Malgré le temps maussade, environ un millier de manifestants se sont rassemblés le 10 mars avant midi sur la place Waterlooplein à Amsterdam, qui a connu l’une des histoires les plus difficiles de l’Holocauste en Europe, et ont crié « Un cessez-le-feu immédiat », « Libérez la Palestine de la mer au Jourdan », « Israël, qu’as-tu fait, combien d’enfants as-tu tué » et « Plus jamais ça, c’est maintenant ». Mais l’appel qui a été le plus répété lors de la manifestation était : « Herzog, Herzog, tu ne pourras pas te cacher, tu soutiens le génocide ».
Cette interjection faisait référence aux déclarations irresponsables et criminelles du président du pays Yitzhak Herzog lors d’une conférence de presse le 13 octobre : « Une nation entière est responsable », a-t-il déclaré, « il n’est pas vrai que les citoyens n’étaient pas au courant et n’étaient pas impliqués », ils auraient dû s’opposer à leur régime maléfique. Par conséquent, a-t-il dit, nous devrions combattre les Palestiniens jusqu’à ce que « nous leur brisions la colonne vertébrale ». La manifestation organisée conjointement par le groupe « Erev-rav », une organisation juive antisioniste néerlandaise, la communauté palestinienne des Pays-Bas, le Mouvement socialiste international et bien d’autres, a porté un message clair à Herzog, venu à Amsterdam pour participer à la cérémonie d’ouverture du nouveau musée de l’Holocauste : vous incitez au génocide, donc votre place est en prison, et non à la cérémonie d’ouverture du musée.
L’appel à l’arrestation de Herzog dès son arrivée aux Pays-Bas n’était pas une plaisanterie. Une requête a été déposée auprès de la Cour internationale de Justice de La Haye, exigeant son arrestation pour implication dans des crimes de guerre. Le bruit, la colère et la frustration qu’il ait été choisi pour représenter les victimes de l’Holocauste lors de la cérémonie ont trouvé un écho jusqu’au roi des Pays-Bas et à son gouvernement. Environ 200 mosquées aux Pays-Bas se sont adressées au roi dans une lettre ouverte et lui ont demandé de refuser de participer à la cérémonie et de serrer la main d’Herzog, qui incite au génocide. Le roi a refusé la demande, même si l’Union des mosquées a souligné qu’il était important de se souvenir des leçons de l’Holocauste et d’honorer la mémoire de ses victimes, et que ses critiques visaient le choix d’Herzog pour représenter les victimes de l’Holocauste et le discours juif autour de l’Holocauste à la lumière de la guerre à Gaza.
Si les propos du président ont été perçus par certains Israéliens comme légitimes, aux yeux des militants néerlandais, ils ont été perçus comme fascistes. Non seulement parce qu’ils incitent au meurtre d’innocents à Gaza, mais parce que pour eux, Herzog représente une contradiction fondamentale que de nombreux Israéliens ne reconnaissent pas : il n’y a pas de place pour un récit judéo-israélien qui recherche justice et reconnaissance pour les victimes de l’Holocauste, mais qui normalise en même temps l’assassinat de Palestiniens innocents à Gaza.
En ce sens, les manifestants ont établi des liens politiques, éthiques et humains que le discours israélien dominant refuse de reconnaître, affirmant que cette contradiction essentielle ne peut pas perdurer, surtout pas sur le sol européen. Si en Israël et au Moyen-Orient des manifestants contre la guerre ont peur de comparer les massacres de Gaza à l’Holocauste, les manifestants d’Amsterdam le font sans sourciller. Le meurtre de plus de 30 000 Palestiniens à Gaza a levé toutes les barrières morales et psychologiques qui existaient pour la jeune génération européenne, qui a compris la contradiction entre la reconnaissance des victimes de l’Holocauste et la normalisation du meurtre d’innocents à Gaza.
Je n’ai aucun intérêt à comparer la Nakba ou l’effacement massif des civils palestiniens de Gaza à l’Holocauste. Parce qu’à mes yeux, le discours palestinien qui exige de mettre fin à l’occupation et de réparer ses injustices est juste et légitime même sans cette comparaison. J’ai intérêt à dénoncer l’hypocrisie et les doubles standards des Israéliens et des Néerlandais.
Non seulement le discours israélien dominant ignore les contextes éthiques, mais le roi des Pays-Bas et son gouvernement les ont également ignorés. Fermer les yeux sur les crimes de guerre n’est pas nouveau pour la famille royale et le gouvernement néerlandais – qui ont collaboré avec les nazis – il n’y a donc rien d’étonnant à leur double standard et à leur hypocrisie.
Ceux qui pensent que l’invitation d’Herzog à la cérémonie d’ouverture du musée est une gifle politique réservée aux Palestiniens se trompent. C’est également une gifle pour les Israéliens – à la fois pour ceux qui ne soutiennent pas sa déclaration et pour ceux qui soutiennent la normalisation qu’il a faite du meurtre d’innocents, et en représentant le récit de l’Holocauste et de ses victimes. Je tiens à rappeler à Herzog que le cri des manifestants, dont des Israéliens, « Plus jamais ça », vaut pour tout le monde. Il n’y a pas de place pour une graduation du sang dans une réalité où les Juifs exigent de corriger les injustices historiques et de rappeler au monde que son désintérêt a créé une situation pendant la Seconde guerre mondiale dans laquelle le sang juif était bon marché. Il n’y a pas de sang bon marché, car il n’y a pas de vie bon marché. Même celle des Palestiniens.
Rajaa Natour