La victoire de la gauche en France, battant l’extrême droite aux élections législatives, a fait la une des journaux et rempli d’espoir ceux qui luttent pour une autre société. Comment cette victoire a-t-elle été possible, après un premier tour qui laissait entrevoir la possibilité d’une majorité absolue pour l’ultra-droite ?
L’extrême droite n’est pas une nouveauté en France, c’est un phénomène international, l’une des expressions les plus terribles de la crise chronique du capitalisme qui s’est ouverte après la crise économique de 2008 et qui se manifeste de manière inégale et combinée dans les différents pays. Lors des élections présidentielles de 2022, le Rassemblement national a obtenu 22 % des voix au premier tour, accédant au second tour où il a été battu par Macron qui a bénéficié du soutien d’une large opposition démocratique pour faire barrage à l’extrême-droite.
Par la suite, tout au long du mandat de Macron, celui-ci a concentré ses efforts sur les mesures de redressement budgétaire, notamment la réforme des retraites qui a relevé l’âge minimum de départ à la retraite, et sur une série de contre-réformes qui s’attaquaient aux immigrés, largement inspirées du programme présenté lors des élections présidentielles par Le Pen, la candidate de l’extrême-droite raciste et xénophobe. Le fait que les milieux qu’il représente misent sur l’appauvrissement de la population pour sortir de la crise structurelle que nous connaissons génère une frustration vis-à-vis des promesses de la démocratie libérale et de ses systèmes de représentation, un sentiment facilement récupéré par l’extrême droite, qui porte un masque de radicalité à l’encontre de ce système.
Lors des élections au Parlement européen de cette année, le grand perdant a été le mouvement Macron, Essemble, qui n’a recueilli que 20 % des suffrages. La forte progression de l’extrême droite, qui a vu le Rassemblement national (RN), arriver en tête avec plus de 30 % des voix, et le fait que la gauche ait conservé ses sièges, alors qu’elle était fragmentée et peinait à se présenter comme une alternative, ont montré le degré d’insatisfaction des électeurs.
À la suite de ce résultat, Macron a doublé la mise en annonçant la dissolution du Parlement et la convocation de nouvelles élections. Il prévoyait qu’en cas d’arrivée au pouvoir de l’extrême droite, une nouvelle grande union démocratique pourrait être créée autour de son groupe, et que même si l’extrême droite obtenait une majorité au parlement, celle-ci serait usée lors des élections suivantes. Un pari absolument irresponsable, qui met en péril des millions d’immigré.e.s, de femmes, de LGBT et de Noir.e.s de nationalité française qui seraient la cible des politiques de l’extrême-droite.
Mais la naissance d’un front uni, fondé sur les besoins de la population et porté par les mouvements sociaux, a changé la donne. En quatre jours seulement après l’annonce des nouvelles élections, le Nouveau Front Populaire (NFP) a été constitué, une union qui a émergé en réponse aux demandes de milliers de personnes qui sont descendues dans la rue après les résultats des élections européennes, et qui a ouvert la voie à la formulation d’un programme minimum de gauche qui se poserait à la fois comme une alternative à l’extrême-droite et à Macron avec son programme de réduction des droits. Il est important de noter qu’il ne s’agit pas seulement d’une alliance entre les organisations de la gauche radicale, ce qui apparaît clairement avec la présence du Parti socialiste, qui a déjà gouverné et s’est adapté au système ; le programme autour duquel ce front s’est unifié répond à l’appel de la rue, des milliers de personnes qui sont descendues dans la rue au cours de la dernière période contre les réformes du gouvernement Macron, et qui sont de nouveau descendues dans la rue contre l’extrême-droite. Il n’est pas surprenant que certains des principaux points soient l’abrogation immédiate des décrets qui ont relevé l’âge de la retraite, l’annulation des restrictions dans le secteur du logement, le gel du prix des denrées alimentaires de base et la défense d’un cessez-le-feu immédiat à Gaza.
Alors que les sondages du premier tour, il y a une semaine, donnaient l’extrême droite en tête, c’est la gauche qui l’a emporté. Et pour comprendre comment cela a été possible, il faut examiner quelques éléments :
1 - L’existence d’une gauche indépendante capable de se présenter comme une alternative, qui n’a pas cédé à la pression des secteurs du centre et de la droite.
2 - Un programme qui a répondu aux attentes de la rue en faisant le lien avec les luttes en cours : que ce soit pour le droit à la retraite et au logement, pour un cessez-le-feu à Gaza ou contre l’extrême-droite. La voie à suivre est de descendre dans la rue.
3 - Faire de la lutte contre l’extrême droite une priorité et une responsabilité : Le Nouveau Front populaire a annoncé qu’il se négligerait aucun effort pour faire échec à l’extrême-droite, retirant des candidats placés en troisième position pour renforcer ceux qui avaient le plus de chances de vaincre l’extrême-droite, un comportement qui n’a pas été pleinement imité par Macron et ses alliés.
Tout cela nous aide à comprendre comment le nouveau Front populaire, en moins d’une semaine, n’a pas seulement été une ultime barrière, comme il l’aurait été si les prévisions s’étaient réalisées, mais a mobilisé des millions de personnes et s’est imposé comme la plus grande force politique, envoyant un message important : il est possible de lutter contre l’extrême-droite tout en avançant un programme qui entend s’opposer au programme néolibéral.
Nous savons que ce mouvement va se poursuivre, que malgré la victoire du Nouveau Front Populaire, le Rassemblement National consolide sa position de premier parti du pays, et que Ensemble et Macron continuent d’avoir une certaine capacité d’action et restent en lice pour la formation d’un gouvernement, mais nous devons sans doute aucun nous réjouir et nous inspirer du courage et de la capacité de résistance de la gauche française !
Victor Gorman