tC’est l’équivalent de la page de publicité qui arrive en plein milieu d’un téléfilm haletant. Après la campagne européenne, la dissolution de l’Assemblée nationale, la campagne législative et deux semaines d’intenses tractations, Emmanuel Macron a décrété une mise sous cloche de la vie politique française pour les prochaines semaines. Place à la « trêve olympique » qu’a appelée de ses vœux lundi le président de la République, précisant le lendemain que rien ne serait décidé avant la « mi-août ».
« Nous ne sommes pas en situation de pouvoir changer les choses parce qu’on créerait un désordre, a-t-il justifié sur France 2. Notre responsabilité, c’est que ces Jeux se passent bien. Donc j’ai choisi la stabilité. » Au milieu de son interview, mardi, Emmanuel Macron a pourtant reconnu pour la première fois que la « majorité sortante [avait] perdu ces élections ». S’empressant d’ajouter que « personne » ne les avait gagnées – et surtout pas la gauche, qui a proposé mardi la haute fonctionnaire Lucie Castets comme première ministre.
Battu dans les urnes, le gouvernement de Gabriel Attal reste donc chargé des affaires du pays. « On est en place et on nous a même fait comprendre que ça pouvait durer jusqu’à septembre, après les Jeux paralympiques », indique un ministre. À défaut de médaille d’or, Emmanuel Macron s’apprête donc à battre un record : jamais, dans l’histoire de la Ve République, une situation de ce type n’avait duré plus de neuf jours.
Emmanuel Macron salue la foule, après la parade du 14 juillet 2024, avenue Foch à Paris. © Photo Ludovic Marin / AFP
En figeant le temps politique, le chef de l’État espère voir la tectonique des plaques politiques bouger en sa faveur. Depuis le soir du 7 juillet, son plan n’a pas changé : ignorer la première place de la gauche et construire une alliance entre son camp et le parti Les Républicains (LR). Surtout, ne pas se précipiter. Le temps qui passe est un atout, martèlent certains de ses proches, persuadés que le Nouveau Front populaire (NFP) va se désagréger. Au Château, on surveille les discussions à gauche comme le lait sur le feu, en espérant qu’il déborde de la casserole.
La difficulté à proposer un nom pour Matignon, les critiques venues du Parti socialiste (PS) après les propos de l’Insoumis Thomas Portes sur les athlètes israéliens, et la quasi-déclaration de candidature de Jean-Luc Mélenchon sont perçues comme autant de bonnes nouvelles. « Les choses commencent à se fissurer, analysait en début de semaine un conseiller d’Emmanuel Macron. Olivier Faure est sous pression, il y a une majorité au PS pour se détacher de La France insoumise (LFI). » Un membre du gouvernement appuie : « La gauche, c’est simple : plus vous leur laissez de temps, plus les divisions apparaissent. »
En coulisses, les canaux de discussion se multiplient, rarement coordonnés. Patrice Vergriete, le ministre démissionnaire du logement, appelle quelques-uns de ses anciens camarades socialistes, au premier rang desquels François Hollande. François Bayrou, le président du MoDem, prend la température auprès des vieux de la vieille. Christophe Borgel, l’ancien « monsieur élections » du PS, tente quelques coups de sonde pour son ami Stéphane Séjourné, secrétaire général du parti présidentiel. Un ministre se marre : « Tout le monde leur parle, en ce moment ! »
Un autre membre du gouvernement est sûr de son coup : « Ils veulent divorcer des Insoumis, assure-t-il. Ils ont juste besoin d’une aide extérieure ! » La petite musique ulcère l’état-major du PS, qui s’en tient à sa ligne d’unité. « Les députés socialistes n’attendent pas des coups de téléphone de ceux qui ont perdu les élections, a écrit sur le réseau social X leur président, Boris Vallaud, mercredi. Ils veulent le respect des électeurs, c’est-à-dire la nomination de Lucie Castets à Matignon. »
L’obsession : décrocher le PS du reste de la gauche
Un jour de juillet, le président de la République interroge un de ses anciens ministres, ex-socialiste, fin connaisseur de la maison, sur le sujet. « Le PS ne décrochera pas maintenant, assure-t-il au locataire de l’Élysée. Pour l’instant, ils sont encore en boucle sur “ces salauds de macronistes”. Mais il faut laisser les choses se décanter un peu. Le NFP n’ira pas au bout de son cheminement. » Un des plus proches du chef de l’État en était encore persuadé en début de semaine : « Le renoncement de Tubiana montre bien les fractures chez eux. La dynamique n’est pas de leur côté, là. »
Depuis les législatives, les soutiens d’Emmanuel Macron se demandent tout de même que faire au cas où le NFP trouve la martingale. « S’ils s’accordent sur un nom, ça me paraît compliqué de ne pas leur donner Matignon, expliquait mi-juillet un député influent du groupe Renaissance. Ça risque de poser un problème démocratique. » Un ministre plaidait précisément l’inverse : « Si on a la certitude qu’il y a une majorité claire à l’Assemblée nationale contre ce premier ministre, pourquoi le nommer ? Il n’y a rien d’obligatoire ! »
L’émergence inattendue du nom de Lucie Castets, mardi soir, a surpris le camp présidentiel sans l’ébranler pour autant. « Ce n’est pas le sujet, a balayé Emmanuel Macron sur les antennes du service public. La question n’est pas un nom, c’est quelle majorité peut se dégager à l’Assemblée pour qu’un gouvernement puisse engager des réformes, faire passer un budget et faire avancer le pays. »
Autour du chef de l’État, quelques-uns de ses soutiens l’encouragent à provoquer la scission du NFP… en le mettant au pouvoir. « Il fallait les nommer et les laisser se crasher à la première motion de censure, explique une ministre sortante. Au moins, ça donne une bonne excuse au PS pour se décrocher de LFI. » La même interlocutrice juge le timing inopportun pour un tel scénario. « Franchement, vous imaginez des passations de pouvoir la veille de la cérémonie d’ouverture des Jeux olympiques ? », interroge-t-elle.
Et après le 11 août, date de la cérémonie de clôture ? La perspective n’emballe plus personne en Macronie, où les regards se tournent – comme souvent – plutôt vers la droite. Officiellement, l’heure est à la grande coalition du « front républicain », des sociaux-démocrates aux gaullistes, comme l’a rappelé hier Emmanuel Macron. En privé, plusieurs cadres du camp présidentiel sont plus bavards quant à leur réel objectif : nouer, enfin, l’alliance avec LR qui se trame depuis deux ans.
Avec LR, c’est du sérieux
C’est peut-être la seule conséquence positive des législatives pour le président de la République. Le tremblement de terre de la dissolution a rapproché la droite LR de son camp, quoi qu’en disent ses chefs. Dans la foulée du ralliement d’Éric Ciotti, encore officiellement président du parti, au Rassemblement national (RN), la droite traditionnelle a envoyé des signaux jugés encourageants au sommet de l’État. L’accord sur les postes de responsabilité au Palais-Bourbon, au premier rang desquels la présidence de l’institution, est l’un d’eux.
Le « pacte législatif » présenté lundi par Laurent Wauquiez en est un autre. Les treize textes que LR s’engage à voter s’ils étaient repris par un futur gouvernement vont très bien à Emmanuel Macron, qui a repris l’expression et incité les siens, lors du dernier conseil des ministres, à s’embarquer dans cette voie. Officiellement, le président du groupe renommé Droite républicaine assure refuser toute « coalition gouvernementale », pour ne pas voir son camp devenir « prisonnier d’un exécutif ».
Sa démarche ressemble pourtant à l’amorce d’un soutien sans participation à un futur gouvernement du bloc libéral. « Nous ne voulons pas être du côté de ceux qui bloquent ou jouent la politique du pire, a justifié le président de la région Auvergne-Rhône-Alpes. Le pays ne peut pas attendre. » Depuis son retour au Palais-Bourbon, Laurent Wauquiez a beaucoup consulté ses troupes. « Je lui ai dit qu’il était temps de tenter quelque chose, explique un député LR. Nos électeurs veulent éviter à tout prix la gauche au pouvoir. Et on est nombreux à devoir notre réélection à des accords, plus ou moins explicites, avec les macronistes. »
Au gouvernement, on jure que Laurent Wauquiez peut même aller plus loin. « Il est sous la pression de son groupe, analyse un ministre. Si le président trouve une personnalité assez rassembleuse et bien perçue à droite, il ne pourra pas empêcher ses députés de participer au gouvernement. » Si la manœuvre lui permet de rester aux manettes, le camp présidentiel est prêt à beaucoup de concessions – et les lignes rouges de LR (pas de hausses d’impôts, pas de désindexation des retraites de l’inflation et pas d’Insoumis·es au gouvernement) ne posent aucun problème aux macronistes.
Ces jours-ci, le groupe Ensemble pour la République (EPR, ex-Renaissance) travaille à sa propre plateforme programmatique. À la manœuvre, Gabriel Attal espère montrer, en partant des idées, que la convergence avec LR est naturelle. Le premier ministre démissionnaire, qui s’entend très bien avec Laurent Wauquiez, compte jouer un rôle de premier plan dans l’élaboration d’une nouvelle majorité.
Une manière, d’une part, d’enjamber un président de la République avec qui les relations sont devenues glaciales et, d’autre part, de prendre de vitesse des figures de la droite qu’il perçoit comme des concurrents pour la prochaine présidentielle (Xavier Bertrand, Gérald Darmanin ou Édouard Philippe).
Reste à embarquer toute la majorité dans l’aventure, ce qui n’est pas gagné d’avance. François Bayrou, qui s’imagine toujours comme le premier ministre d’apaisement dont le pays aurait besoin, dit pis que pendre d’un accord qui ferait pencher le camp présidentiel vers la droite. L’ancienne première ministre Élisabeth Borne n’en pense pas beaucoup de bien non plus. Reste à voir l’ampleur de la fronde, dans une majorité qui n’a pas souvent brillé par sa capacité à l’insubordination.
Pour l’instant, les voix les plus critiques se contentent de rappeler qu’un éventuel gouvernement de droite n’a aucune garantie de se maintenir sans être renversé. « Je souhaite qu’on ne soit pas hémiplégique, ne serait-ce que parce que l’addition de tout le NFP et du RN peut conduire à la censure de notre gouvernement », glisse par exemple Marc Ferracci, vice-président du groupe EPR. Un de ses collègues, plus emballé par l’idée, espère « une forme de bienveillance d’autres forces, qui s’opposeront sans voter la censure, au nom de la stabilité des institutions ». Le scénario est très incertain, mais il semble plus doux aux oreilles macronistes que celui menant Lucie Castets à Matignon.
Pauline Graulle et Ilyes Ramdani