Le CIO conditionne néanmoins la validation définitive de ce projet à la présentation des garanties financières et juridiques par lesquelles le pays hôte s’engage à couvrir les éventuels déficits de l’événement et à livrer les équipements en temps voulu. Seule une personne qui engage le gouvernement peut le faire. La dissolution et l’incertitude institutionnelle qui a suivi a empêché l’exécutif d’aller au bout de ce processus.
Le rejet de la candidature française semblait hautement improbable, après l’échec de la Suède et de la Suisse fin 2023. Ce sont les régions Auvergne-Rhône-Alpes (AURA) et Provence-Alpes-Côte-d’Azur (PACA) qui ont lancé l’idée de cette candidature, soutenue par le Comité national olympique et sportif français (CNOSF) et son dirigeant, David Lappartient.
Mardi 23 juillet, Thomas Bach, à la tête du CIO, a résumé le problème lors d’une conférence de presse : « Sans garantie confirmée, il ne peut y avoir de vote inconditionnel. Donc, comme le gouvernement français ne peut pas nous donner cette garantie pour des raisons constitutionnelles, nous allons attacher des conditions au vote. » Le soir, le président français avait profité de son interview en majesté sur le plateau du JT de France 2 pour plaider sa cause : « Ce serait formidable pour nos Alpes. »
À Briançon (Hautes-Alpes), le collectif No JO alerte le CIO sur les conséquences écologiques et économiques du déroulement des Jeux olympiques d’hiver en 2030, le 24 avril 2024. © Photo Thibaut Durand / Hans Lucas via AFP
À quarante-huit heures de la cérémonie d’ouverture de Paris 2024, le sujet des Jeux d’hiver apparaît lointain. C’est pourtant maintenant qu’il faut s’en préoccuper, tant qu’il est encore temps de les arrêter. Coûts financiers, flou budgétaire, impact environnemental et verrou dans un modèle économique mortifère pour l’écosystème alpin : les problèmes posés par d’éventuels JO dans les Alpes sont nombreux et sérieux.
Si les plans climat et les schémas bas-carbone adoptés tant bien que mal par nos institutions ont un sens, si le souci budgétaire affiché par l’exécutif est réel, le projet de JO 2030 devrait être remis en question. Mettre en suspens la candidature et offrir aux citoyennes et citoyens la possibilité de se prononcer sur sa pertinence serait un signe de santé démocratique.
Ce serait aussi un geste de confiance envers la population, trop peu consultée sur les grands projets. Ceux-ci engagent pourtant les habitant·es, riverain·es et contribuables pour des années dans des trajectoires souvent polluantes et coûteuses.
Un demi-milliard de dépenses publiques
Le budget de fonctionnement annoncé pour les JO d’hiver s’établit à 2 milliards d’euros, selon le rapport du mois de juin de la commission de futur hôte – document qui comprend l’analyse du projet par un jury désigné par le CIO.
Cette enveloppe représenterait un coût de 462 millions d’euros pour la puissance publique – à partager entre l’État et les régions organisatrices. C’est autant que l’aide exceptionnelle débloquée par le gouvernement en février pour les hôpitaux. Ou que les financements annoncés en 2023 pour le plan logement devant permettre aux personnes sans domicile d’accéder à des solutions de logement pérennes. Ou encore que le fonds annuel de rénovation du bâti scolaire. C’est donc beaucoup d’argent, surtout dans le contexte du plan d’économie de 10 milliards d’euros décidé par Bruno Le Maire en février 2024.
Est-ce le meilleur usage à faire des subsides publics ? La question est d’autant plus pertinente que le montant à débourser sera en réalité sans doute beaucoup plus élevé : 2,4 milliards d’euros au total, pour une dotation publique comprise entre 800 et 900 millions d’euros, selon un rapport de l’Inspection générale des finances non publié, mais cité par le media La Lettre. Matignon, qui a commandé ce rapport, n’a pas répondu aux questions de Mediapart.
Une forte contribution de l’État
Dans le détail, les quelques informations publiques sur le volet budgétaire de cette candidature interrogent. La part de financement public, autour de 23 %, est beaucoup plus élevée que dans les dossiers d’autres pays, a remarqué Delphine Larat, membre du collectif No JO : 0 % pour la Suède pour les JO de 2026 – et retoqué de ce fait, 4 % pour l’Italie, 6 % pour la Chine (2022), 14 % pour le Kazakhstan (2022). Le montant et la part de provisions pour imprévus sont également « hors norme », autour de 258 millions d’euros pour la France, ajoute-t-elle.
Or les économistes des infrastructures ont bien documenté la sous-estimation systématique du coût des JO, dont les budgets ne prennent pas en compte tout un ensemble de dépenses plus ou moins cachées : les exonérations fiscales (nombreuses), les dépenses de sécurité ou de transports publics, etc.
Les rapporteurs de la commission de futur hôte s’inquiètent d’ailleurs à plusieurs reprises de la soutenabilité financière du projet, citant la construction des villages olympiques et d’une patinoire à Nice (Alpes-Maritimes).
Constructions massives dans les Alpes
Tout en promettant de « s’attaquer aux conséquences du changement climatique », le dossier des JO 2030 prévoit des constructions massives. Pas moins de cinq villages olympiques sont annoncés, avec 700 lits en projet au Grand-Bornand (Haute-Savoie), 700 supplémentaires à Bozel (Savoie), 1 500 à Nice – où la patinoire pourrait coûter 50 millions d’euros. Celle-ci pourrait prendre place sur des terrains destinés initialement à construire des logements sociaux. Et le projet serait particulièrement énergivore compte tenu du climat méditerranéen de la ville – un choix baroque pour des Jeux d’hiver.
Un « réseau routier olympique » devra par ailleurs être mis en place, notamment pour pallier les routes « étroites » dans les zones de montagne. L’empreinte carbone de l’ensemble est estimé entre 700 000 et 800 000 tonnes équivalent CO2 – sans aucun élément pour le vérifier –, soit autant que la consommation annuelle moyenne de 80 000 personnes en France.
Avec le réchauffement des températures, la neige tient de moins en moins en petite et moyenne montagne. Lors de l’édition 2022 de la Coupe du monde de biathlon au Grand-Bornand, en Haute-Savoie, elle a dû être livrée par camion avant la tenue des épreuves. Comment imaginer que la situation sera différente en 2030 ? Les canons à neige et retenues collinaires sont très consommatrices en eau, et, de ce fait, remis en cause par les défenseurs des écosystèmes. En 2022, la justice a suspendu l’autorisation d’une retenue d’altitude à La Clusaz, en Haute-Savoie, que la mairie voulait construire pour produire de la neige artificielle. C’est l’un des lieux choisis pour les JO de 2030.
Opacité antidémocratique
En l’absence de consultation et de référendum sur la tenue de JO d’hiver en France en 2030, il n’y a pas eu d’information correcte du public : le budget n’est pas publié en détail et le dossier de candidature n’est pas consultable en ligne. La clé de répartition entre État et régions n’est pas connue. Il n’y a pas eu d’étude alternative à la construction des nouvelles infrastructures, ni de contre-expertise du budget présenté par la France.
Avoir des JO dans les Alpes en 2030 « serait formidable pour inventer le modèle de Jeux d’hiver de demain qui doit être plus durable, qui doit s’adapter aux changements climatiques », a encore déclaré Emmanuel Macron au JT de France 2. Le chef de l’État semble se tromper de priorité : plutôt que le business olympique, c’est la montagne, son milieu naturel et les personnes qui y vivent qui doivent être défendus pour avoir une chance de perdurer.
La bonne question à poser est simple : cela est-il compatible avec des JO d’hiver ? Car, au vu des investissements nécessaires, ils enfermeraient ces territoires en plein bouleversement climatique dans un modèle touristique inadapté et dépassé.
Jade Lindgaard