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Les résultats électoraux au niveau européen témoignent surtout (ils sont une photographie, certes déformée) de la grande crise sociale et politique qui traverse le continent après vingt ans de politiques d’austérité, de crises multiples, y compris environnementale, d’affrontements économiques et politiques internationaux de plus en plus durs, et d’un climat de guerre chaque jour alimenté par les terribles guerres déjà en cours en Ukraine et en Palestine, mais pas seulement.
La crise s’exprime d’abord par la désaffection pour le vote qui caractérise de nombreux pays de l’UE, mais qui est particulièrement évidente dans notre pays, où pour la première fois, elle passe sous la barre des 50% (6 points de pourcentage de moins qu’en 2019) des électeurs avec des pourcentages d’abstentionnisme dramatiques dans le Sud et en particulier dans les Îles où seulement 37% se sont rendus aux urnes.
Le premier élémént est donc celle du non-vote, qui photographie un mélange de désillusion et de fragmentation sociale qui affecte durablement le sens commun.
Le second élément est que les gouvernements des deux principaux (et premiers) pays de l’UE, la France et l’Allemagne, sont battus à plate couture par les oppositions : en Allemagne par un parti populaire de plus en plus à droite qui arrive en tête et par les fascistes de l’AfD, qui arrivent en deuxième position avec l’effondrement des sociaux-démocrates ; en France, le parti de Macron s’effondre et le RN de Le Pen arrive en tête avec 32% des suffrages. Dans de nombreux autres pays, les formations d’extrême droite obtiennent des résultats soudains et constants en s’emparant du malaise, de la colère et de l’insécurité répandus dans la société, de la peur de l’avenir et en agitant le croquemitaine de l’immigration. C’est ce que l’on appelle la vague noire sur l’Europe, dont ceux qui ont guidé les politiques économiques et sociales des institutions européennes pendant toutes ces années sont les premiers responsables politiques.
Le chaos règne en France où le renforcement du RN, mené par Le Pen-Bardella, a poussé Macron à dissoudre le parlement et à retourner aux urnes dans trois semaines pour tenter de gagner avec la tactique éprouvée du vote utile républicain dans le cadre d’une loi électorale encore plus exclusive que celle qui, en Italie, combinant abstentions et absence de quorum, écarte 65% des électeurs de la possibilité de représentation.
Si ici et là, dans des pays petits ou moyens, les forces sociales-démocrates et apparentées parviennent à mieux défendre leurs positions, au niveau des élus, la vieille gouvernance politique composée de populaires, de libéraux et de sociaux-démocrates dispose encore d’une majorité possible, une majorité qui a déjà basculé à droite comme l’ont montré le récent pacte sur l’immigration et la réédition du pacte de stabilité ainsi que les choix réarmistes. Aujourd’hui donc, avec le renforcement global de l’extrême droite, il est impensable que la gestion de l’Union ne connaisse pas un nouveau glissement à droite en commençant par les questions du climat, et donc de la transition dite verte, sans oublier le welfare et les conditions de vie des salariés et du salariat.
En Italie, la polarisation a favorisé Giorgia Meloni et Fratelli d’Italia d’un côté, Schlein et le PD de l’autre.
Meloni et son gouvernement sortent renforcés de ce vote, même s’ils devront faire face à l’épreuve difficile de la loi financière. Meloni a également la possibilité de jouer un rôle plus important au sein de l’UE ; nous verrons quelles cartes elle essaiera d’utiliser. Parmi les perdants de la droite figure la Ligue de Salvini, que même l’effet Vannacci ne parvient pas à maintenir au-dessus de 10 % ; dans le même temps, Forza Italia, déjà considérée comme moribonde, réapparaît, principalement grâce au vote méridional.
La droite a facilement remporté le vote régional dans le Piémont, même si le PD a réussi à se maintenir assez bien dans son rôle de force d’opposition.
Le FDI gagne et devient hégémonique, mais dans le contexte de l’abstention, il obtient 600 mille voix de moins qu’aux élections générales ; il en va de même pour la Ligue, qui perd 375 mille voix.
Le PD se révèle être le parti d’opposition le plus structuré ; il dépasse les 24% avec Schlein qui sort plus fort ; le PD est le premier parti dans les grandes villes comme Turin et Milan, et obtient 250.000 voix de plus qu’il y a 2 ans.
Nous verrons si le vote administratif dans les villes confirmera non seulement la résistance du PD au niveau local, mais aussi son renforcement au sein du gouvernement municipal.
Le prix de la polarisation est payé par le M5S, qui plafonne à 10 % et qui, même à ce niveau, met en évidence non seulement sa faiblesse structurelle, mais aussi sa faiblesse politique. Le PD a désormais entre les mains le jeu des recompositions possibles des forces d’opposition, en tenant compte également de l’échec de Calenda et Renzi, frappés par la personnalisation et embourbés dans l’obstacle des seuil, qu’ils avaient pourtant préconisés.
Au contraire, l’Alliance des Verts et de la Gauche a construit une campagne électorale efficace tant en termes d’identification de candidats emblématiques et symboliques qu’en termes de gestion politique, réussissant ainsi à obtenir un résultat supérieur aux attentes. Elle exploite pleinement ce sentiment présent dans des couches d’électeurs qui voudraient non seulement un PD déplacé vers la gauche, mais aussi une formation qui soit son alliée mais qui, en même temps, puisse la conditionner de façon minimale, d’autant plus à l’époque du gouvernement de droite. C’est une illusion bien sûr, mais aussi une dynamique politique à laquelle l’ancienne Rifondazione s’était déjà heurtée. Et en effet, dès les déclarations prononcées dans les premières minutes qui ont suivi la sortie des urnes, le duo Bonelli-Fratoianni a mis à la disposition du PD le bon résultat obtenu, grâce aussi aux candidatures du prisonnier antifasciste et de Mimmo Lucano, non seulement élu au Parlement européen, mais aussi réélu maire de Riace.
La créature hybride et étrange de Santoro, seule liste à avoir recueilli des signatures circonscription par circonscription, n’a jamais réussi à décoller en raison du manque d’attractivité d’une liste trop hétérogène et, pour certains noms, ambiguë et même campée par rapport au concept de paix qui aurait dû être le ciment de la coalition.
En ajoutant les candidats pacifistes du PD à la figure du M5S, qui a inscrit l’ashtag paix dans son symbole électoral, et aux voix de l’AVS et du PTD, la revendication anti-guerre plus ou moins confuse, au milieu de nombreuses contradictions politiques, montre une certaine cohérence, même si elle ne s’est plus matérialisée sur les places sous les formes connues il y a encore quelques années.
Bien sûr, il faudra regarder de plus près les données - pays par pays - surtout celles de l’Allemagne (où les scissions ambiguës de Sahra Wagenknecht ont asséché le bassin électoral de la Linke) et de la France, pour essayer de comprendre la dynamique d’une vague noire qui concerne aussi l’Italie, où la gauche radicale a depuis longtemps émoussé les armes ou cédé au PD des champs si vastes qu’ils empêchent tout regroupement social et politique capable d’imaginer des alternatives et non pas des alternances.
Après l’affrontement électoral vient la dimension sociale de l’affrontement de classe sur le terrain, des salaires, de l’emploi, des morts au travail, de la santé et du retour intégral aux énergies fossiles. Ce sera la partie décisive. Le résultat n’est certes pas particulièrement favorable aux organisations de la classe ouvrière et aux forces anticapitalistes de l’alternative ; celles-ci ne sont pas seulementfaibles ou inefficaces sur le plan électoral, mais aussi et surtout sur le plan politique et dans leur insertion sociale et syndicale. A la gauche du PD et de l’AVS, il n’y a pas pour l’instant de processus de recomposition prévisible à court terme, et donc peut-être que la force d’attraction des composantes campistes va continuer à croître, elle qui, à leur décharge, ont réussi à avoir un certain enracinement dans la jeunesse et sont trop occupées à consolider une micro-hégémonie sur ce qui reste des zones antagonistes pour se poser le problème d’élargir leur regard sur les urgences de l’étape.
En premier lieu, la nécessité de construire un large front social et politique de classe capable de s’opposer massivement aux attaques et aux politiques de la droite plus ou moins extrême, en donnant naissance à des comités unitaires dans toutes les villes, tous les territoires et tous les lieux de travail. La vague noire qui déferle sur l’Europe constitue un grave danger pour le mouvement et l’avenir des travailleurs, non seulement sur le plan social et économique, mais aussi dans les espaces démocratiques eux-mêmes. Une mobilisation antifasciste immédiate et active est nécessaire, sans plus attendre.
De même que le soutien à la lutte de GKN reste à l’ordre du jour, dont l’issue affecte le mouvement de classe dans son ensemble.
Un débat va-t-il s’ouvrir à gauche - à commencer par Rifondazione, qui en est encore la partie la plus substantielle - avec des accroches comme « retournons dans les territoires » et avec des épreuves de force, ou une véritable discussion, ancrée dans les besoins de la lutte des classes, va-t-elle enfin s’ouvrir sur le type de gauche qu’il faudrait pour sortir d’un modèle de développement désastreux, reconstruire une conscience de classe, redonner de l’espoir et de la cohésion ? La première tâche est certainement de créer les conditions pour construire une opposition sociale forte et gagnante contre le gouvernement de droite en favorisant simultanément l’agrégation de forces anticapitalistes en rupture avec le système économique actuel, et en ne se limitant pas à essayer de construire un espace un peu plus large dans une nouvelle alliance d’un gouvernement avec le PD qui, même dans ce passage électoral, au-delà de l’effervescence « rénovatrice » plus symbolique que réelle de Schlein, n’a en rien rompu avec ses exigences politiques stratégiques de base, c’est-à-dire avec sa nature.
SINISTRA ANTICAPITALISTA