La Flamme olympique dans la main droite, Nikola Karabatic pénètre sur la place de la République à Paris sous les acclamations. Le handballeur français monte sur la scène aux couleurs de Coca-Cola aménagée pour l’occasion. Devant les dizaines de milliers de personnes réunies lundi 15 juillet, il allume le chaudron olympique, applaudi par l’animatrice de la soirée, Laury Thilleman, la ministre des sports Amélie Oudéa-Castéra et le président de Paris 2024 Tony Estanguet.
Au même moment, plusieurs détonations interrompent ce moment de liesse. Quelques dizaines de mètres plus haut, au 5e étage d’un immeuble haussmannien de la place, des canons à confettis explosent, des fumigènes crépitent. Le long d’un balcon filant, un message se dévoile : « JO = 12 000 expulsé·es. Ne pas laisser l’exclusion en héritage ». En contrebas, certaines personnes venues assister au passage de la flamme saluent le message, le filme, d’autres restent dubitatives. « On est là ! On est là ! », entonne la quinzaine de personnes à l’origine de cette action, membres du Revers de la médaille.
Né en septembre 2023, ce collectif rassemble plus de 80 associations qui œuvrent auprès des personnes en situation de précarité. Début juin, il publiait un rapport sur la hausse des expulsions ou des évacuations de lieux de vie informels à Paris et en Île-de-France en amont des JO. Objectif : profiter de la médiatisation de l’événement pour mettre au centre du débat la question de la dignité de la prise en charge des personnes en grande précarité. Sans succès.
Le Revers de la médaille, collectif d’associations accompagnant les plus précaires, a déployé lors du passage de la flamme olympique à Paris le 15 juillet un message pour alerter sur la politique répressive du gouvernement. © Photo Névil Gagnepain / Mediapart
« C’est l’illustration parfaite de la rupture du contrat social », assène Paul Alauzy, assis sur le canapé d’angle de l’appartement place de la République. « Le pouvoir doit écouter les corps intermédiaires. Nous, les associations, on est experts de nos sujets et on devrait pouvoir travailler avec les autorités. Mais nos gouvernants ont décidé de ne plus nous écouter », poursuit le coordinateur à Médecins du Monde et porte-parole du Revers de la médaille. Après un courrier d’alerte envoyé aux pouvoirs publics et resté lettre morte, le collectif se tourne désormais vers les actions médiatiques « coup de poing ». Celle menée lundi a d’ailleurs failli échouer.
En première ligne du nettoyage social
À 19 heures, l’agitation règne dans le salon de l’appartement de la place de la République loué par le collectif pour l’occasion. Une bâche recouvre une partie du parquet en point de Hongrie du salon. La banderole qui doit être déployée dans une heure n’a pas été livrée à temps. La quinzaine de membres du collectif se dépêche pour en confectionner une de fortune. Le temps presse, la flamme arrive dans une heure. Autour de la table, les personnes mobilisées se tiennent informées de son parcours. « Elle arrivera par le nord, informe l’une d’entre elles. C’est parfait, on sera juste en face. »
Équipé d’un pinceau, David dessine en noir le contour des lettres du message. Membre de L’Assiette migrante, une association qui prépare et distribue des repas aux migrant·es et à toute personne dans le besoin, il constate depuis plusieurs mois les conséquences des JO sur son travail. « Il y a certains lieux où l’on ne peut plus distribuer de nourriture, comme autour de l’Hôtel de Ville. »
Membre d’Aides, Sophie* raconte comment la politique du gouvernement balaie le travail fait depuis des années par l’association de lutte contre le VIH/sida. Elle donne en exemple le jardin des Tuileries, lieu historique de drague. Fermé pour l’olympiade, Aides ne peut plus y passer pour faire du dépistage ou distribuer des préservatifs. « Les discriminations font le lit des épidémies. Lorsque les gens sont expulsés, leur priorité est de trouver un logement, pas de s’occuper de leur santé », regrette-t-elle.
Le Revers de la médaille, collectif d’associations, prépare une banderole pour alerter les politiques lors du passage de la flamme olympique, le 15 juillet place de la République à Paris. © Photo Névil Gagnepain / Mediapart
Au sein de Solidarité Paris Maman (Solipam), Julia et Maria accompagnent des femmes enceintes qui vivent dans une grande précarité. Depuis quelques mois, elles sont témoins des conséquences des expulsions de squats ou des réductions de place dans les centres d’hébergement d’urgence. « Il y a une vraie entrave dans leur parcours de santé. Certaines ne sont pas régularisées sur le territoire et ne peuvent pas avoir de QR code pour accéder à certaines zones pendant les Jeux. D’autres font face au renforcement de la présence des contrôleurs dans les transports alors qu’elles n’ont pas les moyens de payer un ticket. »
Matthieu est responsable des actions de Médecins du monde en Seine-Saint-Denis. Il a participé à la quasi-intégralité des sept actions du Revers de la médaille. Depuis le 1er juillet, le centre d’accueil, de soins et d’orientation (Caso) dans lequel il travaille à la Plaine Saint-Denis a fermé ses portes pour deux mois et demi. « Il est au cœur des Jeux : à 1 km du stade de France et de l’Adidas Arena. Avec l’augmentation de la présence policière et des OQTF [obligation à quitter le territoire français – ndlr], on ne pouvait pas le laisser ouvert. »
Pendant l’été, les consultations sociales, médicales et le retrait du courrier sont délocalisés au Relais solidaire de Pantin et dans les locaux du CeGIDD (centre gratuit d’information, de dépistage et de diagnostic) à Bobigny. « D’habitude durant cette période, on voit 1 500 personnes à Saint-Denis. Mais la plupart ne viennent pas à Pantin ou à Bobigny. À notre réouverture en septembre, le risque est de retrouver des personnes en rupture de leur parcours de soins, avec une santé dégradée », craint-il.
« Ne pas gâcher la fête, mais elle doit se faire avec tout le monde »
À l’approche de l’arrivée de la flamme place de la République, la banderole, confectionnée en un temps record, est prête à être présentée au public. Profitant de cette courte accalmie, Aurélia, avocate, fait un rappel juridique. « Nous n’avons pas commis de dégradation ni de délit, il n’y a donc pas de risque de garde à vue, a priori. Par contre, c’est un affichage non autorisé sur un bâtiment, on risque une contravention. La police ne peut pas entrer, car nous avons fait le check-in hier, l’appartement est considéré comme étant notre domicile. »
Laurine écoute ce brief avec attention. À 25 ans, cette ancienne de l’ONG Human Rights Observers à Calais participe à cette action pour son caractère pacifiste. « Le gouvernement essaie de faire rayonner les JO, mais il faut visibiliser ce nettoyage en cours. Nous faisons des actions de sensibilisation non violentes, nous ne voulons pas gâcher la fête, mais elle doit se faire avec tout le monde. »
Une fois l’action menée, alors que les membres du collectif fêtent leur réussite en trinquant, plusieurs escadrons de police se placent au pied du bâtiment, à l’affût de chaque sortie de l’immeuble ou d’une apparition sur le balcon. Après avoir sonné à la porte de l’appartement, la police rebrousse chemin. Les membres du collectif quitteront l’immeuble sans encombre vers 22 h 30.
Clément Le Foll et Névil Gagnepain