C’est une procédure inhabituelle. Vendredi 19 juillet, le collectif No JO 2030 dépose une demande en caducité auprès du Comité international olympique (CIO). Dans ce courrier, que Mediapart a pu consulter, les opposant·es à la tenue des Jeux olympiques (JO) d’hiver dans les Alpes demandent au CIO de considérer la candidature française comme caduque, c’est-à-dire périmée.
Premier problème : le risque financier pour les régions concernées (Auvergne-Rhône-Alpes et Provence-Alpes-Côtes d’Azur). La France n’a en effet toujours pas signé la garantie financière par laquelle le pays hôte s’engage à couvrir les éventuels déficits de l’événement. Or seule une personne engageant le gouvernement peut le faire. La dissolution et l’incertitude institutionnelle qui s’est ensuivie rendent le calendrier de cet engagement très flou.
Début juin, le CIO a reporté au plus tard au 24 juillet son vote sur l’attribution à la France des Jeux d’hiver de 2030. « Sans garantie, on ne peut pas prendre une décision inconditionnelle pour l’attribution des Jeux », a rappelé Thomas Bach, président du CIO, dans L’Équipe jeudi 18 juillet. Selon David Lappartient, président du Comité national olympique et sportif français (CNOSF), le budget des JO 2030 est estimé à 1,975 milliard d’euros – une estimation minimale.
Stéphane Passeron, ancien skieur de fond de l’équipe de France et ex-entraîneur handisport aux JO de Vancouver, à une manifestation contre les JO dans les Alpes en 2030. © Photo Thibaut Durand / Hans Lucas via AFP
Autres points soulevés par les opposant·es aux JO : dans sa nouvelle configuration, le Parlement pourrait rejeter les lois olympiques indispensables au vote du budget de l’événement, ainsi que toute une série de dispositions d’exception (fiscales, sécuritaires, urbanistiques, etc.).
Ils dénoncent l’illégalité de la candidature française, qui aurait dû, selon eux, faire l’objet d’un débat public, compte tenu des impacts des aménagements sur les écosystèmes. Et alertent sur les destructions environnementales et les dégâts climatiques que causeraient ces Jeux dans le milieu désormais très vulnérable de la montagne française.
« Cette candidature est dans une impasse. Il faut en sortir par le haut : on efface tout et on recommence », dit Pierre Janot, membre du collectif, élu au conseil régional et avocat de métier. « Nous n’imaginons pas qu’en l’absence de garanties, le CIO attribue le marché des JOP 2030 à la France, sachant que la candidature de la Suède a été écartée précisément du fait du refus de la Suède de fournir ces garanties », explique une autre membre du collectif, Delphine Larat, juriste, dans un courrier au CIO.
C’est au nom du climat et de l’impératif écologique que le skieur de fond Stéphane Passeron s’oppose aux JO de 2030 dans les Alpes. Athlète de haut niveau, membre de l’équipe de France pendant vingt ans, puis entraîneur de l’équipe de France de ski nordique handisport aux JO de Vancouver en 2010, il est aujourd’hui moniteur dans la vallée du Champsaur. Il fait partie de la délégation qui demande à être entendue par le CIO et explique à Mediapart pourquoi il appelle à en finir avec les grands événements sportifs et culturels.
Mediapart : Que demandez-vous au Comité international olympique ?
Stéphane Passeron : On demande le retrait de la candidature de la France. Elle n’est simplement pas soutenable au vu des finances, au vu du climat, au vu de la situation politique, et au vu du déni démocratique. On n’a jamais demandé l’avis de personne. Renaud Muselier a été élu à la région Paca pour faire barrage au Rassemblement national. On a tous voté pour lui, y compris à gauche et chez les écolos. Et il lance une candidature aux Jeux olympiques sans demander l’avis d’aucun parti de gauche. Alors que sans nous, il ne serait pas président de la région, ce serait le RN.
On s’adresse au CIO pour que le comité se rende compte qu’il y a un problème en France. Parce qu’ils n’arrêtent pas de dire au CIO que tout va bien, que tous les Français veulent ces Jeux olympiques. Alors que de nombreux sondages indiquent que ce n’est pas vrai. Et on veut expliquer aux Français que les montagnes s’effondrent et que donc, on n’en est plus à faire ce genre d’événement.
Pourquoi les JO d’hiver sont-ils incompatibles avec la situation climatique selon vous ?
En juin, en Isère, juste à côté de la barre des Écrins, un vieux village, La Bérarde, a disparu sous les cailloux. La pluie, ajoutée à la fonte des neiges, a formé un lac sous un glacier qui a craqué et est venu raser le village. Ce hameau était très connu parce que c’est un lieu de départ d’escalade. C’est l’un de ces moments où, quand on nous demande pourquoi on ne veut plus de JO, on répond : regardez autour de vous, tout s’effondre.
On ne peut plus faire de grands événements comme ça, au vu de la situation climatique mondiale, que ce soit la Coupe du monde de foot ou même le Tour de France, avec ses 2 500 voitures, ses dix hélicoptères et ses trois avions. Il y a une problématique entre nos constats environnementaux et nos choix de société. Le sport est hyper impactant au niveau environnemental.
Maintenant, je suis moniteur de ski de fond. L’hiver passé, j’ai travaillé la moitié d’une saison normale, et encore, sur une piste artificielle de 3 km. Avec mon club de ski, on a fait treize fois du ski dans la vallée du Champsaur, dans les Alpes du Sud – on est quand même à 1 500 mètres d’altitude. Sur treize séances, on en a fait dix sur cette piste de 3 km. Le matin c’était de la glace, l’après-midi de la gadoue.
Le Vercors n’avait pas eu de neige de l’hiver. La Transjurassienne, qui est une épreuve de ski de fond très connue, a été annulée. Il n’y a plus de neige. Et on ne peut pas dire que c’est une surprise puisque le Giec [Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat – ndlr] nous l’annonce depuis longtemps. J’habite une toute petite vallée. Tous nos sentiers de randonnée ont été abîmés et il y en a même qui ont disparu. Il y a un refuge au fond de la vallée : la piste pour y accéder a sauté. En bas de la vallée, ça fait deux ou trois fois cette année qu’il y a eu un énorme éboulement qui nous a coupés de l’extérieur, parce que ça dégèle au mois de janvier maintenant.
Il n’y a plus que les grosses stations qui arrivent à s’en sortir, celles qui sont très hautes. En bas, les stations sont toutes à la neige artificielle. Cela a un coût énergétique et financier monstrueux. Pour les dernières épreuves de la Coupe du monde au Grand-Bornand, en Haute-Savoie, il a fallu transporter la neige avec des camions. Parce qu’il n’y avait pas un gramme de neige. Et c’est là qu’ils veulent faire les Jeux olympiques ?
Ne suffirait-il pas que les JO de 2030 s’adaptent et s’organisent dans ces stations de haute montagne, là où il y a encore de la neige ?
C’est ce qu’ils feront pour les sports alpins, qui n’utiliseront peut-être pas de la neige artificielle. Mais il y a tous les autres sujets : le CO2, les infrastructures à construire. Ils imaginent faire une 2x2 voies dans la vallée de la Durance pour monter sur Briançon, vu qu’ils y prévoient un pôle freeride et snowboard. Il y aura aussi des canons à neige, des parkings, des hélicoptères.
Ils disent qu’ils utilisent 95 % des infrastructures existantes, mais le tremplin de saut de Courchevel n’a plus la bonne longueur, il faut tout refaire. À Nice, ils ont prévu de faire une patinoire de 13 000 spectateurs sur un terrain où il était prévu de construire des logements sociaux.
Les Jeux olympiques, c’est pire qu’une Coupe du monde. Parce que tu peux annuler une Coupe du monde s’il n’y a vraiment pas de neige. Mais tu n’annules pas les Jeux olympiques. Donc il faudra qu’il y ait de la neige. Ça crée une obligation de moyens.
Et en plus, ils vont être hyper pressés, parce qu’on est déjà en 2024, et que les JO d’hiver, c’est en 2030. Ils ont cinq ans pour tout construire. Ça va être un délire. Mais le plus grave, c’est que ça nous empêche de faire de la résilience.
Pourquoi ?
Parce qu’ils font croire à la population qu’on peut continuer comme avant. Alors que non, on ne peut plus. C’est juste ça. Et c’est là où ça dépasse le cadre de ces Jeux olympiques. Les JO, c’est un moment, ce n’est qu’une partie du monde. Mais c’est à l’image de ce qui se passe dans le monde entier. J’ai deux enfants. Ma petite a fait des courses de ski. Elle est plutôt forte. Elle monte sur son podium avec ses petits skis, toute heureuse.
Et moi j’avais les larmes aux yeux. Parce qu’elle avait gagné, parce que j’étais fier, parce que je me disais : elle adore ça. Et qu’il n’y aura plus de neige. On en est là, et eux continuent à penser que ça va le faire.
Cette candidature, c’est une manière de continuer comme avant. On va construire des baraques, le prix de l’immobilier va exploser, alors qu’on n’arrive déjà plus à se loger dans les Alpes car c’est devenu trop cher. Ils nous disent que cette candidature est faite pour faire de la publicité pour les Alpes, alors qu’on est déjà saturés de touristes. À Briançon, ils sont en train de fermer des classes. Par contre, le nombre de maisons secondaires est en train d’exploser. Les faits scientifiques et le rapport du Giec montrent qu’on va se prendre une hausse de 4 °C si on continue comme ça, et eux, ils font des incantations. Ils disent que ça va aller.
Pensez-vous qu’il faut abandonner l’idée des JO d’hiver ?
Pas que les JO d’hiver : il faut abandonner les grands événements. Je vous raconte une anecdote. En 2010, je suis dans l’avion qui m’emmène à Vancouver, aux Jeux olympiques.
J’avais fait ma carrière de skieur et j’étais devenu entraîneur de l’équipe de France en handisport. Dans ma tête, ça travaillait déjà. Je commençais à n’être pas bien. J’avançais dans une autre direction. Je retapais une maison dans le Champsaur en me disant que j’allais venir me mettre au vert parce que le monde va mal. Mais, en même temps, je ne lâchais pas le morceau. Et dans l’avion qui m’emmène, ils mettent sur le petit écran le film d’Al Gore [ancien vice-président des États-Unis – ndlr], Une vérité qui dérange. Et là, le clash. Je me suis dit que j’emmènerai l’équipe aux JO, car je suis quelqu’un qui tient sa parole, mais que le lendemain j’arrêterai et je ne prendrai plus l’avion.
Je pense que tout grand événement, même les grands concerts de rock et les grands festivals, il faut le questionner. Ce sont des tonnes de watts dépensées à chaque fois. Si on ne fait pas entrer dans les têtes des gens qu’on ne peut pas continuer comme ça, on n’y arrivera pas. Le groupe Shaka Ponk a décidé d’arrêter ces tournées. Ça commence à bouger un peu chez les sportifs aussi.
Que répondez-vous aux personnes qui défendent les Jeux olympiques comme un grand spectacle qui crée du bonheur pour les gens ?
Comme on parle de faire de l’agriculture locale, il faut faire du sport local. C’est génial, le sport. Et est-ce que le plaisir sera vraiment différent ? On peut aussi garder du bonheur à faire un petit trail de village, à faire une petite course de ski, à faire une petite course de vélo, se retrouver entre une trentaine de gars du coin et derrière on se fait un petit barbecue. C’est une vision du monde. Si on ne veut pas tout perdre, il faut lâcher des choses.
Et on gardera des choses peut-être plus simples. Mais est-ce qu’on sera plus malheureux ? Moi, j’ai fait un petit cross. Maintenant, avec ma compagne, régulièrement, on fait des petites courses à pied. On va à vélo au départ, on fait la course, on mange avec les copains après la course, on rentre chez nous. C’est super.
Les sportifs sont à l’image de la société, ni pires, ni mieux. Ils passent un bon moment, et le plaisir de l’instant prévaut sur une vision un peu plus longue. Et puis quand il y a une notoriété qui arrive, tu es pris par ça. Tu es content, tu passes à la télé. Quand tu es sportif de haut niveau, on te parle différemment. Quand tu arrives dans ton village, tout le monde te félicite, ou compatit si tu n’as pas eu de bons résultats. On essaye tous d’exister aux yeux des autres. Si je fais ce que je fais en ce moment, c’est aussi peut-être que j’ai besoin encore d’exister. Maintenant, je fais du maraîchage, j’ai des toilettes sèches chez moi. J’essaie d’appliquer ce que je dis.
J’ai passé des super moments à faire des événements comme la Coupe du monde. Je ne dis pas que ce n’était pas bien. Je ne vais jamais dire que ce n’est pas génial, les JO. J’y étais, je vois l’ambiance, l’adrénaline que j’ai eue au départ d’une Coupe du monde. C’était des moments extraordinaires. Mais juste, on ne peut plus continuer et je le dis de manière très triste.
Le déni, il est partout. C’est très dur. Aujourd’hui [jour de l’interview, mercredi 17 juillet – ndlr], il y avait le Tour de France qui passait à Gap. Les gens y vont car ils peuvent toucher du bout des doigts un truc exceptionnel. J’entends, je le comprends, je l’ai ressenti, je l’ai vécu. Mais juste, on ne peut plus. Si vous aimez vos enfants, si vous aimez la vie, il va falloir arrêter ça, c’est tout.
Jade Lindgaard