La direction du parti a vite compris que crise, en caractères chinois, combine les sinogrammes de menace et d’opportunité. Après avoir tenté de minimiser la crise sans succès, elle a vacillé paressant se diviser. Puis ce fut la grande manœuvre de Gabriel Nadeau-Dubois (GND) rentrant dans ses terres pour mieux rejaillir en transformant la menace en opportunité tout en tentant de balayer sous le tapis l’interprétation féministe de la crise par la nomination de la députée de Sherbrooke comme porte-parole intérimaire. Une fois son caucus réunifié, toutes femmes comprises, les intérêts matériels et le carriérisme y jouant peut-être un certain rôle, la direction avance à visage découvert pour faire de Québec solidaire (QS) un « parti de gouvernement » avec à l’avenant « une refonte complète de son programme » et « la structure du parti « plus efficace, moins lourde et plus simple » ».
Appelons cette orientation proposée la finalisation de la NPDisation de QS dont l’indépendance serait le cache-sexe. Elle est pleinement explicitée dans la Déclaration de Saguenay que doit adopter, une fois amendée, le prochain CN et laquelle doit tenir lieu de « discours politique lors des prochaines années ». C’est donc dire que cette Déclaration se substituera « pragmatiquement » au programme. Si, avant la crise, la meilleure tactique, étant donné le rapport de forces très défavorable à la gauche anticapitaliste, était de tenter d’amender cette Déclaration pour le ramener tant que faire se peut dans le chemin des points saillants du programme, le surgissement de la crise du parti permettrait maintenant de la supprimer de l’ordre du jour tout en lui substituant un débat de fond sur la crise.
Une panne démocratique-féministe qui a permis la centralisation pour recentrer
Ce qui est crucial et essentiel est de libérer la parole militante dans le parti afin de faire apparaître les fondements féministe et démocratique de la crise quitte à accepter et même à se réjouir d’une cacophonie momentanée quant à la remise sur table du programme du parti. C’est le succès relatif de l’inavouable politique chauvine et verticaliste de la direction du parti, au point d’autonomiser l’aile parlementaire, qui lui a permis de « recentrer » le message politique du parti jusqu’à tenter au CN de présenter un document qui a comme vocation de remplacer en catimini son programme. Ensuite, la direction prévoit de le chambouler de fond en comble en 2025 après que la structure du parti eut été, l’automne prochain, rendue plus « efficace » c’est-à-dire verticalisés par la refonte des statuts.
Le recentrage pragmatique est l’art politicien de la fuite en avant et du subterfuge dont l’aile parlementaire est déjà devenue experte. Pour avoir une idée de ce à quoi ça ressemble, il suffit de considérer la prise de position du parti à propos du démantèlement ou non du camp pro-Palestine de l’université McGill. D’abord ce n’est pas le porte-parole qui porte la parole du parti sur ce point majeur de la conjoncture du moment tant nationale que mondiale mais son leader parlementaire. Bien campé au centre-gauche, le parti s’oppose au démantèlement « sauvage » du camp Palestine de McGill. Fort bien. Mais cette déclaration n’appuyait pas pour autant cette occupation ni ses demandes envers l’administration universitaire se contentant de porter ailleurs le regard vers le bureau de Tel-Aviv de la CAQ (ou les propos provocateurs du Premier ministre). Est-ce que cette déclaration signifiait que QS resterait silencieux face à un démantèlement « civilisé » ? Le site web du parti reste coi sur le camp. Le 11 mai à l’occasion de la commémoration de la Naqba, trois députés, mais non les porte-parole, visitaient enfin le camp qu’ils disent appuyer, sans plus. Appelons ça une prise de position évolutive. On constate ici le même flottement que vis-à-vis le Front commun dont on visitait les lignes de piquetage mais sans jamais appuyer ses revendications salariales ou encore vis-à-vis le logement social mais sans appuyer la revendication-phare du FRAPRU de la construction de 50 000 logements sociaux sur cinq ans ce qui est pourtant largement insuffisant.
Moins d’électoralisme lors de la dernière campagne aurait peut-être permis d’éviter la présente crise. Québec solidaire aurait pu proposer, à l’encontre de la pollution par la fonderie Glencore de Rouyn-Noranda, en cas d’un refus ou de l’impossibilité de sa modernisation écologique que ce soit par l’entreprise elle-même ou par l’État suite à une nécessaire expropriation, une reconversion par exemple pour fabriquer du matériel pour la rénovation écoénergétique des bâtiments ou des pièces pour des moyens de transport en commun ou en cas de fermeture inévitable un recyclage des travailleurs vers la restauration écoénergétique des bâtiments existants financée par Hydro-Québec. Le syndicat local, au lieu de se ranger derrière le patron, se serait peut-être rallié à cette proposition entraînant derrière lui l’électorat travailleur de Rouyn-Noranda. La circonscription serait probablement restée dans le giron Solidaire… et la présente crise existentielle aurait pu être évitée. Cette heureuse issue aurait été causée par une radicalisation de la plateforme électorale à l’encontre de son centrisme pragmatique qui ne proposait aucune alternative à la menace de fermeture par la multinationale.
Amende honorable aux femmes pour mieux faire passer la Déclaration de Saguenay
On revient au problème de la démocratie interne dont le comité du même nom de quelques dizaines de membres, il y a quelques années, avait fini en queue de poisson à force de s’aplatir devant le Comité de coordination nationale (CCN) devenu le porte-parole de l’aile parlementaires au sein du parti. Le CCN a manœuvré ce comité en lui proposant un grandiloquent rapport débité en congrès sans débat ni vote lequel rapport ramasse la poussière quelque part sur une tablette. La crise démocratique du parti resurgit cette fois-ci par la porte de l’égalité femme-homme. Le malaise créé par la démission de la députée de Taschereau ne se représentant pas et à laquelle succéda un homme, suivi par l’élection en 2022 d’une députation à nette prédominance homme, dans un cadre de stagnation électorale, renforcée par l’élection d’un homme lors de la partielle subséquente, au lieu d’avoir choisi une candidate femme pour quelque peu rétablir l’équilibre, aboutit au livre-choc de Catherine Dorion osant nommer le problème. L’élection de la nouvelle porte-parole mit un baume sur la plaie. Par réaction sa démission fit publiquement éclater la crise.
La manœuvre de la direction (appel au pragmatisme, porte-parole intérimaire) s’étant fracassée contre le mur de la dissidence dont la déclaration de la Commission nationale des femmes (CNF) est l’épine dorsale, la lutte de tendances devient plus ouverte. Dans sa tentative de discréditer cette déclaration, la nouvelle porte-parole s’est tirée dans le pied. Dans son mot envoyé à tous les membres, conjointement avec la Déclaration de la CNF, elle souligne que le personnel rémunéré soutenant la députation, soit une majorité homme dirigée de facto par un homme ce qu’elle ne dit pas, est très majoritairement féminin. Elle révèle ainsi le syndrome bien connu de maintes organisations où les femmes servent les hommes. Bien sûr, pour mieux faire passer l’amère pilule du pragmatisme, elle avoue que l’égalité n’est pas atteinte — comment faire autrement ? — et elle invite les écorchées à « écrire au comité d’éthique » où elles seront suavement ramollies et surtout éloignées de tout groupe dissident.
L’aile parlementaire s’arcboute derrière sa « pragmatique » Déclaration de Saguenay tout en faisant les nuances récupératrices nécessaires pendant que la haute direction du parti y va d’une apaisante lettre aux membres promettant un bilan et un plan d’action soumis au prochain CN pour se sortir de cette « situation douloureuse ». Amende honorable faite, est réitérée « l’adoption de la Déclaration de Saguenay (issue de notre tournée des régions), la possible modernisation du programme et la révision de nos statuts nationaux […] essentiels […l]e départ d’Émilise, et les questionnements qui ont ensuite émergé, ne font que les rendre plus pertinents. » On aura compris que les deux derniers points servent d’alibi pour l’indispensable Déclaration de Saguenay, promue comme jamais sur le site web du parti, se transformant miraculeusement en remède à la démission de la porte-parole élue. Tant qu’à y être cette longue lettre aux membres fait l’éloge du pragmatique parti de gouvernement comme si ses critiques étaient d’éternels rêveurs oppositionnels.
Une déclaration dissidente se démarquant et affrontant, l’autre se soumettant
La dissidence au départ inorganisée et qui tâche de se rejoindre en réseaux a jusqu’ici accouchée de deux déclarations fort différentes si ce n’est contradictoires. Celle des « quarante » plus médiatisée et, sauf erreur, malheureusement fermée se pose clairement en opposition à la direction Solidaire dans une perspective anticapitaliste :
Comme l’expliquait Émilise Lessard-Therrien, un gouvernement solidaire ainsi élu se retrouverait très faible face aux puissants lobbys qui attendent de pied ferme tous les gouvernements du Québec. Pour apporter des changements qui ne soient pas qu’une succession de « mesurettes » (le mot est d’Amir Khadir), il faudra donc absolument, derrière l’élection d’un gouvernement de QS, toute la puissance du « lobby du peuple » (Catherine Dorion) : un peuple bien mobilisé et bien réveillé, prêt à affronter la déroute capitaliste avec son gouvernement.
Parlant pragmatisme elle rappelle cet élément fondamental de la conjoncture politique mondiale. Elle aurait aussi pu rappeler que le pragmatisme abandonne au gauchisme la jeunesse québécoise en voie de radicalisation devant un monde en profonde crise dérivant vers la terre-étuve :
Or il faut se rappeler que la gauche « pragmatique », « efficace » et calculatrice, celle qui traite les autres de rêveurs et d’idéalistes – comme si c’était des défauts –, se fait doubler à l’heure qu’il est. Elle se fait doubler partout en Occident par une droite qui n’a pas peur de soulever des foules et de déplacer le cadrage du débat politique vers la droite. Bien sûr que nous voulons prendre le pouvoir. Mais ce n’est pas pour l’occuper tranquillement en y passant les quelques projets de loi que les élites dominantes voudront bien nous laisser passer.
D’un tout autre acabit est celle s’intitulant « S’unir pour gouverner autrement » qui pose le parti comme « irremplaçable » — hors du parti point de salut ! — co-responsable « de victoires face au saccage de nos services public » — ah oui, lesquelles ! — capable de « proposer des solutions aux crises que nous traversons » — comme la loi dite Françoise David ! — « se distingu[ant] par la forme de son organisation » — un chef réellement existant masqué par l’égalité formelle des deux porte-parole ! Cette déclaration veut « proposer un projet rassembleur » et « créer les conditions de convergence entre les différentes tendances » sur la base de « gouverner autrement ». Ce serait la moindre des choses de ne pas gouverner comme les partis de droite ! Cette déclaration de la grande réconciliation, signée autant par des défenseur-e-s mur-à-mur de la direction du parti que par des « révolutionnaires écosocialistes » annonce-t-elle la victoire de l’aile parlementaire lors du CN de la fin mai ?
Quant au « renouvellement de notre ancrage dans les mouvements sociaux », attention ! Nos députés et leurs bureaux de comté le font déjà et iels sont de plusieurs manifestations. Comme le montrent les exemples déjà cités (McGill, Front commun, logement social, Glencore), le parti appuie les mouvements en faisant le service minimum, parfois en relayant à l’Assemblée nationale, mais sans faire de critiques constructives et sans tenter de fédérer les luttes et revendications populaires sur de concrets objectifs communs. Et surtout sans allumer cette lumière au bout du tunnel, cette société alternative d’un Québec indépendant, sobre et solidaire libéré de la finance, des hydrocarbures et de la filière batterie, qui donne à la militance le courage d’entamer une lutte, d’encaisser les coups et de durer. En un mot, le parti est derrière mais jamais devant, plus préoccupé des urnes que de la rue ce qui implique de ne pas froisser petites et grandes bureaucraties et autres directions autoproclamées et au diable la base militante.
La manœuvre de la direction est à déjouer pour rejeter la Déclaration de Saguenay
Pour éviter l’implosion du parti, mais en acceptant d’avance un certain nombre de départs comme jadis certains fédéralistes à la couenne dure et certaines laïcistes ennemies jurées du voile, la direction du parti a astucieusement modifié substantiellement l’ordre du jour du CN en donnant au débat sur la crise du parti une place majeure mais sans aucunement supprimer les cruciaux débat et vote sur la Déclaration de Saguenay refoulés en fin d’après-midi. La tactique de la dissidence serait de quand même provoquer un débat d’ordre du jour pour déployer l’argumentaire quitte à suggérer un vote seulement après le point sur la crise du parti afin d’y voir plus clair, et ensuite susciter un débat sur la question dans les ateliers et plénière portant sur la crise du parti afin d’aboutir à une proposition de dépôt de la Déclaration à la Commission politique (CP) qui la prendrait en compte dans le processus de révision du programme. L’épine dorsale de l’argumentaire est le court-circuitage anti statutaire du processus de révision du programme par une Déclaration votée à la va-vite par un CN, et non par un congrès qui seul peut changer un programme, et que par euphémisme la direction définit comme « discours politique lors des prochaines années » … c’est-à-dire comme substitut au programme jusqu’au moins en 2025.
Bien sûr, comme politique de repli si le débat sur la Déclaration ne peut être évité, il sera nécessaire d’appuyer les amendements à la Déclaration qui l’inclinent plus à gauche. On pense en particulier aux amendements concernant la décroissance, la gratuité du transport en commun et que l’ensemble de la population puisse y accéder, le renforcement des pouvoirs du BAPE et des syndicats dans l’entreprise, contre la privatisation du système de santé, le développement des logements sociaux, une taxe sur la malbouffe, pour (l’imprécise) production végétale à défaut de mentionner l’agrobiologie, le rejet du monopole de l’UPA, la nationalisation de la filière batterie (je souligne à double trait), le non-financement des multinationales, (l’imprécise) nationalisation de l’industrie du logement.
Reste qu’il faudra se souvenir de la critique acerbe mais non moins essentiellement dans le mille du persifleur et revanchard Lisée mais non pas moins futé. En ce qui concerne le processus de modification du programme, substituer « actualisation » à « modernisation » envoie un signal de défense des éléments clefs du programme qui définissent sa radicalité. Une vingtaine de minutes est prévu pour un compte-rendu sur la révision des statuts. C’est court mais serait la bienvenue une claire intervention sur la nécessité de ramener dans le parti hors aile parlementaire sa direction réellement existante en renforçant le CN qui, par exemple, serait élu pour un an avec droit de rappel et se réunirait quatre fois l’an avec droit de constituer des comités de travail et même d’élire le CCN.
Il serait enfin temps de construire un pôle anticapitaliste qui a trop attendu
Peu importe la fin tôt ou tard de cette lutte des tendances sans doute la plus aiguisée que le parti ait connu depuis sa naissance il y a 18 ans, il ne faudra pas que la gauche anticapitaliste et radicale se débobine si elle ne se termine pas joyeusement. Le signal fort aura sonné, s’il n’est pas trop tard, pour la construction d’un pôle ACIDE dans le parti, Anti-Capitaliste, Indépendantiste Internationaliste, Démocratique radicale jusqu’à et y compris l’économie, Écosocialiste et Égalitaire dans ses dimensions genrées et nationales, l’acidité étant la méthode critique. Si cette construction avait débuté il y a plus de vingt ans, lors de la fondation de l’Union de forces progressistes (UFP), on en serait pas là aujourd’hui. Plus que jamais s’impose cette fédération des anticapitalistes et radicaux non sectaires que ce soit à l’intérieur de QS, en dehors ou un pied dedans et un pied dehors.
Marc Bonhomme, 12 mai 2024
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