Pendant que le gouvernement de la CAQ mise sur le tout-électricité droit devant avec sa nouvelle politique de l’énergie qui veut doubler la production d’électricité « renouvelable » en 25 ans, on apprend que « [l]’hydroélectricité, la plus grande source d’énergie renouvelable au monde, a été paralysée par le manque de pluie dans plusieurs pays l’année dernière [2023], ce qui a entraîné une hausse des émissions [de GES], les pays se tournant vers les combustibles fossiles pour combler le déficit. […] Cette année, parce que ses barrages hydroélectriques géants n’avaient pas assez d’eau, le Canada a importé plus d’électricité des États-Unis qu’il ne l’avait fait depuis plus d’une décennie… »
Mais ce risque climatique n’est pas ce qui retiendra l’attention de la scène politique québécoise. Pour M. et Mme Tout-le-monde, ce sera la perspective de la hausse des tarifs résidentiels, inévitable, en termes électoralistes après l’élection de 2026, étant donné que le coût marginal des nouveaux équipements sera plus élevé que le coût moyen du kWh du bloc patrimonial amorti depuis longtemps. En zone habitée, la cause en sera l’importante marge bénéficiaire des parcs éoliens privés et qui continueront d’être construits tandis qu’ailleurs ce sera le coût élevé, sans réseau routier, de transporter, installer et entretenir, par les entreprises privées contractuelles d’Hydro-Québec, les équipements nécessaires. Et dans les deux cas, non seulement faudra-t-il aller vite, ce qui fait grimper la facture, et pour cela graisser la patte des propriétaires privés et des gouvernements locaux concernés, communautés autochtones incluses. La hausse parallèle prévue des tarifs industriels et commerciaux soustrait la possibilité de subvention interne en faveur des tarifs résidentiels mais ne ferme pas la porte à la revendication proprement politique de la gratuité de l’électricité de base subventionnée par celle luxueuse.
Quant à la gauche, elle groupe ses tirs contre la privatisation d’Hydro-Québec que l’entreprise étatique a habilement désamorcée en annonçant prendre en charge les grands parcs éoliens hors réseau routier, tâche au-dessus des capacités techniques et financières des Boralex et Innergex de ce monde d’autant plus que la résistance populaire en zone habitée ralentit l’implantation des parcs. Le capital financier privilégie les investissements multimilliardaires dans les infrastructures en autant que l’État soit garant de leur rentabilité. D’un point de vue de gauche écologique, la lutte à privilégier est celle de se libérer de la dépendance électrique du Québec envers l’hydroélectricité qui non seulement sera de plus en plus climatiquement à risque mais qui bouleverse l’écologie des bassins versants. Sa substitution par l’énergie éolienne et solaire fait partie de la solution mais elle seule dans une dynamique croissanciste génère un nouvel extractivisme dont une panoplie de mines tout comme le tout-hydroélectricité avec son complément éolien privé rentabilisé par Hydro-Québec.
La sobriété pour un bien-être supérieur n’est pas la politique de Québec solidaire
S’impose la promotion de la sobriété qui libère le peuple travailleur des deux mamelles de l’endettement des ménages au profit des banques que sont l’hypothèque sur la maison individuelle et celle en rangée, exclusivement privées, et la dette de consommation pour l’auto (le VUS) solo et l’équipement ménager. Elles seront remplacées par l’habitation collective sociale (hors marché) et le transport public gratuit et fréquent jusqu’au moindre village avec un complément d’autopartage dans le cadre du quartier ou village quinze minutes, entremêlé d’agriculture urbaine et de parcs nature. S’en sera terminé de l’énergivore étalement urbain avec sa congestion de la circulation. Avec la fin de l’obsolescence planifiée et la systématisation de la réparation obligatoire et facile d’accès, et la transition vers l’alimentation végétarienne, le peuple travailleur y gagnera un niveau de bien-être bien supérieure sur la base d’une réduction importante de son « niveau de vie » compris comme niveau de consommation.
Ce bien-être libérateur aura comme garantie l’égalité de l’habitat et du transport collectifs doublée d’une bonification qualitative et quantitative des actuels services publics de santé, d’éducation et de garderies. Cet ensemble de services publics anciens et nouveaux assurera du travail pour tous et toutes socialement utile et écologiquement restaurateur par le partage de la masse totale de travail nécessaire. Tant la fin de la consommation de masse que celle de l’économie militaire en passant par la réduction drastique de la criminalité, des accidents de toutes sortes, de la maladie physique et mentale permettront la réduction drastique du temps de travail et l’accueil massif des damnées de la terre tout comme le soutien à leurs luttes de libération. Par quel bout commencer ? Par ceux pour lesquels la mobilisation est la plus évidente (autochtones, petits agriculteurs, quartiers populaires, services publics) peu importe la logique de la matrice globale. Étant bien entendu qu’il faudra que s’y mettent au bout du compte ceux et celles qui ont directement la main sur la machine qui crée la plus-value soit les travailleurs et travailleuses de la fabrication et de la logistique dont la plus grande partie des emplois doit disparaître et donc être recyclés. Là est la grande difficulté de cette stratégie pourtant incontournable.
Cette alternative concrète de sobriété n’est pas celle de l’aile parlementaire de Québec solidaire qui forcée par la crise du parti a été contrainte de déployer à visage découvert le recentrage centre-gauche de son orientation politique. On pourrait résumer sa politique énergétique en la politique tout-électricité de la CAQ plus des BAPE [Bureau d’audiences publiques sur l’environnement] qui à terme aboutit à l’oxymoron de filière batterie propre. Cette crise a cependant provoqué un modeste regroupement de la gauche du parti, malgré sa défaite cinglante, dans un réseau social « de la rue ». Il est bien sûr trop tôt pour qu’il ait pu élaborer sa politique énergétique et climatique. On peut pourtant relever certains indices de ce qu’elle sera.
Pas de rejet ni de la vieille gauche prométhéenne ni du capitalisme réformé
Le premier est l’intervention clef du porte-parole officieux du réseau lors du débat sur l’adoption de la Déclaration de Saguenay, l’épine dorsale de ce que sera le nouveau programme Solidaire. Ayant choisi la tactique de taper sur un clou pour faire avorter le débat, ce porte-parole n’a pas choisi de relever l’« optique visant la décroissance de la consommation » du réel programme du parti alors qu’il y avait un amendement de« décroissance de la surproduction matérielle » mettant en évidence cette ratée fondamentale de la Déclaration, ni non plus la priorité à donner au transport public tendant vers la gratuité malgré qu’il y ait eu des amendements en ce sens. Il a plutôt choisi de mettre en lumière la concertation avec l’industrie forestière de la Déclaration qui contredit certes le contrôle public si ce n’est la nationalisation de cette industrie prônés par le vrai programme mais pour lesquels il n’y avait aucun amendement en ce sens.
Ce choix n’est pas bénin. Il est certes en synergie avec la gauche nationaliste mais non avec le mouvement écologiste radical qui met la décroissance au centre de ses préoccupations ni non plus avec celui anticapitaliste dit écosocialiste qui articule décroissance avec la socialisation des secteurs stratégiques que sont au minimum la banque et consorts, l’énergie et le transport dans le cadre d’une planification démocratique. Sans cette articulation, la lutte contre la privatisation reste une lutte vieille gauche prométhéenne qui souhaite un type de croissance isomorphe à celle du capitalisme avec la même consommation de masse pour tout le monde. L’ex-Union soviétique et ses satellites où l’économie était nationalisée presque mur à mur était loin d’être un modèle de sobriété énergétique, plutôt le contraire. On n’est pas ici dans le « dépassement du capitalisme » avancé dans le vrai programme mais dans la « réforme radicale du système capitaliste » prônée la veille de l’ouverture du Conseil national (CN) par l’ancien député qui apparaît comme la principale tête d’affiche de ce réseau « de la rue » et le premier des « signataires à l’initiative du texte » qui affirme tout de go que ce réseau n’est pas opposé au courant représenté par l’aile parlementaire sauf en « apparence ».
L’anticapitalisme du peuple mobilisé contre les lobbys et la montée de la droite
Ce texte pré CN du « réseau de la rue », avec mode d’emploi à l’appui pour la tactique au CN, était précédé d’un autre encore plus clair
Comme l’expliquait Émilise Lessard-Therrien, un gouvernement solidaire ainsi élu se retrouverait très faible face aux puissants lobbys qui attendent de pied ferme tous les gouvernements du Québec. Pour apporter des changements qui ne soient pas qu’une succession de « mesurettes » (le mot est d’Amir Khadir), il faudra donc absolument, derrière l’élection d’un gouvernement de QS, toute la puissance du « lobby du peuple » (Catherine Dorion) : un peuple bien mobilisé et bien réveillé, prêt à affronter la déroute capitaliste avec son gouvernement. […]
Or il faut se rappeler que la gauche « pragmatique », « efficace » et calculatrice, celle qui traite les autres de rêveurs et d’idéalistes – comme si c’était des défauts –, se fait doubler à l’heure qu’il est. Elle se fait doubler partout en Occident par une droite qui n’a pas peur de soulever des foules et de déplacer le cadrage du débat politique vers la droite. Bien sûr que nous voulons prendre le pouvoir. Mais ce n’est pas pour l’occuper tranquillement en y passant les quelques projets de loi que les élites dominantes voudront bien nous laisser passer.
Pourtant plusieurs des signataires sont les mêmes. Voilà des gens qui n’ont pas peur des contradictions ! La tactique préliminaire pour le CN annonçait un tract dès l’ouverture et une intervention dès l’ordre du jour pour un dépôt de la Déclaration de Saguenay de sorte que les ateliers matinaux et ceux sur l’heure du midi puissent en débattre pour se l’assimiler. Il était même question de cette tactique dans un article du Devoir le jour même de l’ouverture du CN. Il n’en a rien été de la part du « réseau de la rue » amendé pour l’amour de l’unité du parti qu’il aurait menacée alors que c’était le bulldozer de l’aile parlementaire qui la menaçait en faisant adopter en rase campagne un mini programme recentré, ce qu’il fallait dénoncer haut et fort. La capitulation rassembleuse de la direction de ce réseau est allée jusqu’au refus de demander un vote sur sa motion de dépôt pour ne pas menacer l’unité du parti. Bien que sa défaite eut été évidente, le vote aurait permis de se dénombrer et de se démarquer comme réseau. En plus, cette démission finale succombait au chantage antidémocratique de la présidente du parti qui menaçait de démissionner en cas d’adoption de cette motion de dépôt arrivé comme un cheveu sur la soupe. Le réseau s’est finalement consolé d’une modification de la proposition de « moderniser » le programme en l’« actualiser »… qui sont donnés comme synonymes dans le Grand dictionnaire Robert.
Ce « réseau de la rue » compte se pérenniser pour contribuer au débat sur le programme. Fort bien. Est-il ouvert aux membres Solidaire dissidents peu importe leur accord ou désaccord avec son orientation ? Ni vu ni connu, à ma connaissance, sur les réseaux sociaux, est-ce un groupe semi-secret dont on devient membre sur invitation seulement ? Cette entorse à la transparence dès le point de départ n’est pas un signe d’ouverture. Le focus sur les nationalisations hors crise climatique, la hantise paralysante de l’unité jusqu’au reniement de ses principes, le déficit démocratique en matière d’organisation sont autant de traits du vieux socialisme failli du XXe siècle. Est-ce que ce réseau s’annonce comme l’opposition officielle vieux-socialiste type « front populaire » face à l’aile parlementaire vieille social-démocratie, tous deux ajustés au néolibéralisme autoritaire du XXIe siècle ?
Guerre, climat, logement, immigration, des motifs de se démarquer pour le réseau
Les tests politiques conjoncturels pour le réseau sont mondialement parlant ses positions face aux guerres génocidaires contre le peuple palestinien mais aussi contre celui ukrainien, même si c’est au ralenti, sur fond d’intensification de la crise climatique. L’aile parlementaire dénonce certes l’appui de la CAQ à l’État sioniste — elle a invité les Solidaires à la manifestation Coalition du Québec Urgence Palestine du 8 juin (mon album de photos) — tout en étant cependant réticente à soutenir ouvertement les campements étudiants mais n’appuie pas la résistance armée du peuple ukrainien. Le réseau insistera-t-il sur un appui ouvert des camps pro-Palestine et sur un soutien tous azimuts à la lutte de libération nationale ukrainienne ? Comme on l’a vu, la politique climatique Solidaire ne rompt pas avec l’extractivisme du capitalisme vert. Le réseau se satisfera-t-il de revendications contre la privatisation et pour la nationalisation afin d’accomplir la même politique tout-électricité ou optera-t-il résolument pour la décroissance matérielle afin d’encadrer les socialisations ?
Les tests clefs de l’heure au niveau national sont sans doute la crise du logement et l’ouverture à l’immigration. La politique de l’aile parlementaire glisse de plus en plus sur la centralité de la construction massive de logements sociaux écoénergétiques au point d’avoir abandonné la revendication-phare du FRAPRU de 50 000 logements sociaux sur 5 ans, revendication devenue un minimum vital. Il faudrait que ça soit la moitié des constructions annelles soit 25 000 l’an. Le réseau reprendra-t-il à son compte ces revendications en plus de réclamer une politique de mise à niveau écoénergétique de tous les bâtiments viables ?
L’aile parlementaire critique la CAQ qui ne cesse de mettre sur le dos de l’immigration temporaire tous les problèmes qu’endure le peuple québécois tout comme elle le fait envers le PQ qui emboite le pas à la CAQ. Comme solution, l’aile parlementaire prône de rapatrier les pouvoirs d’Ottawa en la matière afin de planifier l’immigration temporaire avec l’aide d’un comité d’experts. Le réseau prônera-t-il la politique internationaliste de garder grandes ouvertes les frontières tout en éliminant la catégorie immigration ‘temporaire’ pour celle ‘permanente’ avec les mêmes droits que ceux et celles ayant la citoyenneté mais en planifiant une politique d’accueil, de création d’emploi, de construction de logement et d’apprentissage linguistique à l’encontre de l’imprévoyance fédérale ?
Pendant que la gauche tergiverse, souvenons-nous que les émissions mondiales de dioxyde de carbone provenant des combustibles fossiles et du ciment en 2023 ont atteint un record (36.8 G tonnes), qu’il ne reste plus que 5 années avant que le budget carbone nécessaire pour avoir 50 % de chances de rester en dessous de 1,5°C ne soit épuisé, que le réchauffement de la planète en 2023, en degrés C au-dessus des niveaux préindustriels a atteint 1.43°C, ce qui constitue également un record. Faut-il s’étonner que « le secrétaire général de l’ONU, António Guterres, s’est prononcé en faveur d’une taxe sur les gains réalisés par les entreprises de combustibles fossiles, qu’il a qualifiées de « parrains du chaos climatique », a rapporté l’Associated Press. Selon BBC News, il a également appelé à l’interdiction de la publicité pour les combustibles fossiles. » Mais qui se soucie des demandes pressantes du Secrétaire générale de l’ONU ? Le « réseau de la rue » ?
Marc Bonhomme, 9 juin 2024
www.marcbonhomme.com ; bonmarc videotron.ca