A ce jour, cela fait déjà une année depuis le début de la guerre qui sévit au Soudan, et de surcroit qui n’est pas la première guerre menée contre le peuple soudanais. Elle a été précédée par plusieurs autres dont : la guerre civile dans le sud, qui a commencé en 1955, c’est-à-dire avant même l’indépendance du Soudan. Cette guerre qui avait perdu de son ampleur s’est ensuite enflammée à nouveau dans les Monts Nouba et le Nil Bleu en 1983, puis s’est propagée dans les régions des Monts Nouba, du Nil Bleu et du Darfour au tournant du millénaire.
Le dénominateur commun de toutes ces guerres est qu’elles sont liées à des accords de paix fragiles négociés et envisagés avec le même état d’esprit et les mêmes outils qui portaient déjà les germes de cette dernière guerre. Par exemple, ce sont des accords entre militaires et civils qui renforcent le pouvoir militaire et reproduisent la crise existante. Et c’est la fragilité de cette situation qui explique l’échec de tous les accords de paix négociés jusqu’à nos jours. En revanche, les forces civiles luttent et des révolutions éclatent pour changer la réalité, mais le partenariat entre militaires et civils, soutenu au plan international, reproduit la même structure coloniale exploitée par les forces politiques, capitalistes locales, régionales et mondiales pour ne servir leurs intérêts aux dépens des nobles aspirations du peuple.
La guerre, qui a éclaté 15 avril 2023, s’est manifestée de manière plus violente et la plus généralisée que les précédentes, provoquant ainsi la plus grande crise humanitaire au monde, impliquant des dizaines de milliers de morts et le déplacement de plus de 8 millions de citoyens chassées de leurs maisons et de leurs villages par la force. Le viol a été utilisé comme arme de guerre de manière systématique. C’est ainsi que plus de la moitié de la population du pays est menacée de famine. Des dizaines d’enfants meurent chaque jour dans un silence honteux.
Après une année de guerre injustifiée, lancée à partir du centre administratif vital et densément peuplé du pays, lieu qui abritait les victimes des guerres précédentes, la situation humanitaire est des plus déplorables que le monde ait connu. Mais le plus grave est l’extension de cette guerre dans des territoires tels que Kordofan, Al Jazeera, Darfour et Sennar, avec une militarisation croissante dans d’autres zones et une situation d’alignement tribal, ethnique et géographique.
Historiquement, l’anomie qui s’est installé au cœur de l’État contribue ainsi à la mobilisation de manière plus soutenue de milices et de mouvements armés. Ces entités à leur tour participent à saper les institutions de l’État et à compromettre l’espace civil démocratique au profit des généraux de l’armée, des milices, avec le soutien opportuniste d’une élite politique corrompue. Les partenariats entre l’élite politique et l’institution militaire ont approfondi les déséquilibres de la nation soudanaise au lieu d’en assurer la stabilisation visant à assurer une sécurité civile et démocratique.
En réalité, la principale raison du déclenchement de cette guerre était de priver la rue révolutionnaire de sa voix et de la remplacer par des voix opposées à ses intérêts, venant de ceux en uniforme militaire et en col blanc, qui se sont progressivement détachés des revendications de la rue et de la révolution, laquelle répétait quotidiennement ses revendications de liberté, de paix et de justice, et exigeait le retour des militaires dans leur casernes, signifiant ainsi leur retrait de la vie économique, politique et demandaient une dissolution totale des milices terroristes de Janjawids. Les révolutionnaires affirmaient que le peuple était le seul légitime détenteur du pouvoir et de la richesse, ce qui était au cœur de leurs revendications.
Dans ces conditions, la Conférence sur la crise au Soudan a été annoncée à Paris, le 15 avril 2024. Et malgré l’optimisme de nombreux individus, force est de constater qu’elle s’entoure d’un voile opaque et voire d’un manque de transparence, sans implication des femmes et des hommes soudanais dans toutes leurs diversités à toutes les étapes, de la détermination des questions qui seront débattues lors de la conférence, dont entre autres : la résolution des questions humanitaires, en passant par les participants et les représentants. Cela exprime l’exclusion des composantes populaires qui ont déclenché l’une des révolutions qui ont stupéfié le monde par leur pacifisme et la pertinence de leurs revendications.
Nous, Soudanais et Soudanaises, individus et forces civiles, luttons pour la démocratie et travaillons dur pour mettre fin à la guerre en empêchant toute polarisation ethnique ou géographique. Nous plaçons la souveraineté et la richesse du peuple comme objectif à atteindre. À travers nos organisations populaires et la coordination de nos actions communes, nous nous opposons à la militarisation de la vie sociale et politique dans notre pays affligé. Aujourd’hui, nous nous opposons sincèrement à ces politiques isolées qui ne prennent pas en compte les parties prenantes dans les discussions visant à proposer des solutions. Cette Conférence sera une extension directe de ces politiques, conduisant à la fragmentation et à la dispersion, mais surtout, elle ne perpétuera que les souffrances du peuple soudanais, dont les maisons sont devenues des tranchées et dont les champs sont semés de fusils.
En conséquence, nous, soussignés, affirmons notre engagement absolu en faveur de la cessation de cette guerre. Nous demandons le retrait des forces militaires des villes et des campagnes, et exigeons la cessation de toute coopération entre les militaires et les civils qui aggrave les crises soudanaises pour des intérêts personnels, loin de la recherche de solutions durables. Nous appelons à la dissolution des milices Janjawids et la traduction de leurs membres en justice. Nous soutenons la mise en place d’autorités civiles composées de forces vives nationales, notamment les comités de résistance au niveau des quartiers, les syndicats, les comités d’urgence, les comités de gestion des camps de déplacés et de réfugiés, les associations professionnelles et les partis politiques opposés au régime militaire ou à toute coopération avec lui, qui possèdent une grande expertise dans l’élaboration de visions politiques efficaces permettant de mettre fin à la guerre.
Nous appuyons fermement la solidarité internationale avec le peuple soudanais, et nous appelons la communauté internationale à fournir une aide humanitaire aux Soudanais qui sont tués, affamés, assoiffés et déplacés de force depuis un an. Nous soulignons l’importance du respect des lois, des traités internationaux et des conventions dans le soutien inconditionnel à la transition démocratique au Soudan.
Nous appelons les participants à la conférence, y compris les gouvernements, les organisations internationales et les personnes morales, à pleinement assumer leurs responsabilités à exercer leur pression les milices et forces armées pour permettre l’acheminement des secours, ainsi que pour permettre aux journalistes de documenter toutes les violations perpétrées sur le terrain du conflit.
Nous rappelons que les milices Janjawids profitent de l’interruption délibérée des réseaux de communication et d’électricité pour humilier notre peuple en prenant le contrôle de transferts d’argent dans le sillage des pillages et destructions perpétrées contre toutes institutions bancaires au Soudan.
Sans doute est-il important pour nous de préciser que selon des rapports d’agences médiatique fiables, certains pays soutiennent le réarmement des parties en conflit, ce qui constitue une sérieuse entrave à toute possibilité de mettre fin à la guerre et à créer les conditions d’un acheminement régulier de l’aide humanitaire. Nous exigeons donc fermement leur retrait sans condition de la scène. Nous considérons la satisfaction de cette exigence comme une étape cruciale pour garantir l’acheminement de l’aide humanitaire destinée à sauver le peuple soudanais des ravages de la famine, conformément aux normes internationales. Nous rejetons catégoriquement le fait de laisser cette aide entre les mains d’entités illégitimes et politiques dont le seul motif inavoué est de nouer des relations avec les deux parties en conflit.
Nous accueillons favorablement la solidarité et l’aide humanitaire, mais nous refusons les critères de sélection et à l’opacité l’organisation de la conférence de Paris du 15 avril 2024. Pour preuve, jusqu’à présent, aucune information concernant les détails des discussions et le chronogramme des réunions n’a été mise au jour. En effet, une foule de question se pose dont, entre autres :
Sur quelle base les invités ont-ils été sélectionnés pour parler de la situation des Soudanais qui ont perdu leur sécurité et leur abri ? Nous émettons donc des réserves dues au manque de transparence, que nous considérons comme étant l’un des facteurs renforçant les militaires après la révolution de décembre 2018.
Enfin, cette guerre n’est rien d’autre que le produit de la politique sélective mentionnée ci-dessus, qui, à notre avis, est le résultat du même processus qui a contribué à déclencher cette guerre. Les forces politiques affiliées à la révolution ont travaillé de façon à pouvoir imposer des représentants du peuple soudanais. C’est ainsi qu’en faisant fi les revendications du peuple, ils ont ignoré de manière flagrante et arrogante les choix de la rue révolutionnaire. Or c’est cette voix qui s’est exprimée à travers ses organes représentatifs tels que les syndicats et les comités de résistance élus par les habitants dans les quartiers, qui représente les nobles aspirations du peuple. En d’autres termes, c’est à travers ces organes que la Charte révolutionnaire a été formulée, discutée et diffusée, visant à établir l’autorité du peuple, reflétant la vision globale de la solution par le mouvement révolutionnaire dans ses grandes lignes.
Oui à la solidarité avec le peuple soudanais, non à l’exploitation de sa crise humanitaire à des fins partisanes.
La clé de la solution, c’est d’arrêter la guerre et d’éloigner ses causes ainsi que ceux qui en sont responsables.
Soudanais·es en France