Limoges (Haute-Vienne).– « Un tracteur, une remorque plateau : c’est simple, c’est beau et ça fait le taf ! » Ce 18 juin en fin de journée, Guillaume Ancelet est aux anges quand il découvre la tribune du meeting de soutien aux candidat·es du Nouveau Front populaire (NFP) sur le Champ de Juillet, à Limoges. Le président de Picardie debout, le parti de François Ruffin, a fait le déplacement depuis la Somme pour soutenir les camarades – les Insoumis Damien Maudet et Manon Meunier et le socialiste Stéphane Delautrette, qui concourent à leur réélection aux élections législatives du 30 juin et du 7 juillet.
Il y a quelques jours, Guillaume Ancelet a appris qu’il n’était pas réinvesti par La France insoumise (LFI) dans sa circonscription picarde, où ce prof d’éducation physique et sportive était candidat en 2022 – la « méthode Ruffin » n’a pas les faveurs de la direction du mouvement, qui a mis à l’écart les éléments discordants.
Alors il s’est demandé : « À quel endroit je peux être utile ? Auprès des camarades sortants et dans les “swing circos” ! », explique-t-il, reprenant l’expression de François Ruffin à propos des circonscriptions où l’écart entre le Rassemblement national (RN) et la gauche est le plus faible. Voilà donc Guillaume Ancelet en t-shirt du Limoges CSP floqué « Front populaire », transmettant sa bonne humeur et son savoir-faire d’agitateur politique aux Limougeaud·es.
Johanne Rolland (PS), Damien Maudet, Clémentine Autain et Guillaume Ancelet lors du meeting de soutien aux candidat·es du Nouveau Front populaire (NFP) à Limoges le 18 juin 2024. © Photo Mathieu Dejean / Mediapart
Contrairement à 2022, la campagne éclair de 2024 ne laisse cependant pas autant la possibilité aux candidat·es d’organiser d’ambitieuses déambulations festives et autres « Jeux olympicards » dont il a le secret. « En deux semaines, on n’a pas le temps de jouer, il faut être plus efficace : du porte-à-porte en masse, et on aura le 14-Juillet pour fêter ça », sourit-il en pensant à la victoire possible de la coalition de gauche.
C’est ni plus ni moins ce que les ruffinistes ont en ligne de mire. Les remontées du terrain témoignent d’une ambiance « très clivée » entre électeurs du RN et soutiens du NFP, mais il y a un coup à jouer avec l’élargissement de l’alliance, à condition que l’électorat de gauche et du centre se mobilise.
« Remonter la pente du pire »
Alors Guillaume Ancelet égraine sa méthode. D’abord mobiliser les bastions de gauche en porte-à-porte et faire boule de neige : « Si on vote déjà pour nous, il faut demander à faire passer le message aux voisins, collègues, amis, car on ne va pas pouvoir ouvrir toutes les portes en quinze jours. » Ensuite, rappeler aux électrices et électeurs de faire procuration. Enfin : « Éloigner le fatalisme, démobiliser l’adversaire : 88 députés RN ont désormais un bilan, et ce qu’ils ont montré à l’Assemblée nationale devrait mettre la puce à l’oreille – ma députée a même voté contre la constitutionnalisation de l’IVG ! », développe-t-il.
Ils sont comme ça, les ruffinistes : méthodiques sous leurs airs joyeusement foutraques. Damien Maudet en sait quelque chose. Le jeune député sortant de la première circonscription, ancien collaborateur parlementaire de François Ruffin, a été formé à cette école. Un portrait du « député reporteur » orne ses tracts, comme ceux de sa collègue Manon Meunier, de la troisième circonscription.
D’autres député·es ont fait ce choix dans d’autres départements ruraux, confirmant le poids pris par le réalisateur de Merci patron ! qui marque désormais une distance claire et nette avec la direction de LFI (« Le front populaire, c’est une gauche généreuse et joyeuse, et non plus hargneuse, teigneuse, rageuse », a-t-il déclaré à Montreuil).
Mais les remous qui font tanguer le NFP au sommet sont loin des préoccupations immédiates des député·es dissous. En Haute-Vienne, haut lieu de la Résistance, comme ailleurs, le RN est arrivé en tête aux élections européennes du 9 juin. Alors il faut « remonter la pente du pire », comme le dira Clémentine Autain à la tribune, venue en soutien à ses ami·es.
Guillaume Ancelet, président de Picardie Debout. © Photo Mathieu Dejean / Mediapart
« L’argument du vote barrage ne suffit pas et on n’est pas portés par l’espoir des 22 % [le résultat de Jean-Luc Mélenchon à la présidentielle – ndlr] comme en 2022. De plus en plus de gens assument un vote RN quand les électeurs de gauche se regardent un peu les pompes », résume Damien Maudet entre deux tracts distribués devant la crèche Jean-Gagnant.
Vincent Bastié, militant au Parti communiste français (PCF) qui travaille dans la sécurité incendie, avise Damien Maudet, qu’il connaît depuis ses années d’études. Lui aussi convient qu’il y à fort à faire pour contenir les foyers électoraux de l’extrême droite dans les ruralités : « Un de mes amis avec qui je joue au rugby vote Bardella alors qu’il a un portrait du Che accroché chez lui et que ses parents votaient communiste. Il est intérimaire, en galère depuis toujours. Comment lui expliquer que le PS a changé après l’investiture de François Hollande [candidat en Corrèze pour le NFP – ndlr] ? », regrette-t-il.
En Haute-Vienne aussi, la dédiabolisation du RN a fait effet. Christelle Delome, secrétaire à la vie syndicale de l’union locale CGT, le mesure au nombre de tracts refusés par les salarié·es : « Le vote RN est décomplexé, ils n’ont plus l’étiquette de racistes, on n’avait jamais eu ça. Quand on dit que Bardella c’est l’extrême droite, les gens ne nous croient pas. » Quelques minutes plus tôt, ce 18 juin, le Comité confédéral national de la CGT venait de prendre une décision rare : le syndicat appelle officiellement « les salariés, retraités et privés d’emploi à aller voter le plus nombreux et nombreuses possible les 30 juin et 7 juillet pour le programme du Nouveau Front populaire ».
Mobiliser l’électorat de gauche, démobiliser l’électorat RN
La création du NFP, répondant à la pression à l’union, a soulevé un élan populaire général même s’il reste pour l’instant défensif. En l’espace de quelques jours, après la dissolution, la boucle Telegram militante de la circonscription de Damien Maudet est passée de 165 à 313 membres. Beaucoup de néomilitant·es qu’il n’aura pas le temps de « former » et qu’il faut néanmoins organiser : « On a peu de temps et beaucoup de monde, on ne peut donc pas improviser », explique-t-il. Il suivra grosso modo le plan énoncé par François Ruffin dans une vidéo : du terrain, du terrain, du terrain. « C’est dans la relation directe aux gens que ça va se jouer, et dans l’écoute. Il faut être une courroie de transmission », abonde le socialiste Stéphane Delautrette, qui a été maire pendant quinze ans.
Des militants tractent à Limoges le 18 juin 2024 pour le Nouveau Front populaire. © Photo Mathieu Dejean / Mediapart
François Ruffin devait venir les soutenir à Limoges ce jour-là. Il a décommandé au dernier moment (et s’est fait remplacer au pied levé par Clémentine Autain, avec qui il partage une culture unitaire) pour se rendre au chevet des soignant·es en grève à Abbeville (Somme), dans sa circonscription, où le RN a fait une percée aux européennes. Dans une vidéo diffusée devant les quelque 1 200 personnes rassemblées sur le Champ de Juillet, François Ruffin a toutefois transmis un message optimiste : « Imaginez votre fierté le 7 juillet au soir si jamais en Haute-Vienne vous avez un département entier qui est à gauche, à l’équivalent de la Seine-Saint-Denis quoi ! Ce serait formidable d’unir ainsi en un vote populaire la France des bourgs et la France des tours. »
Depuis deux ans, Manon Meunier, élue dans la circonscription la plus rurale (79 communes) et la plus pauvre de Haute-Vienne, a lutté contre l’image urbaine qui colle à la peau de LFI, en travaillant à un plan pour les ruralités. Ingénieure agronome de formation, elle a aussi défendu les agriculteurs, avec qui le dialogue n’a pas toujours été facile. « On a un bilan à défendre, on a arraché des victoires, y compris localement où on a empêché trois classes de fermer en 2023 : si on renverse vraiment la table on obtiendra bien plus, pour encadrer les marges de l’agroalimentaire et augmenter les marges des agriculteurs par exemple », défend-elle.
Dans la foule sur le Champ de Juillet, alors que résonne l’hymne de l’Unité populaire chilienne, El pueblo unido jamás será vencido, un groupe de lycéens de 18 ans se prend à rêver. Tous ont voté pour la première fois le 9 juin. Le résultat leur a mis « un coup de pied aux fesses » et ils ont rejoint illico les boucles de Damien Maudet et Manon Meunier pour leur prêter main-forte.
Ils rapportent l’ébullition politique de la jeunesse, elle aussi scindée en deux : « Au lycée, depuis le 9 juin tout le monde parle politique et c’est manichéen : soit RN, soit Front populaire. Quand des copains s’y intéressent, on essaye de les éduquer de la bonne façon. On en a retourné un dont les deux parents votent RN ! », narre Corentin. Le 8 juillet, pour eux, les résultats au bac pourraient n’être qu’une nouvelle secondaire.
Mathieu Dejean