Nous avons tenté dès le congrès précédent de revenir au fonctionnement normal d’un parti, de chercher à obtenir un fonctionnement démocratique et collectif, mais les composantes dont nous nous sommes séparé·es voulaient imposer de perpétuer un fonctionnement de fractions concurrentes, voire d’organisations concurrentes, au sein du parti. Bien plus que les importants désaccords qui s’exprimaient au sein du NPA, c’est leur refus de changer qui est la cause essentielle de la séparation.
Le NPA a été fondé en 2009 à partir d’une campagne de la LCR pour un parti large, dirigé par des révolutionnaires, reposant sur les revendications transitoires mises en avant lors de la campagne présidentielle de 2007, et s’appuyant sur le succès de cette dernière et la popularité d’Olivier Besancenot. Ce parti, large en termes de diversité militante, avait cependant dès le départ une stratégie claire indiquée dans ses principes fondateurs concernant le clivage entre réforme et révolution et le rapport à l’État.
Crédit Photo. Cortège du NPA. Manifestation contre la loi Darmanin. Paris, 21 janvier 2024. © Photothèque Rouge / Martin Noda / Hans Lucas
Cependant, la conjoncture politique favorable à l’époque s’est retournée très rapidement. Le Parti de Gauche, puis surtout La France insoumise ont occupé en grande partie de l’espace politique laissé libre par la crise de la social-démocratie et du Parti communiste. Une première scission a eu lieu en 2012, près de la moitié de l’organisation construisant la Gauche anticapitaliste pour rejoindre le Front de gauche, formant en 2013 Ensemble ! par une fusion de la GA et d’autres groupes, dont les Alternatifs – Ensemble ! s’est divisé en 2022 avec la création de la Gauche écosocialiste, membre de La France insoumise. Dans le même temps, se sont développés dans le NPA des courants qui n’en partageaient pas le projet fondateur et n’y participaient que pour construire leur propre courant/fraction, prétendant « clarifier le projet stratégique » du NPA, dénoncer son « rapport aux réformistes ». Cette politique, dans une organisation révolutionnaire, n’a pu que se transformer en la construction de sectes dont les orientations politiques sont constituées pour justifier une existence organisationnelle séparée.
Concrètement, la minorité de l’Internationale, la Tendance pour une internationale révolutionnaire (Anticapitalisme et révolution, A&R, en France) s’est alliée d’abord avec les post-morénistes de Révolution permanente (branche française du PTS argentin), qui a fini par quitter le NPA en 2021 puis avec la fraction l’Étincelle, issue de Lutte ouvrière, et le courant Démocratie révolutionnaire dans la « plate forme C » pour tenter de gagner la majorité du NPA au congrès de 2022… au détriment des principes et orientations historiques de notre courant.
Des désaccords croissants
Les désaccords ont été croissants sur des questions fondamentales. Ainsi, l’analyse de la PF-C sur l’extrême droite reprend une série de positions erronées combattues par notre courant depuis les années trente : on ne devrait pas s’allier avec les partis de gauche, des « partis éclopés et discrédités par leurs politiques passées », l’extrême droite serait un parti bourgeois comme les autres. Leur analyse nie la spécificité du fascisme, avec les conséquences que nous en tirons en termes de défense de la démocratie bourgeoise et du front unique.
Concernant les oppressions, les désaccords sont très importants aussi. Ainsi, les camarades nous ont expliqué que « notre objectif n’est pas de construire un mouvement et des luttes “autonomes”, séparés des luttes de notre classe » ou de « construire des cadres organisationnels ad hoc, coupés du mouvement ouvrier » (Bulletin intérieur du NPA n°2, novembre 2022, p. 25) et que notre orientation a pour objectif que « notre classe prenne la tête des mobilisations » contre les oppressions. Tournant le dos au fait que, si nous ne séparons pas lutte des classes et mouvements autonomes, notre courant a toujours valorisé ces derniers en comprenant les contradictions qui existent à l’intérieur de la lutte des classes et pour dynamiser les combats du prolétariat. Ainsi, les camarades d’A&R rompent explicitement avec les positions programmatiques de la Quatrième Internationale qu’iels défendaient il y a quelques années. Ces désaccords ont mené ces courants à s’opposer, y compris au sein de l’organisation, à une série de mesures pour combattre les violences sexistes et sexuelles, et à se solidariser d’agresseurs, y compris un militant qui avait battu sa femme pendant 25 ans, pour, selon eux, s’opposer aux instrumentalisations du combat féministe.
Concernant la question nationale, A&R et ses alliés ont mené une politique contradictoire avec les orientations historiques des bolchéviks et de la IVe Internationale. Ainsi, elle n’a affirmé que défiance vis-à-vis des directions en Grèce en 2010, en Catalogne en 2019, et actuellement en Ukraine et en Palestine, au lieu de défendre inconditionnellement les peuples opprimés, sans taire nos critiques sur leurs directions mais en les mettant au second plan. Concrètement, on peut lire dans leur presse de nombreuses critiques envers l’OLP et le Hamas [1] et Zelensky [2] mais rien sur le soutien à la résistance en Palestine et en Ukraine.
À cela s’ajoutent de grandes difficultés à penser de nouveaux phénomènes comme la crise climatique autrement que comme des façons de dénoncer le capitalisme, ou à considérer les classes sociales en dehors de l’image de l’ouvrier d’usine.
Des désaccords insolubles sur le front unique
Les désaccords sur le front unique sont persistants et profonds. En effet, les camarades ne se limitent pas à refuser par principe des accords durables, ou dans les élections, avec les réformistes. Il nous semble que de tels accords sont nécessaires, en raison du rapport de forces dégradé et de la faiblesse des courants révolutionnaires, et notre politique pour les élections législatives et les européennes en France va dans ce sens. Elle ne consistait absolument pas à renoncer à notre programme, mais à tenter de nous lier aux dynamiques militantes et à contribuer à reconstruire la conscience de classe. Cette discussion est tactique et la position erronée de la PF-C pourrait être expliquée par une autre erreur, qui est leur illusion selon laquelle la crise du système produirait des radicalisations et des prises de consciences telles qu’il faudrait à tout prix se différencier des réformistes pour pouvoir les orienter.
Mais le désaccord est beaucoup plus profond et limite les possibilités d’actions pratiques communes. En effet, dans les mobilisations sociales, ils cherchent systématiquement à découper au sein des mouvements. Ainsi, alors que divers cadres unitaires existent sur la Palestine, ils construisent un cartel plus radical. Dans le mouvement des Gilets jaunes, ils ont souhaité construire un « pôle ouvrier », déniant le caractère essentiellement prolétarien de cette mobilisation. Dans les luttes sur les retraites et des cheminots, ils ont construit des pseudo réunions interprofessionnelles découpées des assemblées générales locales, afin de ne regrouper que les secteurs radicaux. C’est selon nous une politique substitutiste et antidémocratique. Cette politique prend sa source dans une conception sectaire résumée ainsi par les camarades : « où est cette prétendue “gauche de combat” sinon… à l’extrême-gauche ? » (BI du NPA, sept 2022, p. 24). Il n’y aurait donc non seulement pas de possibilité de front unique, mais pas de réelle possibilité d’unité dans les luttes non plus… à part avec l’extrême gauche.
Ces orientations erronées sont liées à un désaccord profond, à leur incompréhension du fait que la conscience est spontanément réformiste et que c’est dans l’action qu’elle évolue. Ce désaccord a pour conséquence une surévaluation du degré de séparation nécessaire pour les révolutionnaires vis-à-vis des réformistes : pour convaincre, l’essentiel serait de diffuser nos idées, et les masses seraient illuminées par nos discours. Alors qu’en réalité, nous avons un besoin vital de nous lier à la conscience réelle des masses et à utiliser tous les leviers nécessaires pour mettre en mouvement le prolétariat. Le front unique, de la base aux sommets, est une méthode fondamentale pour nous, tant pour les luttes immédiates, la résistance face à l’extrême droite et aux politiques bourgeoises, que pour notre projet révolutionnaire et écosocialiste. Les camarades n’ont eu de cesse de combattre les politiques de front unique que nous avons proposées, et sont aujourd’hui identifié·es comme des sectaires, n’intervenant dans les luttes que pour s’y construire, alors que notre courant a mis des décennies à être considéré comme étant capable de combiner la défense de ses orientations propres avec une grande ouverture et une grande utilité pour toutes les luttes...
Difficile de résister à partager une illustration de tout cette conception : « Dans le passé, d’ex-trotskystes aujourd’hui oubliés ont décroché des strapontins de ministres, après avoir dissout des sections de la IVe Internationale dans de prétendus “partis larges” qui ont surtout servi de tremplin à de bien piètres ambitions. » (BI du NPA, avril 2021, p. 5)
Des désaccords impossibles à gérer dans une organisation commune
Chacun de ces désaccords pourrait être discutable et gérable dans une même organisation. Mais leur addition et leur systématisation ont abouti à la construction par les groupes organisés en fraction publique permanente (A&R, l’Étincelle, Démocratie révolutionnaire… ou la Tendance pour une internationale révolutionnaire), de fait, d’organisations séparées du NPA, avec d’autres objectifs à court comme à moyen terme et des pratiques organisationnelles propres aux petits groupes identitaires organisés. Les désaccords entre nous ont été caricaturées dans une fuite en avant qui mène à se différencier à tout prix de ce qu’elles considèrent être notre opportunisme, notre « ambiguïté vis-à-vis des réformistes » ou notre supposé refus de construire un parti révolutionnaire.
Pourtant, leur prétendue orthodoxie est une rupture avec le ciment de nos organisations, de l’expérience des débuts de la IIIe Internationale et de l’histoire de la IVe Internationale. Leur justification est classique des remises en cause des acquis des marxistes révolutionnaires : la situation aurait changé, les partis de gauche n’auraient plus rien à voir avec des organisations ouvrières des années trente. Alors que, malheureusement et en réalité, la dégradation des rapports de force et de la conscience de classe rend encore plus importantes encore les orientations classiques de notre courant.
Ce renoncement à nos positions les conduit donc à considérer que la majorité du NPA, comme celle de la IVe Internationale, sont des courants opportunistes, au mieux centristes. Il en a découlé une sorte d’entrisme, de combat frontal et permanent contre la majorité du parti nationalement et localement, une action visant à profiter du petit rayonnement du NPA pour regrouper des sympathisant·es de façon séparée, les former sur leur orientation dans une activité séparée du reste du parti. Dans une bataille politique fractionnelle où tous les coups seraient permis. Ainsi, A&R s’est alliée avec Révolution permanente puis l’Étincelle pour combattre et écarter les jeunes se retrouvant sur nos positions dans le secteur jeune du NPA. Puis pour combattre la campagne Poutou, réclamant un autre candidat – Poutou étant accusé de vouloir faire une campagne liée aux réformistes – puis refusant d’aller chercher les parrainages nécessaires à la présentation du candidat pendant plusieurs mois… pour ensuite faire semblant d’avoir été les plus grands artisans de cette campagne et la prendre pour modèle contre notre politique unitaire pour les élections législatives ! Toute discussion est impossible dans ces conditions.
Le dernier congrès a été structuré par trois plates formes : la B regroupait nos camarades, la C rassemblait les fractions A&R, l’Étincelle et Démocratie révolutionnaire, et la A des camarades proches de nous sur de nombreuses questions mais opposé·es à la séparation. Dans la préparation du congrès, la PF-C a recruté des sympathisant·es ne connaissant pas les débats, sur des cotisations symboliques, pour renforcer leurs positions dans le congrès. Dans la continuité, pendant plus de dix ans, d’un fonctionnement séparé, public, avec des directions parallèles, des cotisations parallèles, des publications parallèles (tracts, journaux, sites internet, réseaux sociaux…), etc.
C’est pour cette raison que nous avons posé un ultimatum : soit les camarades acceptaient d’arrêter de fonctionner en fractions publiques permanentes, pour revenir à un fonctionnement normal, soit nous allions procéder à une séparation de l’organisation. Cette discussion a eu lieu pendant plusieurs mois, et nous l’avons finalement mise à exécution devant le refus des camarades.
Et maintenant
Il faut se représenter concrètement en quoi consiste une organisation si divisée pendant tant d’années, avec des instances bloquées, qui sont le lieu d’insultes répétées, de rapports militants violents, d’une incapacité à élaborer collectivement. Nous avons de notre côté porté l’essentiel de la charge nécessaire pour faire vivre une organisation commune le plus longtemps possible. Nous avons assuré la présence et l’existence publique du NPA (presse, site, expression politique) cherchant à maintenir dans le parti des dizaines de camarades ne supportant plus une telle paralysie et un tel climat mais c’était devenu impossible. Et la séparation n’a en réalité été que prendre acte de la situation dans laquelle nous étions, celle d’organisations séparées qui utilisaient le même nom sans avoir la moindre solidarité.
Peu après le congrès, la majorité des camarades de la PF-A, la troisième tendance présente dans les débats préparatoires au dernier congrès, partageant nos propositions pour un fonctionnement démocratique du parti, nous a rejoints dans ce projet de continuer à construire ensemble le NPA. Mais la PF-C explique que nous aurions quitté le congrès, que nous aurions donc quitté le NPA. Nous avons séparé le congrès dans deux salles différentes, pour éviter l’impasse et une éventuelle confrontation physique. Et nous représentons de toute évidence la continuité politique du NPA et la majorité des délégué·es (PF-B + PF-A) présent·es au congrès).
Aujourd’hui, nous discutons pour tenter d’organiser concrètement la séparation. Nous considérons que notre groupe représente la continuité politique et organisationnelle du NPA, puisque la plupart des membres dirigeants de la PF-C n’ont même pas voté les principes fondateurs de l’organisation, et n’ont pratiquement rien fait pour la faire vivre. Nous souhaitons que l’accord de séparation reflète cet état de fait.
Pour clore ce texte, il faut aussi parler des possibilités de réunifier les différents groupes se reconnaissant dans la IV en France. La situation en France, marquée par la pression politique croissante de l’extrême droite et l’éclatement de la NUPES, remet à l’ordre du jour la nécessité du regroupement militant des anticapitalistes et des révolutionnaires. Nous sommes partie prenante et à l’initiative de cadres allant dans ce sens tout en construisant des fronts unitaires. Nous sommes tout à fait ouverts à en discuter avec les autres cadres regroupant des membres de la IV en France… si les pratiques convergent, si les discussions ne se résument pas – comme c’est le cas avec la PF-C – à faire un pseudo tri entre opportunistes et révolutionnaires. Ce qui semble aujourd’hui plus facile avec la Gauche écosocialiste ou avec Ensemble qu’avec la PF-C, toujours prête à dénoncer les membres de notre NPA comme ceux qui voudraient « convaincre leurs amis de gauche de leur céder quelques strapontins » [3].
Penelope Duggan, Antoine Larrache, Christine Poupin, Christian Varquat