En 2022, le milliardaire ultra-conservateur Pierre-Édouard Stérin avait confié vouloir consacrer l’intégralité de sa fortune au « redressement de la France et à la promotion du Christ ».
On sait aujourd’hui qu’il a aussi « un plan » « pour servir et sauver la France » et « permettre la victoire idéologique, électorale et politique ».Non pas celle du Christ, mais celle « d’un ensemble de valeurs clés – liberté, enracinement et identité, anthropologie chrétienne… », contre « les maux principaux de notre pays – socialisme, wokisme, islamisme, immigration ».Et, pour commencer, aussi la victoire du Rassemblement national (RN) aux élections municipales de 2026.
Selon un document confidentiel, rédigé en 2023 par l’équipe de Pierre-Édouard Stérin et révélé dans son intégralité par L’Humanité, ce plan baptisé « Périclès » prévoit « de déployer environ 150 millions d’euros sur les dix prochaines années via le financement ou la création de projets ».
Pierre-Édouard Stérin à Paris. © Photo Stephane Lagoutte / Challenges-REA
Joint par Mediapart, François Durvye, bras droit de Pierre-Édouard Stérin, a confirmé l’authenticité du document et l’existence de cette « réflexion ». Directeur général d’Otium Capital, le fonds d’investissement du milliardaire, François Durvye est apparu publiquement lors de la soirée électorale du Rassemblement national, dans le carré VIP, le 9 juin, et ne cache pas donner des « conseils » à Jordan Bardella et Marine Le Pen sur les sujets économiques.
Le projet « Périclès » fait logiquement la part belle aux ambitions du RN. « Présentation du projet et objectifs : permettre au Rassemblement national (RN) de transformer ses derniers succès électoraux en victoire aux municipales 2026. [...] Équiper l’état-major du RN d’un plan structuré sur trois ans avec des objectifs précis », résume sans détour le document.
« Une réserve d’hommes »
Le milliardaire ultra-conservateur, exilé fiscal en Belgique, qui avait postulé en mai à la reprise de l’hebdomadaire Marianne avec le soutien d’Arnaud Montebourg, a finalement retiré son offre, le 18 juillet, après un vote défavorable de la rédaction. En juin, le magazine Challenges a révélé qu’il a pris part au rachat d’une propriété de la famille Le Pen à Rueil-Malmaison, avec François Durvye, le principal acheteur de ce bien, en novembre 2023.
« Périclès », qui doit se comprendre comme l’acronyme de « patriotes, enracinés, résistants, identitaires, chrétiens, libéraux, européens, souverainistes », promet de « construire une relation de confiance avec tous les leaders de la droite de demain pour les faire travailler ensemble en cas de victoire électorale » et aussi de « fournir une réserve d’hommes de pouvoir prêts à servir à tous les postes clés (cabinets, structures parapubliques, haute administration) ».
Une « cartographie » intitulée « Construire une présence proche des dirigeants de demain » dresse une liste des personnalités de droite, allant des plus proches aux plus éloignées.
« Personnalités définies comme prioritaires. Relation de confiance et influence réelle : Jordan Bardella et Marine Le Pen (RN) », note le document, qui relègue Éric Ciotti, Laurent Wauquiez, David Lisnard, François-Xavier Bellamy (LR) et Marion Maréchal (Reconquête) en « relations actives » auprès desquelles le réseau Stérin n’a « pas de réelle influence ».
S’agissant des municipales de 2026, le document fait état d’un « conseil opérationnel municipales » et d’un « projet validé par la direction et l’état-major du RN aux Estivales 2023 » – traditionnelle réunion de rentrée du parti qui s’était tenue en septembre 2023. Il signale aussi la « constitution d’une équipe par département pour valider les villes et identifier les candidats, dirigés par le DG du RN », et enfin un « objectif de 300 villes à gagner absolument par le RN en 2026 ».
Contacté par Mediapart, le parti n’a pas répondu. « Il est possible qu’il y ait eu des discussions entre les gens de Périclès et le RN sur comment on pourrait systématiser une approche électorale pour transformer l’essai des législatives de 2022 dans les municipales de 2026, admet François Durvye auprès de Mediapart. Mais qu’il y ait un projet lancé, ce n’est pas le cas. »
« Le projet a été évoqué par mes équipes à la direction du RN. Mais il n’y a pas eu de suite de leur part, a exposé Pierre-Édouard Stérin dans une réponse écrite à Mediapart. Quoi qu’il en soit, Périclès ne travaillera pas exclusivement avec ce parti, ni avec aucun autre. La démarche n’a de sens que si elle s’adresse à toutes les nuances de la droite. » Le milliardaire souligne « les contacts » déjà « engagés avec des personnalités de la droite macroniste au RN, en passant par LR, et autres ». Et incluant « notamment des personnalités d’Horizons et Agir ».
Selon François Durvye, Pierre-Édouard Stérin, qui fait fortune dans les Smartbox, aurait eu, s’agissant du RN, une approche de « marché ». Vu le nombre d’élu·es du RN en 2022, il aurait ainsi pronostiqué ce nombre élevé de mairies susceptibles de basculer au RN en 2026. « C’est une logique industrielle qu’il transpose à la philanthropie et à la politique », commente-t-il. Mais le bras droit souligne aussi que sa définition de la droite ne se limite pas au RN. « Il n’a pas d’objectif partisan »,soutient François Durvye.
« Projets organiques »
Pierre-Édouard Stérin avait déjà cofondé en 2017, La Nuit du bien commun, un événement annuel destiné à réunir des dons en faveur de projets des milieux catholiques conservateurs. En 2021, il crée un fonds de dotation, le Fonds du bien commun (FBC), dans lequel il prévoit de reverser à terme « l’intégralité de son patrimoine », à hauteur de 80 millions d’euros annuels. En 2023, 43 millions ont effectivement été investis ou prêtés.
Si les soutiens débloqués par le FBC peuvent se ranger dans la catégorie philanthropique, généralement en faveur de la sphère ultracatholique, qu’en sera-t-il des fonds évoqués par le document « Périclès », dont l’ambition politique est clairement annoncée ? Les projets de Pierre-Édouard Stérin et de son « conseil opérationnel » pourraient se heurter aux dispositions très strictes de la loi sur le financement des partis politiques qui interdisent tout financement d’activités politiques par des personnes morales. « Nous avons bien cette donnée en tête et nous serons vigilants pour être dans la conformité la plus totale avec la loi », a réagi Pierre-Édouard Stérin auprès de Mediapart.
« On ne fait que ce que l’on a le droit de faire, certifie François Durvye. Est-ce qu’il y a un financement quelconque d’un parti politique ? la réponse est non. »
« Qu’en faisant la cartographie des hommes politiques auxquels on a accès, dans l’environnement de Pierre-Édouard, on considère que quelqu’un a une relation de confiance avec Marine Le Pen et Jordan Bardella, ce n’est pas un scoop,relativise François Durvye. Moi, je confirme avoir individuellement une relation de confiance avec eux. »
« Ça n’est pas une relation de confiance entre ma personne et les dirigeants du RN mais de certaines personnes engagées dans le projet, a corrigé le milliardaire. Certains veulent faire de moi un rouage essentiel dans le fonctionnement de ce parti, ce qui est absolument faux. »
Dans une tentative de déminage, Le Journal du dimanche a fait, simultanément à L’Humanité, l’exégèse du projet « Périclès », qualifié de « projet pour influencer la métapolitique française ». « Le projet est de remporter 300 villes pour la droite et le RN », prétend le journal, alors que seul le RN est mentionné dans le document s’agissant des municipales.
École de futurs maires
Le journal mentionne plusieurs projets déjà engagés. L’animation d’une « guérilla juridique », à travers « un collectif d’avocats » afin « d’organiser et professionnaliser le contentieux stratégique en utilisant les leviers juridiques, judiciaires médiatiques contre l’islamisme, l’immigration, l’attaque à la liberté d’expression, la théorie du genre ». Le document évoque l’objectif de lancement de « plus de 20 procédures par an afin de faire changer la peur de camp, faire appliquer la loi et se défendre des attaques adverses, faire évoluer la loi ».
Ce collectif baptisé Justitia a déjà vu le jour, en 2023, en collaboration avec l’Institut Thomas More, relève Le JDD.
D’autres « projets organiques » sont listés. La création d’un « think tank Victoire politique » visant à devenir « le premier think tank de droite en France afin de réunir les principaux experts thématiques des sujets régaliens, d’influencer la sphère politique, médiatique, intellectuelle ».
La création d’une « école des futurs maires » et d’élus : « Une école de formation des futurs dirigeants politiques partageant nos valeurs en proposant aux futurs candidats (municipales, législatives) une palette d’outils stratégiques et opérationnels (communication, playbook, campagne électorale, analyse de données, financement, besoins en ressources humaines). Objectif : former et faire gagner en 2026 environ 1 000 maires de petites et moyennes communes. »
Au niveau financier, le plan prévoit « un essaimage écosystème » progressif : « + 50 projets (2023), + 70 projets (2024), + 100 projets par an à partir de 2025 ».Et espère constituer une « réserve avec plus de 1 000 hommes de pouvoir ».
En 2023, le budget était chiffré à 8 millions d’euros. « Au total, 3,5 millions d’euros ont déjà été engagés sur plus de 40 projets. Chaque priorité essentielle a été adressée : wokisme (35 % du montant total alloué), immigration (30 %), socialisme (12 %), culture et morale chrétienne (10 %), islamisme (8 %), autres (5 %). » La suite est déjà prévue : « 7-10 millions (2024), 12-15 millions (2025), 25 millions (2027). »
« Budget cumulé jusqu’en 2032 : 150 millions environ », conclut le document.
Karl Laske