par exemple la convention sur la semaine de 35 heures chez la concurrente de la DB, Netinera : la réduction du temps de travail n’a été obtenue que par un échange contre douze jours de congé. Malgré tout, cela est vendu en interne comme un succès.
La loi qui impose un seul négociateur syndical par convention collective (Tarifeinheitsgesetz) a été introduite en 2015, précisément pour contrer le GDL. Quel est l’impact de cette loi sur les capacités d’action du syndicat ?
La loi a porté un coup dur au syndicat sur le plan de la politique tarifaire. Plus de 300 entreprises appartiennent à la DB, le GDL n’a pu conserver son droit de négociation que dans 18 d’entre elles. Dans le cadre des négociations tarifaires en cours, un droit de résiliation spécial doit être adopté : si une convention collective ne peut pas être appliquée aux adhérent.e.s parce que leur syndicat n’a pas la majorité dans l’entreprise, toutes les conventions collectives conclues devraient être considérées comme résiliées. Il n’y aurait alors plus d’obligation à maintenir la « paix sociale », le recours à la grève deviendrait envisageable. La loi sur l’unité de négociation pourrait ainsi être contournée. A y regarder de plus près, il s’agit en fait d’une revendication politique, alors que cela est par ailleurs très mal vu.
Quel rôle jouent les catégories professionnelles autres que les conducteurs de train ?
De fait, dans l’esprit de la direction du syndicat, le GDL doit rester un syndicat de conducteurs de train. Mais les agents, les personnels des ateliers et les contrôleurs de train sont évidemment tout de même intéressants. C’est justement chez les agents et opérateurs qu’il y a des remous en ce moment. L’EVG a réussi à protéger quelque peu leur rémunération, mais pour le reste, les conditions de travail, comme la rotation des équipes et les temps de repos, sont lamentables. Le taux de syndicalisation est globalement faible, mais il y en a une partie qui a adhéré au GDL.
Si nous obtenions un accord, nous serions en outre représentés dans la nouvelle entité Infrago, laquelle appartient par ailleurs à la sphère d’influence de l’EVG. Je doute qu’il soit possible d’obtenir un accord pour les agents et opérateurs du réseau dès cette année.