LeLe Rassemblement national (RN) tâtonne. Si le parti d’extrême droite affirme régulièrement qu’il entend « monter en compétences » sur la question écologique, faire émerger idées et personnalités pour engranger des voix aux prochaines élections, il montre également les faiblesses de sa vision des questions écologiques, qui se heurte à la réalité scientifique et met à mal son statut d’autoproclamé « premier parti écologiste de France ».
Le virage n’est pas tout à fait neuf. En 2019 déjà, pour les élections européennes, le RN faisait la promotion de son courant « localiste », protectionniste et identitaire, par opposition aux « mondialistes » désignés comme adversaires. Dans les rangs du parti dirigé par Jordan Bardella, on revendique désormais d’avoir vu avant les autres la corrélation entre mondialisation, consommation effrénée et ravages sur la nature.
« On a toujours défendu la lutte contre le mondialisme, la société de consommation... d’une certaine manière, on a toujours été les plus écolos des écolos », ose le député RN Pierre Meurin.
Le courant localiste, porté à l’époque par Hervé Juvin, eurodéputé écarté depuis novembre 2022 après la révélation de sa condamnation pour violences conjugales, est aujourd’hui incarné par Andréa Kotarac. Issu des mouvements identitaires, ce courant met l’accent sur les circuits courts, la production locale et la réindustrialisation, en se concentrant quasi exclusivement sur les émissions de CO2 liées aux importations.
Il insiste surtout sur la menace que représenteraient les migrant·es, décrit·es comme une « espèce invasive » qui menacerait l’équilibre d’un écosystème. Hervé Juvin expliquait ainsi en 2019, sur BFMTV, qu’« un système vivant complexe ne survit pas à des espèces invasives. Les espèces invasives, c’est aujourd’hui la finance mondialisée […] et puis ce sont aussi les migrations de masse. Aucun système vivant complexe ne résiste à des migrations de masse ».
Cofondateur du courant localiste et collaborateur de Marine Le Pen, Andréa Kotarac appelait, à l’occasion des 50 ans du RN, à limiter « l’explosion démographique du monde » pour lutter contre le dérèglement climatique, assurant que l’écologie était « au cœur du projet politique » du parti. Ancien militant de La France insoumise (LFI), il coordonne un groupe de travail sur l’écologie au sein du RN, pour traduire les idées du parti en propositions de lois concrètes.
Pour Stéphane François, politiste auteur des Vert-Bruns. L’écologie de l’extrême droite française (Le Bord de l’eau), cette vision localiste est surtout populiste et xénophobe : « Dans le dernier programme présidentiel du parti, à toutes les questions écologiques, ils répondent “frontière”. Mais les questions écologiques sont par essence transnationales. C’est du sophisme, ce n’est pas de l’écologie. »
Haro sur l’écologie « punitive »
Dans son dernier discours du 1er mai au Havre (Seine-Maritime), Marine Le Pen avait détaillé ses critiques de l’écologie « punitive ». Lancée dans une longue diatribe, la présidente du groupe RN à l’Assemblée nationale s’était attaquée aux « climato-hypocrites » partisans d’une décroissance synonyme, selon elle, de disparition civilisationnelle, assurant qu’elle incarnait « depuis dix ans la vraie écologie ».
Après avoir raillé « l’écologie punitive qui fait la chasse à la voiture thermique », l’ancienne candidate à la présidentielle avait détaillé sa vision catastrophiste : « Derrière cette démarche très idéologique rôde l’idée de la disparition de l’activité industrielle et même de toute activité humaine. D’une vision apocalyptique, ils nous entraînent vers une logique de régression et même d’extinction. »
Le ciblage de l’écologie dite « punitive », systématiquement intégrée dans une critique des « bobos parisiens », est le cœur du discours du parti d’extrême droite, qui rejoint sur ce point la droite française et Emmanuel Macron. Au Salon du Bourget, au mois de juin, le président avait lui-même plaidé pour une « sobriété bien organisée, non punitive ».Le discours du RN s’articule autour d’une promesse, à rebours du consensus scientifique sur le dérèglement climatique : faire de l’écologie sans changer les modes de vie des citoyen·nes.
C’est ainsi que les député·es RN se retrouvent en première ligne, dans leurs circonscriptions, pour lutter contre l’implantation d’éoliennes, ou le « zéro artificialisation nette » des sols, décrit comme une attaque directe contre la France des pavillons, cible électorale privilégiée du parti.
Auprès de Mediapart, Pierre Meurin, député RN du Gard qui se définit lui-même comme « hyper écolo », se pose en défenseur de la France rurale : « Nos compatriotes savent très bien que la France des pavillons, des propriétaires, la France des automobilistes, est stigmatisée pour des gains écologiques tout à fait mineurs à l’échelle de la planète. »
Une France rurale fantasmée
L’argument revient comme un mantra : puisque la France n’est responsable que de 1 % des émissions de CO2 planétaires, pas question de proposer des mesures qui pourraient être impopulaires. Un raisonnement qui fait abstraction d’autres données, comme les émissions de CO2 par habitant ou le long historique des pays industrialisés qui émettent des gaz à effet de serre depuis deux siècles. L’astuce rhétorique permet surtout de renvoyer à d’autres la responsabilité d’organiser une véritable transition écologique.
Le paradoxe des arguments écologistes du RN se retrouve bien là : une vision identitaire et protectionniste pour faire face à des changements mondiaux et un rapport très relatif à l’urgence climatique. « Il faut se donner plus de temps, plaide encore Pierre Meurin. Même si on est d’accord sur l’urgence, on ne transforme pas une société aussi radicalement, sauf à instaurer une dictature. »
Le parti tente d’imposer le concept d’une écologie « de bon sens », qui se résume bien souvent à de grandes formules sans substance. « Nous ne croyons pas dans la décroissance, nous croyons en la puissance », annonçait Marine Le Pen au Havre, répétant sa foi en l’homme et en la science. Une façon de remettre à plus tard les grandes transformations de la société qui pourraient crisper de potentiels électeurs.
Pour Stéphane François, cette position paradoxale s’explique assez simplement : « Le FN est un parti attrape-tout, poujadiste, qui surfe sur la grogne des citoyens. À partir de cemoment-là, on promet de ne pas toucher aux modes de vie des gens. C’est un discours très dangereux. »
Cette vision fantasmée d’une ruralité sobre par essence, écologiste par nature et victime d’une stigmatisation de l’élite citadine permet au parti d’extrême droite de soigner un électorat précieux. Ainsi se fait-il très discret sur la responsabilité de l’agriculture intensive dans les émissions de CO2 françaises et étonnamment bruyant quand il s’agit de défendre les piscines individuelles ou les voitures qui roulent au diesel.
Le RN s’inspire ouvertement du modèle néerlandais, où le parti populiste agrarien Mouvement agriculteur-citoyen (BBB) a remporté les élections régionales au printemps en capitalisant sur un rejet dans le monde rural de réformes écologistes.
Au Parlement européen, les eurodéputé·es RN sont ainsi engagé·es dans une bataille contre le texte sur la « restauration de la nature », accusé de « gravement entraver la productivité de notre agriculture et comprom[ettre] notre sécurité alimentaire ». L’inspirateur de la doctrine localiste et ancien « Monsieur écologie » du parti, Hervé Juvin, avait, lui, voté pour le texte lors d’un scrutin au mois de juillet.
L’argumentaire du Rassemblement national oblige à toutes les contorsions. La foi en la science affichée par les cadres du RN les amène ainsi à reconnaître l’autorité des travaux des scientifiques du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec), mais lorsque ceux-ci font leurs recommandations, qui impliquent des changements radicaux des modes de vie, ils sont moqués pour leur « tendance à exagérer », comme l’a déclaré le député Thomas Ménagé au mois d’août.
Une maladresse pour Pierre Meurin, qui coordonne les travaux des député·es RN de la commission développement durable. Des mots pourtant prononcés presque à l’identique par Marine Le Pen en marge du 1er mai, ou par le député RN agriculteur Christophe Barthès, qui déclarait au Monde : « Il y a quand même des scientifiques qui disent que l’homme n’y est pour rien, mais est-ce qu’on leur laisse la parole ? »
Le techno-solutionnisme affirmé par le parti d’extrême droite, qui espère voir la recherche scientifique trouver des échappatoires au manque d’eau, ou des alternatives aux carburants polluants, permet surtout d’éviter d’aborder la question de la sobriété, particulièrement absente de ses programmes. Quitte à compter sur des mirages comme l’hydrogène, solution miracle brandie par Marine Le Pen pendant la campagne présidentielle, dont des études ont montré l’énorme empreinte carbone.
Youmni Kezzouf
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