Deux enfants palestiniens souffrant de malnutrition, qui ont été amenés dans un centre de santé à Rafah, dans le sud de la bande de Gaza, photographiés le 4 mars 2024. © 2024 Mohammed Salem/Reuters
Les gouvernements préoccupés devraient imposer des sanctions ciblées et suspendre les transferts d’armes à Israël, pour faire pression sur le gouvernement israélien afin qu’il garantisse l’accès à l’aide humanitaire et aux services de base à Gaza ; ceci serait conforme aux obligations d’Israël en vertu du droit international, et de la récente ordonnance de la Cour internationale de Justice suite à la plainte pour génocide déposée par l’Afrique du Sud.
« L’utilisation par le gouvernement israélien de la famine comme arme de guerre se révèle meurtrière pour les enfants de Gaza », a déclaré Omar Shakir, directeur de la division Israël et Palestine à Human Rights Watch. « Israël doit mettre fin à ce crime de guerre, faire cesser ces souffrances et permettre à l’aide humanitaire d’atteindre sans entrave l’ensemble de la bande de Gaza. »
Un partenariat coordonné par les Nations Unies, et regroupant 15 organisations internationales et agences de l’ONU enquêtant sur la crise de la faim à Gaza, a averti le 18 mars que « toutes les preuves indiquent une accélération majeure des décès et de la malnutrition ». Les organisations avaient alors ajouté que dans le nord de la bande de Gaza, où selon les estimations, 70 pour cent des habitants sont déjà confrontés à une « faim catastrophique », la famine pourrait survenir à tout moment entre la mi-mars et le mois de mai.
Selon le ministère de la Santé de Gaza, au 1er avril, 32 personnes dont 28 enfants étaient mortes de malnutrition et de déshydratation dans des hôpitaux du nord de la bande de Gaza. Le 2 avril, l’organisation Save the Children a confirmé la mort de 27 enfants en raison de la famine et de maladies. Début mars, des responsables de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) avaient déjà évoqué « des enfants mourant de faim » dans les hôpitaux Kamal Adwan et al-Awda, dans le nord de la bande de Gaza. Dans le sud de la bande de Gaza, où l’aide est plus accessible mais demeure encore largement insuffisante, les agences des Nations Unies ont signalé vers la mi-février que 5 pour cent des enfants de moins de 2 ans souffraient de malnutrition aiguë.
En mars, Human Rights Watch a mené des entretiens avec deux médecins – un médecin du nord de la bande de Gaza et un docteur qui travaillait à titre bénévole avant de quitter Gaza – ainsi qu’avec les parents de deux nourrissons qui, selon les médecins, sont morts de complications liées à la famine et subies par les mères et leur enfants ; Human Rights Watch a également mené des entretiens avec les parents de quatre autres enfants souffrant de malnutrition et déshydratation.
Human Rights Watch a examiné le certificat de décès de l’un des enfants, ainsi que les photos de deux des enfants dans un état critique qui montraient des signes d’émaciation. Tous avaient été soignés à l’hôpital Kamal Adwan de Beit Lahia, dans le nord de la bande de Gaza.
Des experts en santé consultés par Human Rights Watch ont également examiné et vérifié des photos et vidéos en ligne, montrant trois autres enfants manifestement émaciés qui sont décédés, et quatre autres dans un état critique qui montraient également des signes d’émaciation.
Le 4 avril, le Dr Hussam Abu Safiya, qui dirige l’unité de pédiatrie de l’hôpital Kamal Adwan, a déclaré à Human Rights Watch que 26 enfants étaient morts des suites de complications liées à la famine, dans son hôpital. Il a précisé que 16 d’entre eux avaient moins de cinq mois, et les 10 autres avaient entre 1 et 8 ans. Il a ajouté qu’un homme de 73 ans souffrant de malnutrition était également décédé.
Le Dr Safiya a indiqué que l’un des nourrissons est décédé à l’âge de deux jours seulement, après être né gravement déshydraté. Cette situation était exacerbée par la mauvaise santé de sa mère : « [Elle] n’avait pas de lait à lui donner ».
N., une fillette de 11 ans, soignée pour malnutrition et déshydratation sévère à l’hôpital Kamal Adwan de Beit Lahia, dans le bande de Gaza, le 25 mars 2024. © 2024 Mousa Salem/Anadolu via Getty Images
Nour al-Huda, une fillette de 11 ans atteinte de mucoviscidose, a été admise à l’hôpital Kamal Adwan le 15 mars. Les médecins ont dit à sa mère que Nour souffrait de malnutrition, de déshydratation et d’une infection aux poumons, et lui ont administré de l’oxygène et une solution saline. « Nour al-Huda pèse désormais 18 kilos [environ 40 livres] », a déclaré sa mère à Human Rights Watch. « Je peux voir les os jaillir de sa poitrine. »
Le droit international humanitaire interdit d’affamer les civils comme méthode de guerre. Selon le Statut de Rome de la Cour pénale internationale, « affamer délibérément des civils … en les privant de biens indispensables à leur survie, y compris en empêchant intentionnellement l’envoi de [fournitures de] secours », constitue un crime de guerre.
Depuis les attaques menées par le Hamas en Israël le 7 octobre 2023, le gouvernement israélien a délibérément bloqué l’acheminement de l’aide, de la nourriture et du carburant à Gaza, tout en entravant l’aide humanitaire et en privant les civils des moyens de survivre. Les responsables israéliens ayant ordonné ces actions ou qui les exécutent sont responsables d’une peine collective infligée à la population civile, et de l’utilisation de la famine de civils comme méthode de guerre ; ces deux actes constituent des crimes de guerre.
Les actions du gouvernement israélien limitant la capacité de l’Office de secours et de travaux des Nations Unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient (UNRWA) à remplir son rôle de distribution de l’aide à Gaza ont exacerbé les effets des restrictions.
F., un jeune garcon de 6 ans souffrant de malnutrition, recevait des soins après avoir été évacué du nord de la bande de Gaza vers l’hôpital de campagne IMC à Rafah, Gaza, le 24 mars 2024. © 2024 Ali Jadallah/Anadolu via Getty Images
Un médecin qui a travaillé à titre bénévole à l’Hôpital européen de Khan Younis, dans le sud de la bande de Gaza, pendant deux semaines fin janvier, a déclaré que le personnel médical était contraint de soigner les patients avec des fournitures médicales limitées. Il a décrit la difficulté de traiter la malnutrition et la déshydratation, en raison du manque d’éléments essentiels tels que le glucose, les électrolytes et les sondes d’alimentation. Il a ajouté que la mère d’un patient, désespérée en l’absence d’autres solutions, avait eu recours à des pommes de terre écrasées pour créer un liquide improvisé pour l’alimentation par sonde de son enfant. Malgré l’insuffisance nutritionnelle de ce liquide, le médecin a déclaré : « J’ai fini par dire à mes autres patients de trouver des pommes de terre et de faire de même. »
Le 26 janvier, la Cour internationale de Justice, dans une affaire intentée par l’Afrique du Sud, a ordonné des mesures conservatoires, notamment en enjoignant Israël de « prendre sans délai des mesures effectives pour permettre la fourniture des services de base et de l’aide humanitaire requis de toute urgence » et d’autres mesures pour se conformer avec la Convention sur le génocide de 1948. Le 28 mars, la Cour a indiqué qu’Israël n’avait pas respecté cette ordonnance et a imposé une mesure provisoire plus détaillée obligeant le gouvernement à garantir la fourniture sans entrave des services de base et de l’aide en pleine coopération avec l’ONU, tout en soulignant le problème d’« une famine qui s’installe ».
Les autres gouvernements devraient imposer des sanctions ciblées, y compris des interdictions de voyager et des gels d’avoirs, aux responsables israéliens qui continuent de commettre les crimes de guerre que sont la punition collective de civils, l’obstruction délibérée de l’aide humanitaire et l’utilisation de la famine des civils comme arme de guerre.
Plusieurs pays ont réagi aux restrictions illégales imposées par le gouvernement israélien en larguant de l’aide par voie aérienne. Les États-Unis se sont également engagés à construire un port maritime temporaire à Gaza. Cependant, les groupes humanitaires et les responsables de l’ONU ont déclaré que de tels efforts étaient insuffisants pour prévenir une famine. Une autre tentative d’acheminement de l’aide par voie maritime a été interrompue après une attaque israélienne contre des travailleurs humanitaires le 1er avril.
Le 4 avril, le gouvernement israélien a accepté de prendre plusieurs mesures visant à augmenter le montant de l’aide humanitaire entrant à Gaza, apparemment suite aux pressions du gouvernement américain.
« Les gouvernements indignés par le fait que le gouvernement israélien affame les civils à Gaza ne devraient pas chercher des solutions de fortune à cette crise humanitaire », a déclaré Omar Shakir. « L’annonce par Israël de mesures pour augmenter l’aide montre que la pression extérieure fonctionne. Les alliés d’Israël comme les États-Unis, le Royaume-Uni, la France et l’Allemagne devraient faire pression pour que l’aide soit fournie intégralement à Gaza, en suspendant immédiatement leurs transferts d’armes à Israël. »
Human Rights Watch
Communiqué complet en anglais, avec des informations plus détaillées sur la famine croissante à Gaza : en ligne ici.
(Disponible sur ESSF aussi).
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