Ni les 12 km de clôture pour protéger le sommet, ni les 17.000 policiers détachés pour étouffer sans relâche la voix des manifestants, ni le transfert de la réunion au bord de la mer Baltique, ni les difficultés à se loger pendant une semaine dans des camping improvisés, ni les distances kilométriques pour compléter les blocus n’ont suffi à briser la volonté de milliers de manifestants arrivés à Rostock (surtout d’Europe mais, avec des délégations de plus de 40 pays, du reste de la planète) pour protester face au G8.
Les protestations ont commencé avec la manifestation de 80.000 personnes le 2 juin à Rostock et ont continué avec des mobilisations quotidiennes (pour la souveraineté alimentaire, pour les droits des immigrants, contre la guerre...), avec des blocus et avec d’autres types d’activités (séminaires, ateliers, etc.). Rostock constitue un exemple de la capacité du mouvement à réagir devant l’une des institutions responsables des politiques néo-libérales. Il représente un souffle d’air frais pour le mouvement, mais aussi une occasion de prendre son pouls.
Le contexte. Du côté du G8, la réunion a été marquée par la stagnation ou la crise d’institutions clef pour le projet néo-libéral comme l’OMC, le FMI ou la Banque mondiale ; par le rôle croissant de ce que l’on appelle, dans le jargon du G8, les « économies émergentes » (la Chine, l’Inde, le Brésil...) ; par l’insubordination manifesté contre le projet néo-libéral avec des pays comme le Venezuela, la Bolivie ou l’Équateur... Mais du côté des manifestants, le contexte était aussi problématique : après le décollage à Seatle et la grande mobilisation du 15 février 2003 (contre la guerre en Iraq), le mouvement éprouve des difficultés à articuler ses actions et à mieux promouvoir des initiatives de mobilisation internationales. Il doit aussi répondre à un développement nouveau : la prise de position publique des patrons d’industrie [1]) des 8 pays réunis à Heilingendamm qui a imprimé sa marque sur la « feuille de route » du G8 avec la Business Declaration approuvée le 25 avril à Berlin. Voici comme un exemple d’internationalisme à la mode patronale ! Une incitation de plus, aussi, pour s’opposer aux politiques néo-libérales en cours.
Au terme du sommet, on peut dire que le G8, par-delà ses contradictions, poursuit une route balisée par l’intérêt privé plus que par la nécessité de s’attaquer à des problèmes comme la faim, la dette extérieure, la pandémie du SIDA ou le changement climatique — ces thèmes ne servant surtout qu’à décorer la vitrine du G8. Il ne faut donc pas confondre les difficultés et les contradictions auxquelles se heurte le projet néo-libéral avec le fait qu’il serait aujourd’hui « mis en échec » (une idée que l’on retrouve chez certains membres du mouvement, comme Walden Bello). Tout annonce en effet que l’offensive néolibérale va se poursuivre : nous devons donc recharger nos piles pour promouvoir de nouvelles initiatives de mobilisation.
Le mouvement. La mobilisation a été massive et importante tant par le nombre de gens que par la présence des délégations internationales, par la jeunesse du mouvement, par la capacité à répondre adéquatement à la stratégie de provocation et à la politique d’usure de la police... Mais ces données ne sauraient cacher ni les absences ni les faiblesses.
Entre ce qui concerne ces dernières, la plus évidente était la faible présence syndicale. En Allemagne, la DGB était faiblement impliquée. Quant à la Confédération européenne de syndicats (CES), elle était plus engagée dans des opérations de lobbying que préoccupée de construire un rapport des forces par la mobilisation sociale.
Mais au-delà de cette donnée (difficile à modifier tant que les organisations syndicales plus impliquées dans la dynamique du mouvement ne constituent pas d’espaces de travail commun), la mobilisation de Rostock reflète une faible dynamique de coordination et d’articulation du mouvement, à l’inverse de ce que nous avions connu, par exemple à Prague ou à Gênes. Ceci nous ramène au Forum social européen (FSE) d’Athènes, à son Assemblée des mouvements sociaux et à une nécessaire réflexion autocritique : nous n’avons pas réussi à faire de la mobilisation contre le G l’événement central de l’agenda 2007 et nous n’avons pu, en conséquence, promouvoir un travail de coordination, de construction d’alliances, etc., au niveau européen.
En ce sens, Rostock renvoie à nouveau aux débats en suspens : sur l’articulation des initiatives, la construction d’alliances (qui exige un processus stable, coordonné et prolongé dans le temps), sur les dynamiques de mobilisation (pourquoi ne pas combiner les contre sommets avec des initiatives dans les différents pays ?), sur le lien entre forums, assemblées préparatoires et mobilisations, sur les méthodes d’action (désobéissance civile, action directe non violente ), etc.
Face 2008. Ceux-ci sont des débats qu’il est nécessaire d’inclure tant dans le processus préparatoire du FSE de 2008 que dans le récemment rétabli Réseau mondial des Mouvements sociaux — un réseau qui s’est réuni à la veille des mobilisations de Rostock pour impulser la préparation de la Journée mondiale d’action du 26 janvier 2008 (décidée lors du FSM de Nairobi) et pour travailler à une meilleure coordination des mouvements sociaux.
En conclusion, cette réunion a permis de souligner l’importance de cette Journée mondiale d’action pour les mouvement. Une journée dont il faut — ce qui est un défi — assurer le succès en travaillant à développer des initiatives unitaires. Une journée qui prendra des formes particulières suivant les régions, continents ou pays. Pour promouvoir cette initiative, il est nécessaire, dans cette perspective, de mettre sur pied un lieu de dynamisation composé de représentants de réseaux internationaux (par l’intermédiaire de Via Campesina, du CADTM, de la Marche mondiale de Femmes...) et des différents continents ou les régions.
Tout le monde est conscient que le meilleur banc d’essai pour construire le réseau de mouvements sociaux est l’élan de cette initiative, pour laquelle nous devrons consacrer nos efforts (sans pour autant porter dommage à d’autres initiatives qui peuvent être préparées dans les divers continents ou pays).