Jean-Luc Melenchon en amont d’un rallye politique à Lyon le 6 juin 2024 avant le scrutin européen. Son style de gouvernance créé aujourd’hui des tensions au sein de la jeune coalition Nouveau Front Populaire. Olivier Chassignol/AFP
D’apparence, la situation semblait favorable au sein du Nouveau Front populaire pour lancer une dynamique d’ampleur pour les législatives de 2024. Sous l’égide de l’union et de l’opposition au Rassemblement national, les différentes formations politiques de gauche ont formé une coalition, élaboré un programme commun, et se sont mis d’accord sur la stratégie d’un candidat unique par circonscription.
Mais dans la soirée du vendredi 14 juin est annoncé que cinq des députés insoumis, compagnon de route de Jean-Luc Mélenchon : Alexis Corbière (Seine-Saint-Denis), Raquel Garrido (Seine-Saint-Denis), Danielle Simonnet (Paris), Frédéric Mathieu (Ille-et-Vilaine) et Hendrik Davi (Bouches-du-Rhône), ne seront pas réinvestis sous l’étiquette LFI pour les législatives.
Certaines voix s’élèvent et évoquent une « purge » des députés ayant ouvertement critiqué le fonctionnement interne du mouvement, ainsi que certaines prises de position de son leader-fondateur.
Cette décision a stupéfait les différentes formations politiques qui composent le Nouveau Front populaire, ainsi que dans les rangs des insoumis, la qualifiant d’« irresponsable et dangereux ». Cette incompréhension est d’autant plus forte en raison de la courte période d’organisation des législatives et de la montée en puissance du Rassemblement national aux élections européennes de 2024. La stratégie attendue aurait été de reconduire les députés sortants, capitalisant ainsi sur leur capital autochtonie et médiatique, évitant ainsi de remobiliser des militants et des moyens financier qui auraient pu être utilisés dans d’autres circonscriptions.
Cette situation est d’autant plus absconse que le député sortant de la 1re circonscription de Lille, Adrien Quatennens, s’était vu réinvesti alors même qu’il était largement contesté au sein des formations politiques de gauche, après avoir été condamné à quatre mois de prison avec sursis pour des violences conjugales sur son ex-compagne.
Finalement, il annonce renoncer à se présenter, laissant sa place à Aurélien Le Cocq, co-animateur des jeunes Insoumis et candidat en dixième position aux élections européennes.
Aujourd’hui, Jean-Luc Mélenchon paraît toujours un peu plus - aux yeux de ses dissidents, avec Clémentine Autain et François Ruffin en tête, et plus largement au sein de la gauche - comme un « agent perturbateur », dont les décisions relèvent davantage du personnel que du collectif. Cela soulève des interrogations quant à la capacité de Jean-Luc Mélenchon à continuer d’incarner une figure de stabilité et de présidentialité pour son mouvement.
L’ombre d’un leader toujours présent
Malgré son retrait annoncé, Jean-Luc Mélenchon garde une influence centrale sur la direction, la ligne politique de LFI et plus récemment les investitures. Cela est devenu évident lors de la nomination à l’unanimité de Manuel Bompard, un fidèle de l’ancien candidat, à la tête de la coordination du mouvement.
Les 21 membres de la « Coordination des Espaces » impliqués dans cette décision comprennent des proches du leader tels que Sophia Chikirou, Gabriel Amard, Mathilde Panot, Louis Boyard, Danièle Obono, Clémence Guetté et Manon Aubry, tous membres de sa garde rapprochée. En revanche, certains, tels qu’Alexis Corbière, Clémentine Autain, François Ruffin et Eric Coquerel, affirment ne pas avoir été consultés et se retrouvent écartés des instances opérationnelles.
Cette désignation est perçue par certains membres en interne comme « une purge », un acte de « verrouillage » ou encore une forme d’« autodésignation ». Cette nomination est révélatrice de l’influence persistante de Jean-Luc Mélenchon sur la direction du parti.
En parallèle, en assumant la co-présidence avec Clémence Guetté de l’Institut La Boétie, il conserve une position stratégique au sein du mouvement. Cet institut est conçu comme un laboratoire d’idée pour le parti et de formation des futurs cadres, axant ses programmes sur les thématiques chères à l’ancien candidat, lui permettant de continuer à exercer une emprise idéologique et de façonner les futurs leaders du parti selon ses principes et sa vision politique.
Une société de cour
Malgré les critiques et les dissidences, Jean-Luc Mélenchon reste le centre de gravité du mouvement, renforcé par une garde rapprochée qui fonctionne comme une société de cour. Ce cercle d’intimes, composé de proches et de fidèles, joue un rôle clef dans la direction et les stratégies du parti, écartant critiques et dissidents.
Raquel Garrido sera la première à en subir les conséquences, suspendue de son rôle de porte-parole à l’Assemblée nationale pour une durée de quatre mois par le « bureau politique », un organe qui ne figure dans aucun organigramme du mouvement. Cette sanction fait suite à ses critiques publiques de la stratégie et de la direction de LFI, et notamment contre son leader [voir ci-dessous son tweet à ce sujet].
Des reproches se sont rapidement élevés, condamnant la sanction prise contre Garrido et établissant un parallèle avec celle d’Adrien Quatennens, exclu du groupe parlementaire pour quatre mois suite à sa condamnation pour violences conjugales.
Clémentine Autain considère cette sanction comme un cas de « deux poids, deux mesures ». Elle note que les députées Danièle Obono et Sophia Chikirou, proches du leader, n’ont pas été inquiétées par ce bureau pour leurs différentes affaires : Obono ayant qualifié le Hamas de « mouvement de résistance », et Chikirou risquant une mise en examen pour escroquerie aggravée.
Un blocage systématique des velléités de démocratie
Le verrouillage et le déficit de démocratie interne laissent à Jean-Luc Mélenchon le rôle de seul décideur au sein du mouvement. Cette position est renforcée par l’arrivée de primo-députés, élus lors des législatives de 2022, qui lui manifestent une grande loyauté. Cette dynamique solidifie non seulement sa position prééminente au sein du mouvement, mais garantit également l’engagement fidèle de ses alliés. La loyauté et l’interdépendance entre leader et ses « courtisans » consolident son influence et son pouvoir au sein de LFI. En d’autres termes, cette situation lui permet de maintenir son emprise sur le parti et de s’appuyer sur leur loyauté inébranlable.
En reprenant l’image de la société de cour de Norbert Elias, on peut comparer le mouvement à une monarchie absolue. Dans ce système, le fonctionnement est informel et arbitraire, dicté par la volonté d’un seul homme ou de quelques-uns de ses fidèles. Quant à sa base militante, elle n’exerce, aucune influence sur les décisions du parti. Le sociologue français Manuel Cervera-Marzal qui a publié en 2021 une enquête sociologique sur la France Insoumise, caractérise les militants insoumis comme étant « sans droits et sans devoirs ».
La mainmise exercée par l’entourage fidèle à Jean-Luc Mélenchon au sein du mouvement cristallise un blocage systématique des velléités de démocratie et de pluralisme internes. Cette stratégie de verrouillage, centrée sur la figure de son leader, étouffe toute tentative de renouveau ou de divergence idéologique. En réaction, les figures dissidentes pourraient trouver un second souffle au sein du Nouveau Front populaire, s’affranchissant ainsi de la tutelle du leadership établi.
## Le Nouveau Front populaire une opportunité pour les dissidents ?
Le Nouveau Front populaire offre aux dissidents les plus médiatisés, tels que François Ruffin, Clémentine Autain, Alexis Corbière, une fenêtre d’opportunité unique pour contester le leadership de Jean-Luc Mélenchon sur la gauche. François Ruffin a été la première personnalité de gauche à appeler à l’union sous la bannière d’un Front populaire, dès l’annonce de la dissolution de l’Assemblée nationale par Emmanuel Macron.
Vidéo : ‘Nous avons retrouvé l’envie’ : Ruffin cite Johnny et soutient Corbière en plein meeting, 18 juin 2024.
De plus, le député de la 1re circonscription de la Somme a acquis un capital sympathie au sein de la gauche. Il est d’ailleurs présenté comme la première personnalité insoumise et la troisième personnalité de gauche préférée des Français, avec 24 % d’image positive et 36 % d’image négative, face au leader insoumis qui obtient 16 % d’image positive et 70 % d’image négative.
Ainsi, les législatives offrent une opportunité pour François Ruffin (réinvestit par les législatives sous l’étiquette LFI) d’apparaître comme un des leaders du Nouveau Front populaire et de s’affirmer comme une voix indépendante des insoumises. Il ne reste plus qu’à se poser la question si ses ressources et capitaux lui permettront de défier Jean-Luc Mélenchon – qui reste malgré tout une personnalité centrale au sein de son mouvement – et de capitaliser dessus pour apparaître comme un candidat présidentiable.
Quoi qu’il en soit, aujourd’hui, il est bel et bien sorti de l’orbite insoumise, prenant de plus en plus ses distance avec LFI et de son leader, dont il a critiqué, avec Clémentine Autain (également réinvestie pour les législatives sous l’étiquette LFI), la décision de ne pas réinvestir Alexis Corbière, Raquel Garrido, Danielle Simonnet, Frédéric Mathieu et Hendrik Davi.
Il semble que les appels à la démocratisation et à une ouverture plus large du mouvement émanant des dissidents ne soient pas de sitôt écoutés par le leader insoumis et ses fidèles. Au contraire, on assiste à une ossification de l’emprise de Jean-Luc Mélenchon sur l’appareil insoumis avec l’éviction d’une partie des voix discordantes.
Ludovic Grave, Doctorant en science politique, Université de Lille
* Le tweet de Raquel Garrido :
< !—> http://theconversation.com/republishing-guidelines —>