Le procureur général de la Cour pénale internationale a déclaré qu’il demandait des mandats d’arrêt contre des dirigeants d’Israël et du Hamas, lundi.
Le procureur général de la Cour pénale internationale a déclaré lundi qu’il demandait des mandats d’arrêt contre les dirigeants de l’État d’Israël et du Hamas.
La justice, enfin ; les tout premiers signes du début d’une justice, bien tardive et partielle, mais tout de même une mesure de justice.
On ne peut certes pas se réjouir de ce que le premier ministre et le ministre de la défense de son pays soient en passe d’être recherchés dans le monde entier, mais il est impossible de ne pas éprouver une certaine satisfaction à l’idée que la justice commence à être rendue.
Alors que les Israéliens font étalage de leur statut de victime, que les chaînes de télévision se complaisent dans l’autosatisfaction, qu’ils clament que le monde est antisémite et qu’il est injuste d’associer Israël au Hamas, une question fondamentale et déterminante n’est jamais posée : "Israël a-t-il commis des crimes de guerre dans la bande de Gaza ? Israël a-t-il commis des crimes de guerre à Gaza ? Personne n’ose aborder cette question essentielle et déterminante : Y a-t-il eu, oui ou non, des crimes ?
S’il y a eu des crimes de guerre, des massacres et des famines, comme cela a été évoqué par le courageux procureur Karim Khan (à la nomination duquel Israël a participé en coulisses, son prédécesseur ayant été considéré comme douteux), alors il y a des criminels qui en sont responsables. Et s’il y a des criminels de guerre, il est du devoir du monde de les traduire en justice. Ils doivent être signalés comme étant recherchés, et arrêtés.
Si le Hamas a commis des crimes de guerre - et il ne semble y avoir aucune discussion à ce sujet - alors leurs auteurs doivent être traduits en justice. Et si Israël a commis des crimes de guerre - et il ne semble y avoir aucune discussion à ce sujet à travers le monde, à l’exception d’un Israël qui se trompe lui-même de manière suicidaire - les responsables de ces crimes doivent également être traduits en justice.
Le fait de les regrouper n’implique pas une symétrie morale ou une équivalence juridique. Même si Israël et le Hamas étaient accusés séparément, Israël aurait déclenché un tollé contre le tribunal.
Le seul argument que l’on entend aujourd’hui en Israël est que le juge est un fils de pute. Le seul moyen envisagé pour empêcher qu’il ne prononce sa lourde sentence est de s’en prendre à la Cour pénale internationale de La Haye.
Une fille regarde par la fenêtre d’un bâtiment endommagé par des éclats d’obus après un raid des forces israéliennes dans le camp de réfugiés de Jénine en Cisjordanie, jeudi 23 mai 2024.Crédit : Leo Correa,AP
Il faut convaincre les nations amies de ne pas respecter ses décisions, imposer des sanctions ( !) à ses juges. C’est le raisonnement de n’importe quel criminel, mais un Etat n’a pas le droit de penser ainsi. Les deux tribunaux internationaux où Israël et les Israéliens sont jugés méritent le respect de l’État, pas son mépris. L’outrage au tribunal de la part d’Israël ne fera qu’allonger la liste des accusations et des soupçons qui pèsent sur lui.
Mieux vaudrait pour Israël, en ce moment difficile, de tourner son regard vers l’intérieur, pour enfin voir son propre portrait. Mieux vaudrait que ce pays se reproche quelque chose, n’importe quoi, plutôt que de rejeter la faute sur le monde entier. Comment en sommes-nous arrivés là, telle devrait être la question, plutôt que de se demander comment ils en sont arrivés là.
Quand assumerons-nous enfin la responsabilité de quoi que ce soit, de ce qui a été fait en notre nom ? Les 106 députés qui ont signé la pétition contre la CPI et les zéro députés qui ont signé la pétition inexistante contre les crimes de guerre israéliens sont un triste reflet du pays : unis contre le fait de vouloir rendre justice, unis dans un éternel sentiment de victimisation, ni droite ni gauche, un chœur céleste. Si Israël est un jour reconnu coupable de crimes de guerre, il faudra se souvenir que 106 députés ont voté pour que ceux de Benjamin Netanyahou et de Yoav Gallant soient effacés.
La bande de Gaza est en ruines, ses habitants sont tués, blessés, rendus orphelins, affamés, démunis, alors que la plupart d’entre eux étaient innocents. Il s’agit clairement d’un crime de guerre. Tout le monde en Israël considère que la famine est un instrument légitime, qu’il faut soutenir ou combattre, tout comme les massacres intentionnels. Comment peut-on prétendre qu’il n’y a pas eu de famine ou de massacre intentionnel ?
Au lendemain de l’audience de la CPI, Israël doit se ressaisir et procéder à une introspection nationale, chose qu’il n’a jamais faite auparavant. Chaque Israélien doit s’interroger : Comment en sommes-nous arrivés là ? Il ne suffit pas de blâmer Netanyahou, le principal coupable, ni de se blanchir au moyen d’échappatoires invoquant la hasbara, dee avis juridiques fallacieux ou les déclarations outrées de certains responsables israéliens.
Le problème touche à des réalités bien plus profondes : Depuis 57 ans, Israël impose un système qui repose sur des pratiques condamnables et malfaisantes, et aujourd’hui, enfin, le monde se réveille et commence à se dresser contre ce système. Cela permettra-t-il au moins à certains Israéliens de se réveiller et de se départir de leur sens de la justice déformé et aveugle ?
Gideon Levy