Une attaque contre les civil·es « généralisée et systématique ». C’est ainsi que l’ONG Human Rights Watch (HRW) conclut son dernier rapport sorti le mercredi 17 juillet. Dans cette enquête particulièrement fouillée sur laquelle les expert·es en droit humains ont travaillé plusieurs mois, le qualificatif juridique de « crime contre l’humanité », en plus de celui de « crime de guerre », est posé pour qualifier l’attaque du 7 octobre 2023 orchestrée par le Hamas avec le concours de quatre autres groupes armés palestiniens.
Au total, les attaques du 7 octobre ont fait 1 195 morts, essentiellement des civil·es.
Ce rapport complet arrive un mois après l’enquête diligentée par les expert·es indépendant·es des Nations unies, qui avaient conclu au dénominatif de « crime de guerre » , affirmant que les actes qui visaient les civil·es ne rentrait pas dans la définition du crime contre l’humanité, supposant, lui, une attaque à grande échelle.
L’analyse de Human Rights Watch confirme en revanche celle du procureur de la Cour pénale internationale, Karim Khan, qui annonçait en mai dernier requérir des mandats d’arrêts pour crime de guerre et crime contre l’humanité contre plusieurs dirigeants palestiniens du Hamas – Yahya Sinouar, Mohammed Deif et Ismaïl Haniyeh – et israéliens : le premier ministre israélien Benyamin Nétanyahou et son ministre de la défense Yoav Galant.
Lors de l’attaque du Hamas, près du passage d’Erez entre Israël et le nord de la bande de Gaza, le 7 octobre 2023. © Photo Majdi Fathi / AFP
Dans une lettre d’une dizaine de pages envoyée à Human Rights Watch, le Hamas se défend, pointant du doigt les défaillances et le « chaos » de l’attaque du 7 octobre, dont les commanditaires assurent qu’elle ne devait viser que les infrastructures militaires israéliennes.
Un ciblage des civils planifié
L’ONG devait, par ses recherches, prouver dans un premier temps une attaque généralisée contre une population civile.
Dans son rapport long de plus de deux cents pages, les expert·es de HRW détaillent leurs recherches qui se sont étendues sur neuf mois et plus de vingt-six sites et kibboutz israéliens le long de la bande de Gaza, notamment ceux de Kfar Aza, de Be’eri et le site du festival de musique Supernova, où les terroristes avaient tué 364 spectateurs, soit 45 % des civils israéliens tués le 7 octobre. « Avec vingt-six sites de civils visés, on atteint le seuil », explique l’une des expertes de l’ONG lors de la conférence de presse qui présentait le rapport lundi 15 juillet.
Après avoir analysé une série de vidéos provenant des victimes israéliennes ou des caméras embarquées sur les assaillants, les enquêteurs et enquêtrices ont interrogé les survivant·es sur les circonstances de l’attaque. Sagi, l’un des organisateurs du festival Supernova, témoigne notamment avoir vu « une vingtaine d’hommes armés, tous vêtus de pantalons verts et de chemises noires ou vertes, ainsi que de gilets pare-balles, à l’exception d’un homme qui semblait être le commandant et qui portait un uniforme de camouflage à motif de rayures tigrées ».
Le rapport relève ensuite que l’organisateur a vu les hommes « tirer sur des personnes, puis vérifier leurs corps pour s’assurer qu’ils étaient bien morts, avant de tirer d’autres balles sur eux ».
Même type de témoignages dans les kibboutz alentour, comme à Be’eri, où une soignante interrogée par l’ONG décrit les allers et venues des combattants palestiniens dans la clinique où elle s’était réfugiée. « Je les ai entendus tirer et lancer des grenades, ils ont brûlé beaucoup de maisons à proximité », raconte-t-elle.
Les enquêteurs et enquêtrices de HRW se sont rendus à la clinique plusieurs semaines après les attaques. Ils décrivent notamment des « dommages correspondant à des grenades à fragmentation dans la clinique » et des « douilles correspondant au calibre des armes à feu de type AK utilisées par de nombreux combattants palestiniens ».
Dans un deuxième temps, les expert·es devaient prouver que les meurtres et les prises d’otages de civils ont été « systémiques », autrement dit qu’ils faisaient partie d’un plan élaboré en amont de l’attaque. Ils expliquent que les déclarations des dirigeants du Hamas publiées sur les boucles Telegram pendant l’attaque prouvent un « modus operandi ».
Ces derniers ordonnaient notamment à leurs combattants de faire un effort pour épargner les femmes, les enfants et les personnes âgées. « Des déclarations qui non seulement étaient contredites par le schéma réel des attaques, mais qui ne mentionnaient pas non plus les hommes civils », explique le rapport, qui évoque aussi des documents de planification qui auraient été retrouvés sur certains lieux des attaques, sans qu’ils aient pu être authentifiés.
Le Hamas dément avoir tout planifié
Dans les semaines qui ont suivi l’attaque, certains dirigeants du Hamas ont déclaré dans les médias (notamment ici et ici) avoir perdu le contrôle de l’attaque, qui devait initialement ne cibler que des sites militaires israéliens. « Un chaos » du fait de civil·es palestinien·nes qui se seraient joint·es aux attaques planifiées des brigades Qassam (la branche armée du Hamas).
Si Human Rights Watch démontre dans son rapport l’implication des groupes armés palestiniens dans les crimes perpétrés sur les civil·es, notamment à l’aide des vidéos publiées sur les groupes Telegram, le Hamas continue à la nier.
L’ONG publie en annexe de son rapport la réponse envoyée par le mouvement palestinien à ses questions concernant leur implication dans les attaques. Sur cinq pages, le groupe islamiste dément toute planification d’abus contre des civil·es, des exactions qu’il qualifie de « surprises » et de « variables qui ne figuraient pas dans les plans initiaux ».
Dans sa lettre, le communicant du Hamas continue : « Il existe des cibles civiles plus proches de la bande de Gaza, mais les brigades Qassam ne se sont pas dirigées vers elles », et défend une « doctrine militaire d’Al-Qassam qui consiste à ne pas cibler les civils ».
De son côté, Human Rights Watch indique que « le comportement cohérent des combattants pendant les attaques, leur armement, leurs véhicules et leur tenue vestimentaire indiquent un haut degré de planification et d’organisation » et désigne au moins cinq groupes armés palestiniens, dont la branche armée du Hamas, la branche armée du Djihad islamique, la branche armée du Front démocratique de libération de la Palestine (FDLP), la branche armée du Front populaire pour la libération de la Palestine (FPLP) et les Brigades des martyrs d’Al Aqsa, dissidentes du Fatah.
Selon l’ONG, les meurtres de civil·es étaient des objectifs « centraux » de leurs attaques.
Les autorités israéliennes peu coopératives
Tout au long de leur rapport, les rédacteurs et rédactrices indiquent avoir sollicité les autorités israéliennes à plusieurs reprises pour obtenir des informations ou des autorisations à se rendre sur certains lieux. Des demandes refusées ou restées sans réponse.
Ils font notamment référence à leurs demandes successives de se rendre sur les sites attaqués par le Hamas, dont seule celle pour le kibboutz de Be’eri a été accordée, « un mois après notre arrivée dans le pays », complète une experte pendant la conférence de presse.
Human Rights Watch indique aussi avoir demandé des informations concernant les enquêtes faites par les autorités israéliennes sur les abus envers les civil·es à au moins six institutions. Celles qui ont répondu ont fourni des réponses dont aucune « ne contenait d’informations substantielles sur les enquêtes du gouvernement ou de preuves d’abus perpétrés », indique encore le rapport.
Ce n’est pas la première fois qu’Israël tente d’empêcher les enquêtes indépendantes sur son territoire. Dans le rapport rendu par les expert·es de l’ONU en juin dernier, les agent·es évoquaient déjà le refus des autorités de communiquer leurs données, et dénonçaient l’ordre qui aurait été donné aux professionnel·les de santé israélien·nes de ne pas répondre aux enquêteurs et enquêtrices.
En novembre 2019, le directeur de HRW pour Israël et la Palestine, Omar Shakir, avait été expulsé du territoire par les autorités israéliennes, une première pour cette organisation de défense des droits humains depuis qu’elle a commencé à travailler en Israël il y a 30 ans.
Zeina Kovacs