Faut-il maintenir l’arrêt des ventes de véhicules thermiques en 2035 ? Limiter le trafic aérien ? Poursuivre le développement des énergies renouvelables ? C’est avec ces questions que le Shift Project, think tank fondé par l’ingénieur Jean-Marc Jancovici, a conduit la discussion, mardi 16 avril, à l’université d’Angers (Maine-et-Loire).
Troisième débat proposé aux têtes de liste pour les élections européennes du 9 juin prochain − après celui sur LCP il y a un mois et celui de RFI et France 24 la semaine dernière −, c’était la première confrontation entièrement consacrée à la question climatique. Ont répondu présents Valérie Hayer, pour Renaissance, Raphaël Glucksmann pour le Parti socialiste-Place publique, Manon Aubry pour La France insoumise (LFI), Marie Toussaint pour Les Écologistes, et François-Xavier Bellamy pour Les Républicains (LR).
Pour la troisième fois consécutive, Jordan Bardella, tête de liste du Rassemblement national (RN), n’a pas participé. Il s’est fait représenter par quelqu’un qui n’est pas candidat aux élections européennes : Jean-Philippe Tanguy, vice-président du groupe à l’Assemblée nationale.
François-Xavier Bellamy et Manon Aubry lors du débat du 16 avril à Angers. © Photo Damien Meyer / AFP
Ces deux heures de discussion animées par des membres du think tank, avec la participation de Jean-Marc Jancovici pour redonner de temps à autre quelques ordres de grandeur sur la transition climatique, ont permis de revenir sur les principaux axes du Pacte vert, cette politique lancée par la Commission européenne fin 2019, et aujourd’hui fort décriée.
Très rapidement, les divergences sont apparues, entre, d’un côté, les représentants LR et RN hostiles à l’approfondissement du Pacte vert et, de l’autre, des partis qui, avec toutes leurs nuances, continuent de soutenir cette politique européenne et, pour certains, souhaitent aller beaucoup plus loin.
Divergences sur la voiture
Sur la question de la voiture et des transports, notamment, les positions se sont nettement distinguées. Pour Jean-Philippe Tanguy, l’objectif d’arrêter les véhicules thermiques en 2035 « est déjà mort, il n’est pas réalisable, il a été mal pensé, il sera abandonné. On est dans l’enfumage des citoyens ». Pour François-Xavier Bellamy, qui avait voté contre cette mesure avec son groupe au Parlement européen, « le 100 % électrique est une aberration. La fabrication de ces véhicules produit des émissions équivalentes aux voitures thermiques, on se ferme d’autres options technologiques, et on va être complètement dépendants de la Chine pour les matériaux ».
Du côté de Renaissance en revanche, pas question de revenir en arrière. Quant à PS-Place publique, Les Écologistes et La France Insoumise, non seulement le cap doit être maintenu, mais il doit être davantage accompagné de mesures pour les plus modestes – « un véhicule électrique, c’est un an de salaire », a souligné Raphaël Glucksmann. Surtout, ce changement du parc automobile n’est pas l’alpha et l’oméga de ce que doit être la politique des transports à l’heure de l’urgence climatique : il faut impérativement développer le train et mettre fin aux fermetures de lignes ferroviaires.
« L’Europe du train, ce n’est pas seulement celle qui relie les capitales européennes. Il faut investir massivement dans les trains régionaux », a plaidé Raphaël Glucksmann. « Il faut davantage d’ambition. Où sont les alternatives à la voiture ? Qu’a fait l’Union européenne pour développer massivement les transports publics ? », a interrogé Manon Aubry, plaidant pour la suppression de la TVA sur les billets de train, le triplement des lignes à grande vitesse et le déploiement des lignes du quotidien. « La France a investi deux fois plus dans la route que dans le rail ces dernières années », a également fait remarquer Marie Toussaint.
Où puiser pour continuer la transition
Les trois têtes de liste de la gauche se sont davantage distinguées sur la question du mix énergétique, Raphaël Glucksmann soutenant ouvertement le nucléaire pour parvenir à une Europe décarbonée en 2050, tandis que Manon Aubry, appelant à la sobriété et à la hiérarchisation des usages, a fustigé le bilan de Renaissance à Bruxelles comme à Paris. « La France a agi pour que le gaz soit classé comme une énergie verte, dans une alliance avec Orbán. Et elle est le seul pays de l’Union européenne à ne pas tenir son objectif d’énergies renouvelables : elles ne pèsent que 20,7 % dans notre mix énergétique, alors qu’elles devraient être à 23 %. »
Candidate à sa réélection, Valérie Hayer a, sans surprise, pleinement assumé le mandat écoulé. « L’Allemagne a renoncé au nucléaire et s’est mise dans les mains de la Russie. Ce sont des mauvais choix. Le nucléaire est un élément de force pour nous, il a été reconnu comme énergie de transition. Tous ceux qui vous diront le contraire sont des écologistes du passé. »
Jean-Philippe Tanguy est sur la même ligne – c’est d’ailleurs l’un des rares points sur lesquels il a fait entendre une position claire du RN, la plupart de ses interventions ne répondant pas aux questions : « Nous voulons relancer la recherche nucléaire et lancer une quatrième génération de technologies, il faut se réapproprier ce chemin », a-t-il déclaré. Plein soutien au nucléaire également de la part de François-Xavier Bellamy qui, en matière de transition énergétique, croit davantage à la recherche technologique qu’à la réduction des usages. Sur la question du secteur aérien par exemple, ce n’est pas la taxation du kérosène ou la limitation du trafic qui apporteront la solution, selon lui, mais le développement de carburants décarbonés.
Malgré les limites de ce débat à six, avec deux minutes trente pour répondre à chaque question sans possibilité de rebondir et l’impasse complète sur tout le pan du Pacte vert consacré à l’effondrement de la biodiversité, les différentes options politiques se sont bien fait entendre, jusqu’à la question du financement. Où puiser pour continuer la transition, sachant que les besoins budgétaires sont bien supérieurs à ce que propose aujourd’hui la Commission européenne ?
On retrouve chez Raphaël Glucksmann comme chez Manon Aubry la volonté de taxer davantage les hauts patrimoines et les dividendes des entreprises – la tête de liste LFI allant jusqu’à proposer une taxation sur les pratiques climaticides de certains objets de luxe, comme les yachts –, tandis que Valérie Hayer s’est montrée beaucoup plus timorée sur ce point : « Je suis d’accord pour taxer les ultrariches, mais je veux qu’ils restent en Europe. Il faut pour cela porter une négociation internationale, afin qu’on arrive à un consensus. » La perspective de nouveaux impôts est en revanche inenvisageable pour le RN comme pour LR. « Cela ne nous conduira pas à un paradis écologique mais à un enfer fiscal », a lancé François-Xavier Bellamy.
L’enfer, c’est aussi le mot qu’avait à la bouche Manon Aubry, dans sa conclusion. Mais pour dire tout autre chose. La candidate de LFI en a appelé à de la cohérence, de la solidarité et de la planification, précisément pour éviter « l’autoroute vers l’enfer climatique, avec le pied sur l’accélérateur ». Marie Toussaint a rappelé, de son côté, combien la poussée écologiste dans les urnes, il y a cinq ans, avait contribué à la mise en place du Pacte vert. La menace est grande, selon elle, que tout cela soit saboté aujourd’hui.
Amélie Poinssot