1. La classe ouvrière sous la monarchie
2. La Révolution de 1978-1979
3. Les lendemains de l’insurrection de 1979
- conseils ouvriers et contrôle de la production
- pouvoir économique et faiblesse politique du prolétariat
4. Une répression féroce (1981-1988)
5. La persistance de la résistance ouvrière (années 1980)
- luttes autour de l’instauration d’un Code du travail
- commémorations du 1er Mai
6. La constitution ou la reconstitution d’organisations indépendantes de salariés (années 2000)
6.1 Conseil de coordinations des associations professionnelles d’enseignants
6.2 Syndicats indépendants
- Régie de bus de Téhéran et sa banlieue (Vahed)
- Sucrerie de Haft Tappeh
6.3 Autres organisations indépendantes
7. Les luttes contre les privatisations
8. Intensification des luttes dans l’ensemble des secteurs
9. Mouvement ouvrier et soulèvement Femme, Vie, Liberté
1. La classe ouvrière sous la monarchie
Le mouvement ouvrier en Iran remonte au début du 20e siècle.
– Lors de la révolution constitutionnelle (1905-1911), certaines libertés sont obtenues et les premiers syndicats se forment.
– Dans une seconde période (1921-1925), un « Conseil central de la fédération syndicale » est créé. Il appelle en 1922 à la première manifestation du premier mai. Ce mouvement doit beaucoup à la révolution russe d’octobre dont l’influence est grande en Iran.
En 1925, l’arrivée au pouvoir de Reza Chah, fondateur de la dynastie Pahlavi, met fin à ce développement. Les syndicats et partis sont dissous.
– Une troisième période voit le jour en 1941 avec le remplacement du premier Chah Pahlevi par son fils à l’instigation des puissances occidentales. Ce dernier a peu de pouvoir et le mouvement ouvrier se reconstitue.
Cette période se termine en 1953 avec le coup d’Etat du second Pahlevi contre le gouvernement Mossadegh, sous l’égide des Etats-Unis.
Bref, à chaque fois où une lueur de démocratie et de libertés - aussi mince soit-elle - apparait, le mouvement ouvrier fait de grands pas en avant.
A la suite de ce coup d’Etat, la grève est dans les faits interdite, les partis politique et les syndicats sont dissous.
Les syndicats indépendants ont été remplacés par des « syndicats » officiels placés sous le contrôle du ministère du travail. Ces pseudo-syndicats sont étroitement surveillés par la police politique (Savak). En 1967, ils sont regroupés au sein de « La Maison des travailleurs », placée sous la tutelle du ministère du travail et inféodée au monarque.
A partir du début des années 1970 les grèves se développent de façon significative dans tous les secteurs. Les revendications sont d’abord économiques, liées aux salaires et aux conditions de travail. Les ouvriers s’organisent clandestinement par petits groupes. La répression en cas de grève est brutale. Entre 1971 et 1975, au moins 145 ouvriers grévistes tombent sous les balles. Des licenciements collectifs interviennent aussi en cas de blocage.
2. La Révolution de 1978-1979
En 1977 et au début 1978, le mouvement ouvrier ne participe pas encore aux protestations politiques. Ce n’est qu’au deuxième semestre 1978 que les grèves pour des revendications économiques convergent avec les protestations politiques. Les mots d’ordre concernent notamment la question du pouvoir, la démocratie dans l’entreprise, la libération des prisonniers politiques, la dissolution de la Savak et la fin de la loi martiale. La satisfaction de certaines revendications ne met pas fin au mouvement, elle engendre au contraire d’autres revendications. La grève est perlée, et il y a entre 1,5 et 4 millions de grévistes sur 7 millions de travailleurs urbains. Aucune revendications n’est liée, directement ou indirectement, à la religion.
3. Les lendemains de l’insurrection de 1979
L’insurrection de février et la fin du régime monarchique ne sont pas suivis par un « retour à la normale », car les travailleurs décident de continuer la révolution.
Face à cela, les Khomenistes créent des Comités destinés à faire cesser les grèves et exercer une pression sur les travailleurs, surtout ceux du pétrole, dans le but de relancer la production. Khomeini affirme que continuer les grèves relève de la trahison. mais rien n’y fait. Les grévistes veulent notamment l’augmentation des salaires, la justice salariale, la réintégration des salariés mis à la porte, l’arrêt des licenciements, le départ des directeurs, des cadres et des agents de la Savak, la reconnaissance des conseils ouvriers, la création de syndicats indépendants, le contrôle de la production, un Code du travail juste, la semaine de 40 heures, deux jours de congé hebdomadaires, l’égalité de droits entre les hommes et les femmes.
Les grèves et les manifestations se poursuivent, et les autorités remplacent les délégués des travailleurs par des islamistes. Les forces de l’ordre islamistes tirent sur les chômeurs, les dockers grévistes affrontent les pasdaran1, les grèves sont brisées par la violence.
- Conseils ouvriers et contrôle de la production
Dans certaines entreprises, le contrôle de la production devient un nouvel enjeu de luttes. Comités et Conseils ouvriers voient le jour partout. Les Conseils ouvriers de 1979 sont le prolongement des Comités de grève de 1978 qui avaient été constitués pour lutter contre les patrons et l’Etat. En 1979, les Conseils sont formés pour gérer la vie quotidienne des entreprises. Il en existe dans tous les secteurs, mais les plus puissants se trouvent dans les secteurs stratégiques comme celui du pétrole.
Les salariés en lutte veulent avoir un droit de regard sur les comptes et participer à la gestion de la production. Ils revendiquent la démocratisation de la vie de l’entreprise, ainsi que le contrôle sur les patrons en ce qui concerne l’embauche et le renvoi des salariés (dans une usine textile, le Conseil double le salaire minimum en diminuant pour cela les salaires de cadres supérieurs).
La réponse du gouvernement provisoire face à cette situation est d’abord la nationalisation des entreprises privées où les Conseils sont à l’œuvre. Le gouvernement place aussi ses cadres à la tête de ces entreprises. Il promulgue ensuite une loi pour interdire aux Conseils ouvriers d’intervenir dans la gestion, puis il islamise les Conseils existants ou crée des Conseils islamiques. Les Conseils islamiques sont institutionnalisés en 1980.
- Pouvoir économique et faiblesse politique du prolétariat
La classe ouvrière surgit massivement sur le devant de la scène pendant la révolution et, malgré ses segmentations, forme une classe sociale consciente de sa force. Elle apporte à la révolution son pouvoir de blocage économique, sans lequel le renversement du régime monarchique n’aurait pas été possible.
Mais politiquement, la classe ouvrière reste marginale dans cette révolution. Elle fait des grèves massives et importantes et se dresse contre le capital et son Etat, mais elle ne se transforme pas en force politique structurée et indépendante. Elle se range plutôt derrière la bourgeoisie et la petite-bourgeoisie. Elle se concentre sur le pouvoir dans l’entreprise. Tout se passe comme si existait une répartition des tâches :
– à la classe ouvrière ce qui relève de la grève, de la gestion de l’entreprise et les aspects économiques qui y sont liée,
– à la petite et la grande bourgeoisie, ce qui est relatif aux manifestations, à l’expression politique et au pouvoir politique.
Les Conseils répondent avant tout au besoin de se réunir et de s’organiser. Ils cherchent ensuite à contrôler la gestion de l’entreprise. Dans certaines entreprises gérées par un Conseil se pose alors le problème des fournisseurs, des débouchés, et de la politique de l’Etat. En final, nombre de Conseils acceptent la nationalisation de leur entreprise proposée par le gouvernement.
4. Une répression féroce
Dans un premier temps, les stratagèmes du nouveau pouvoir et son gouvernement provisoire ne parviennent pas à venir à bout des grèves, des Conseils et d’autres formes d’organisation du mouvement ouvrier.
Mais à la faveur du déclenchement de la guerre Iran-Iraq (1980-1988), le nouveau pouvoir parvient à liquider les Conseils et réprimer le mouvement ouvrier.
A partir de 1981, il recourt à des liquidations physiques. Les militants ouvriers, et en particulier son aile marchante, subissent arrestations, emprisonnements et exécutions. De nombreux militants partent en exil pour échapper à la répression.
5. La persistance de la résistance ouvrière
Malgré la liquidation d’une grande partie de l’avant-garde ouvrière, le dynamisme protestataire et revendicatif des travailleurs existe toujours. Le régime doit faire face dans les années 1980 à deux types de luttes :
– Des luttes pour les revendications immédiates, se déroulant à l’intérieur des entreprises ;
– Des luttes d’ensemble de la classe ouvrière et de membres de son aile radicale ayant échappé à la grande liquidation des années 80. La lutte autour du Code du travail, et la commémoration du 1er mai portent le mouvement ouvrier sur le devant de la scène sociale et même politique.
Les luttes pour les revendications immédiate, liées aux conditions du travail et à la question salariale, restent toujours actives.
Mais passent au premier plan :
– dans les années 2000, la mise en place d’organisations indépendantes du pouvoir et du patronat,
– vers la fin des années 2010, les luttes contre les privatisations des grandes entreprises.
– en 2021-2022, une augmentation sans précédente de luttes des travailleurs et des retraités.
Les luttes autour de l’instauration d’un Code du travail
La révolution avait abolie de fait la législation sociale de 1957. Simultanément, un certain nombre de revendications avaient été arrachées dans certaines grandes entreprises : le droit de s’organiser et de faire grève, les 40 heures de travail hebdomadaire, deux jours de congé par semaine, etc.
– Du côté du monde du travail monte, à partir de janvier-février 1979, l’exigence d’une loi du travail révolutionnaire élaborée avec la participation et la supervision des représentants des salariés. Un certain nombre des points revendiqués avaient été obtenus dans certaines entreprises grâce à la révolution (par exemple les 40 heures de travail et les deux jours de congé par semaine). Mais l’obtention de ces mesures avait été essentiellement limitée aux grandes entreprises de façon isolée, et non pas à l’échelle nationale pour l’ensemble des salariés.
– De son côté le pouvoir, en pleine guerre avec l’Irak, cherche à reconfigurer le système de relations sociales. Il veut dans ce but promulguer un Code du travail légalisant les injustices existantes.
Entre 1982 à 1986, les travailleurs, sans organisations syndicales et sans être unis autour d’un projet de législation du travail alternatif, contraignent le régime à retirer trois projets de texte successifs.
Le quatrième projet n’est voté par le Parlement qu’en 1990. Mais son adoption entraîne le régime islamique dans l’une de ses crises politiques majeures. En effet, le Conseil des gardiens de la constitution2ne veut pas du texte adopté, car il estime que celui-ci n’est pas basé sur une transposition des principes islamiques.
C’est dans ce contexte que le Guide Suprême Khomeini crée l’une des institutions fondamentales du régime : le « Conseil de discernement ». Sa tâche consiste à décider si, au nom de l’intérêt du régime islamique, il est nécessaire de négliger certains préceptes islamiques.
Par ailleurs le régime qui avait dissous tous les Conseils de travailleurs depuis l’été 1981 et même les Conseils islamiques dont il n’avait plus besoin, commence à ressusciter ces derniers afin de les utiliser pour freiner et détourner les protestations.
Grâce aux luttes, des améliorations ont été apportées à la loi (entre autres la suppression du mot islamique dans son titre). Mais pour la fraction la plus consciente de la classe ouvrière, cela ne suffit pas à changer la nature anti-ouvrière de ce texte. Surtout, parce que n’y sont pas reconnus aux travailleurs le droit à former des organisations indépendantes, ainsi que celui de faire grève.
Suivant les secteurs d’activité, la mise en œuvre de la nouvelle législation du travail a des effets différents sur les conditions de travail et de vie des travailleurs. Ce Code du travail présente des améliorations pour les travailleurs de certains secteurs, en particulier dans des petites entreprises. Mais il n’ajoute rien de tangible aux autres salariés. Il est même en recul par rapport aux droits dont disposaient à l’époque de nombreux travailleurs des secteurs industriels les plus avancés.
La fraction la plus consciente du mouvement ouvrier, tout en protestant contre le Code du travail, exige néanmoins la mise en œuvre immédiate des articles de ce texte ayant un caractère protecteur pour les travailleurs privés jusque-là de tout droit.
La lutte concernant la législation du travail a un impact considérable sur les débats et les revendications ouvrières. Elle devient une bataille de toute la classe ouvrière contre l’ensemble des patrons et de l’Etat, au delà des revendications spécifiques et locales. Cette lutte renforce la conscience que les travailleurs sont une classe, et que ce n’est qu’ensemble qu’ils peuvent imposer leurs revendications aux patrons et au pouvoir.
Le Code du travail a subi par la suite plusieurs modifications, par exemple :
– sous la présidence de Rafsandjani (1989-1997) avec la généralisation des contrats temporaires, puis en 1993 l’exonération des zones franches du champ d’application du Code du travail, ainsi que des entreprises ayant moins de 5 salariés.
– sous la présidence de Khatami (1997-2005), cette exclusion aux travailleurs des entreprises de moins de 10 salariés.
Les commémorations du 1er Mai
Dans les trois premières années ayant suivi la révolution, la classe ouvrière d’Iran célèbre le 1er mai, en particulier dans les grandes villes, et ce malgré le harcèlement des nervis islamistes.
Mais avec le début de la répression sanglante à l’été 1981 et l’anéantissement des Conseils de travailleurs, la commémoration indépendante du 1er mai se déroule ensuite au sein de petits cercles, ou par des rassemblements restreints. En tout cas, les célébrations indépendantes du 1er mai ne cessent de s’accroître, tant en termes de nombre de célébrations que de nombre de participants. Et ce, en même temps que le boycott des cérémonies officielles s’intensifie. C’est ainsi que le mouvement ouvrier lutte pour imposer au régime islamique la reconnaissance du 1er mai, pour que cette journée soit fériée, et aussi pour que le droit d’organiser des commémorations indépendantes s’impose.
6. La constitution ou la reconstitution d’organisations indépendantes de salariés
Dans les années 2000, la mise en place d’organisations indépendantes prend une importance de premier plan. Parfois en utilisant des formes d’organisation reconnues par le Code du travail. Parfois en reconstituant des structures syndicales.
6.1 Conseil de coordinations des associations professionnelles d’enseignants
Cette association professionnelle est formée en mettant à profit une brèche s’ouvrant au sommet de l’Etat. En 1998 les premières associations sont fondées sous la présidence de Khatami. En 2000, cinq associations sont ainsi créées (il en existe aujourd’hui environ 30). La coordination de ces organisations débouche sur la formation du Conseil de coordination des associations professionnelles dans l’Education nationale au début de l’année 2001.
Petit à petit des revendications strictement professionnelles prennent une dimension politique. Le Conseil de coordination (CC) exige une éducation gratuite, de qualité et accessible à tous/toutes les élèves ; il rejette la marchandisation de l’éducation, la privatisation, la ségrégation de classe et de genre. De plus, le Conseil de coordination prend également position sur les crises et certaines questions sociales. Il proteste contre l’augmentation du prix de l’essence et la répression sanglante des manifestations de novembre 2019, il soutient le droit des filles afghanes à l’éducation. Lors du soulèvement de 2022-2023, il appelle à la grève de l’Education nationale, et à manifester suite aux attaques chimique dans des établissement scolaires de filles. Il est solidaire des revendications et des luttes des autres travailleurs ainsi que des étudiants.
À partir de la seconde moitié des années 2010, les actions des enseignants et des syndicats se sont développées avec plus d’intensité et de façon plus radicale. En organisant des sit-in dans les écoles, des rassemblements devant les institutions et des manifestations de rue, le CC est devenu un pionnier du mouvement social, un des plus actif et plus dynamique du pays. En 2021, les manifestations d’enseignants secouent 80 villes du pays durant 3 jours consécutifs.
Bien que la structure du Conseil de coordination (CC) soit composée d’un ensemble d’associations autorisées par le Code du travail, et agréés par le ministère de l’Intérieur, l’attitude de tous les gouvernements de la République Islamique à l’égard de cette organisation n’a été que la répression.
De longues peines de prison ont été infligées à ces militants depuis le début, mais surtout ces dernières années suite à la multiplication de mobilisations et protestations de terrain.
Le CC est membre de l’Internationale de l’Education depuis 2011.
6.2 Syndicats indépendants
Seulement trois types d’organisations sont reconnues par le Code du travai : Conseils islamiques, associations professionnelles, assemblées de représentants.
Les syndicats formés par les travailleurs ne font pas partie de cette liste, et n’ont donc pas de statut légal. Malgré cela, des organisations syndicales indépendantes se créent ou sont reconstituées au cours des années 2000. Plusieurs d’entre elles sont présentées ci-dessous :
– Syndicat des travailleurs de bus de Téhéran et sa banlieue (Vahed)
Un premier syndicat Vahed avait été créé en 1957. Pendant la révolution de 1978-1979, il participe à la révolution et est ensuite démantelé par les autorités comme les autres syndicats et Conseils. Un Conseil islamique est alors constitué à sa place.
Vers le début de 2004, certains chauffeurs de Vahed commencent à reconstituer le syndicat. Immédiatement, des pressions et des menaces sont exercées contre eux par la direction de Vahed et les agents de la « Maison des Travailleurs ». Le 9 mai 2005, des nervis de la « Maison des travailleurs » et du Conseil islamique de l’entreprise agressent violemment le syndicat naissant afin de le détruire. Lors de cette attaque, plusieurs militants sont blessés et de nombreux documents se trouvant dans leur local ont été détruits ou volés. Néanmoins en juin 2005, les travailleurs de Vahed proclament la refondation du syndicat sans l’autorisation du ministère. Suite à une manifestation et une grève, plusieurs militants de sa direction sont arrêtés puis licenciés. Depuis, les militants connus de Vahed séjournent régulièrement en prison. En 2022, trois d’entre eux sont condamnés chacun à 6 ans de prison (dont 5 fermes). Ils purgent leurs peines en ce moment.
Le syndicat Vahed est membre de la Fédération Internationale des Tansports (ITF - International Transport Federation).
– Sucrerie de Haft Tappeh
Un premier syndicat des travailleurs des sucreries de canne de Haft Tappeh est créé en 1974. Selon certaines sources, il continue à fonctionner jusqu’aux premières années de la révolution. Comme les autres organisations du même type, il est ensuite démantelé.
Suite à l’expansion des protestations ouvrières dans cette usine entre 2005 et 2006, la principale revendication des salariés y devient la reconstitution du syndicat. Ce projet est soutenu par le syndicat de Vahed.
En 2008, les salariés sont confrontée à de nombreux problèmes comme le non-paiement des salaires.
En mai 2008, une assemblé générale a lieu, et le syndicat du Sucre de canne de Haft-Tappeh est déclaré reconstitué.
Un peu plus tard les membres du Conseil de direction du syndicat sont condamnés de un à trois ans d’emprisonnement pour propagande contre le régime, et à l’interdiction de participer à toutes les activités et élections syndicales. Depuis lors, l’activité syndicale se déroule de manière informelle, sous forme d’actions de protestation.
Dès sa création, ce syndicat est soutenu par l’UITA (Union Internationale des Travailleurs de l’Alimentation, de l’Agriculture, de l’Hôtellerie-restauration, du Tabac et des Branches Connexes )
- 6.3 Autres organisations indépendantes
Citons par exemple
– le « Syndicat libre des travailleurs d’Iran », créé en 2006 par un noyau fondateur dénommé « l’Union des travailleurs licenciés et chômeurs », où peuvent se rassembler toutes les catégories de travailleurs, avec ou sans emploi, de tous les secteurs d’activité.
– Deux comités d’aide à la création de syndicats indépendants (« Comité de coordination pour aider à la constitution des organisations de travailleurs » et « Comité de suivi pour la création des organisations de travailleurs ») .
Il faut noter que ces dernières années, les activités d’un nombre croissant de regroupements de travailleurs se déroulent via les réseaux sociaux, comme les Unions de retraités, le « Conseil de coordination des contractuels du secteur pétrolier », et bien d’autres.
7. Les luttes contre les privatisations (fin des années 2010)
Les grèves dans les industries sidérurgiques d’Ahvaz et à la sucrerie de Haft Tapeh entre 2018 et 2021 sont considérées comme un moment important dans l’évolution du mouvement ouvrier d’Iran.
Des revendications économiques, dont le paiement des arriérés de salaires, sont le point de départ des mouvements de protestation dans ces deux entreprises. Les revendications salariales, surtout le paiement des arriérés de salaires, ont toujours été le cheval de bataille des travailleurs en Iran.
Mais dans ces années-là, des revendications d’une grande partie des salariés des grandes entreprises privatisées sont également avancées comme la socialisation ou la nationalisation sous contrôle ouvrier, ainsi que l’arrêt de tous les projets de privatisation :
– En 2018, une grève de 38 jours avec manifestations et rassemblements se déroule dans l’usine sidérurgique d’Ahvaz (privatisée depuis 2013).
– A la sucrerie de Haft-Tapeh (privatisée en 2015), après les grèves de 2018 une grève de 90 jours a lieu en 2020, dont les principales revendications concernent la question salariale, la libération et l’intégrations des travailleurs incarcérés, et surtout la socialisation ou la nationalisation sous contrôle ouvrier. Finalement, La renationalisation de l’entreprise a lieu en 2021.
Lors de ces mobilisations s’est exprimée l’aspiration à un fonctionnement en assemblées générales régulières et en Conseils ouvriers.
8. Intensification des luttes dans l’ensemble des secteurs
La période 2021-2022 a connu de grandes mobilisations sociales de travailleurs et de retraités, dans l’entreprise et dans la rue, avec des grèves, des manifestations, des rassemblements, des marches, des sit-in. Ont eu lieu dans tout le pays 4 122 actions de toute forme. Ce chiffre représente une augmentation de 115% par rapport à l’année d’avant. Cette recrudescence de luttes concernait une grande partie des secteurs d’activité ; l’industrie (Gaz, Pétrochimie, raffinerie, automobile, centrale électrique) ; les services ; les soins ; l’enseignement ; et sans oublier la grande mobilisation des retraités.
Puis au printemps 2022 plusieurs vagues de répression ont déferlé sur les syndicalistes.
9. Mouvement ouvrier et soulèvement Femme, Vie, Liberté
Le soulèvement de 2022 est un mouvement interclassiste. A part la bourgeoisie qui n’a aucun intérêt à participer à ce genre de lutte, les autres classe sociales y participent dont la petite-bourgeoisie (classe moyenne) et la classe ouvrière dans sa définition la plus large. Des travailleurs sont nombreux dans les rangs de ce soulèvement. Mais ils y participent à titre individuel. Ils ne sont pas là collectivement en tant que classe sociale.
Dans les débuts du soulèvement, une grève exigeant notamment la fin du régime islamique, a lieu dans les usines pétrochimiques et les raffineries de Pars Sud. Elle est menée par des travailleurs précaires contractuels qui organisent le blocage des artères routières. Entre cent cinquante et deux cents cinquante grévistes sont ensuite arrêtés. Depuis, sur les lieux de travail où existe une probabilité de protestations, la présence sécuritaire et militaire a été considérablement renforcée. En plus de ces mesures répressives.
Parallèlement au soulèvement, des grèves se multiplient dans des grandes et petites usines, mais exclusivement pour les salaires ou les conditions de travail. Les grèves économiques sont bien sûr importantes lors d’un mouvement politique. Mais la jonction n’a pas lieu entre d’une part ces grèves et protestations ouvrière, et d’autre part le mouvement Femme, Vie, Liberté.
Par ailleurs, le mouvement Femme, Vie, Liberté n’aurait pas pu se produire sans les mouvements politiques et sociaux qui l’ont précédé :
– Lors des mouvements de masse de l’hiver 2017-2018 et de l’automne 2019, la question sociale occupait une place centrale, avec le mot d’ordre « Pain, Travail, Liberté ».
– De grandes mobilisations sociales de travailleurs et de retraités ont marqué les années 2021-2022. A titre d’exemple, les manifestations simultanées des enseignants grévistes dans plus de 80 villes ont eu un grand impact socio-politique.
C’est aussi grâce à ces mouvements, et à tous les mouvements protestataires qui ont occupé la rue pendant plusieurs mois, que le terrain a été préparé pour que le soulèvement Femme, Vie, Liberté voit le jour.