Complicité
Ils étaient trois mousquetaires de l’économie marxiste en France : Jean-Luc Dallemagne, Jacques Valier et Pierre Salama. Les deux premiers sont partis il y a déjà un bon moment. Pierre vient de les suivre. Des trois, c’est lui que j’ai connu du plus près. C’était en 1976. Giscard était à l’Elysée et Alice Saunier-Seïté au Ministère des Universités. Je n’étais alors qu’un vulgaire vacataire, en train de faire sa thèse, et lui un jeune et brillant maître de conférences. Nous nous sommes retrouvés dans la section Snesup des économistes de Paris 1, au sein de laquelle se déroulait depuis 1968 une lutte entre la « majo » (représentant la direction nationale, proche du PC) et la « mino » (Ecole Emancipée, proche de la LCR).
Une partie des « gauchistes » était déjà partie au SGEN, et les rapports de force au sein du Snesup étaient donc très serrés. Chaque réunion était précédée d’une soirée de coups de fil pour s’assurer que personne de la (bonne) tendance ne manquerait le lendemain à l’appel. Pour ne pas être paralysés par nos divisions, nous avons décidé de former un bureau bi-tendanciel de quatre personnes, où Pierre et moi représentions la « mino ». De cette époque de complicité syndicale, il est resté une tendresse mutuelle qui ne s’est jamais démentie, et même nourrie de nos engagements respectifs sur l’Amérique latine. Lui s’y était très vite engagé tout entier. De mon côté j’ai toujours maintenu une certaine distance entre mes activités universitaires, orientées vers l’histoire de la pensée économique et l’économie foncière et immobilière, et mes activités militantes au sein du Cedetim, et sur l’Argentine puis le Nicaragua.
A de nombreuses reprises, Pierre a tenté – sans succès – de me convaincre de faire se rejoindre ces deux vies parallèles. En plusieurs occasions il m’a fait bénéficier de ses contacts : au Nicaragua, au Mexique, au Brésil. Car il avait tissé au fil des ans un incroyable réseau de contacts intellectuels et amicaux. A son image, celle d’un homme chaleureux, séducteur, fidèle à ses convictions et à ses amitiés.
Nous nous désolions tous deux de l’évolution régressive de l’université française et de l’économie académique. Nos derniers échanges (écrits) ont porté sur le Nicaragua et le Pérou. Il s’est plusieurs fois excusé de ne pouvoir assister à des réunions publiques organisées par le Collectif Nicaragua, notamment l’hiver dernier. J’ai compris pourquoi ces derniers jours.
Hasta siempre, Pierre !
Christian Tutin
13 août 2024
À Pierre Salama, notre ami
Pierre est, pour nous, à la fois un mentor, un ami précieux et un camarade de combat.
Lorsqu’il était membre de la Ligue communiste et de la IVe Internationale, avec Jacques Vallier il publia un manuel de formation marxiste, Une introduction à l’économie politique (FM/petite collection maspero), qui fit date et accompagna la réflexion de toute une génération militante. Avec d’autres économistes, il anima la revue Critique de l’économie politique durant ces années où on savait que le travail théorique est nécessaire à l’action politique. Par la suite il a dirigé la revue Tiers monde, il était membre du Comité de rédaction de la revue ContreTemps à laquelle il a confié plusieurs contributions importantes.
Ingénieur de formation, Pierre a fait sa thèse en critiquant les théories néo-classiques pour s’orienter, sous l’influence principale de Celso Furtado, vers la compréhension des questions de développement. Inlassablement il poursuivit la construction d’une théorie à partir d’une lecture de Marx - qui a évolué bien sûr au cours du temps - pour appréhender le capitalisme et ses formes, centrant ses analyses sur la questions de l’État, grande absente du Capital de Marx. Appréhender les problèmes de blocage du développement oblige à l’analyse des formes du capitalisme, de la mondialisation. Il a su analyser l’hypermondialisation d’un capitalisme à dominante financière, et aussi les épidémies et la crise climatique qui transforment nos modes de vie.
Économiste de renom, grand spécialiste des économies latino-américaines, il se passionnait pour ces sociétés à partir desquelles pour une grande part il observait et analysait notre monde, ses mutations, ses espoirs et ses menaces.
Sa disparition laisse un grand vide dans nos cœurs, nous l’aimions, et le retrouver était toujours un plaisir, une nécessité.
Nous n’avons pas cru qu’il puisse nous quitter, tant nous avions besoin de sa capacité à appréhender le monde dans ses évolutions permanentes.
Son absence nous pèse déjà, plus d’un demi siècle d’amitié partagée et d’échanges d’idées ne peut que nous laisser comme orphelins.
A Jeanne-Marie, à Pascale, nous disons toute notre affection,. Nous partageons leur désarroi, il est aussi le nôtre.
13 août 2024
Nicolas Béniès, Francis Sitel
La mort de Pierre Salama est une grande perte, pour le monde militant, pour les étudiants et aussi pour ses nombreuses amies et ses multiples amis, sans parler de ses relations familiales et intimes.
Ce décès me touche beaucoup car Pierre était un ami très cher. La joie de me confronter avec son rire et son humour va me manquer beaucoup. Je me suis lié avec lui lors de mes enseignements à l’Université Paris XIII et j’ai découvert l’homme charmant qu’il était, au-delà de la rigueur de ses analyses et des caractères souvent très critiques voire cassants de la collection et de la revue qu’il a longtemps coanimées chez Maspéro.
Sa curiosité du monde était immense et ce qui est devenu sa passion pour l’Amérique latine a enrichi de très nombreux étudiants et universitaires de ce continent, au-delà des groupes militants du Brésil et de l’Argentine.
Une anecdote l’illustre bien : Pierre m’a raconté qu’il avait appris l’Espagnol et le Portugais en bouquinant des petits livres Assimil après la réception enthousiaste de sa thèse d’économie au Brésil, ce qui m’a surpris quand on sait l’importance des travaux et visites des différents pays d’Amérique du Sud qui ont suivi et qui ont enrichi notre connaissance des richesses de ce continent, comme de sa misère et de ses inégalités. Les nombreux articles dont il a enrichi la revue Tiers-Mondes qu’il a longtemps dirigé peuvent en témoigner comme les références données par d’autres.
Son humour était permanent et rendait très vivants ses échanges aussi bien que ses cours. Je me souviens ainsi d’une amie très chère qui, après avoir partagé une sortie avec lui et moi, n’avait pu s’empêcher d’évoquer son charme autant que son élégance. A toutes et tous, Pierre, tu vas nous manquer.
Georges Menahem
13 août 2024
Au-delà des références multiples déjà envoyées sur cette liste, je citerais les ouvrages majeurs que l’on peut trouver dans de nombreuses bibliothèques.
Pierre Salama, Les économies émergentes latino-américaines : entre cigales et fourmis, Paris, Armand Colin, coll. « U. Économie », 2012, 225 p. (ISBN 978-2-200-28132-8, SUDOC 164944303)
Pierre Salama, Migrants et lutte contre les discriminations en Europe, Strasbourg, Édition du Conseil de l’Europe, coll. « Série Livre blanc ; 2 », 2010, 101 p. (ISBN 978-92-871-6763-7, SUDOC 147340535, lire en ligne [archive])
Pierre Salama, Le défi des inégalités : Amérique latine-Asie : une comparaison économique, Paris, La Découverte, coll. « Textes à l’appui. Série Économie », 2006, 164 p. (ISBN 2-7071-4898-9, SUDOC 103962751)
Pierre Salama Contagion virale. Contagion économique. Risques politiques en Amérique latine, Éditions du Croquant, 2020
Une première réaction au départ de Pierre Salama
Je suis très touché par le départ de Pierre Salama. Même si je voyais bien, lors de nos dernières rencontres, son état de forte fatigue. Nous avions Pierre et moi, une longue complicité. Depuis des années, nous déjeunions régulièrement, tous les quelques mois, pour échanger et rire ensemble. Nous n’oubliions pas que nous étions tous les deux des économistes marxistes, nés en Egypte, d’origine juive, lui à Alexandrie, en 1942, et moi au Caire en 1938. Nous partagions notre engagement de marxistes, attachés au non-sectarisme, dans les mouvements révolutionnaires du Nord et du Sud. Nous étions soucieux de construire une démarche scientifique tout en évitant le dogmatisme. Nous étions aidés en cela par le recul que permet une bonne dose d’humour égyptien. Je suivais de près la revue Critique de l’économie politique, dès les années 1970. Et Pierre était attentif et participait aux activités du cedetim et à ses débats. Nous participerons aux rencontres pour rendre plus présente la mémoire vivante de Pierre. Elle est d’autant plus importante dans la situation où il faut résister à la montée de l’extrême droite et réinventer une pensée révolutionnaire.
12 août 2024
gustave massiah
« Grâce à lui »
J’apprends aujourd’hui le décès de Pierre Salama (« Paul ») qui fut après 1968 l’un des animateurs de la revue « Critique de l’économie politique » avec Jacques Vallier, mais qui fut aussi le responsable de la DS (Direction de section) des cellules de la Ligue Communiste des 14e et 15e arrondissement de Paris dès la création de l’orga en 1969.
C’est notamment grâce à lui, à « Himmel » et à « Alexis Violet » que j’ai quitté le PC au retour de mon service militaire fin 68 pour rejoindre la Ligue dès sa création.
Pierre, qui fut professeur d’économie à la Sorbonne et directeur de la revue Temps Modernes, continuait de suivre toutes les questions économiques concernant l’Amérique Latine sur lesquelles il avait notamment écrit en 2012 Les économies émergentes latino-américaines : entre cigales et fourmis, Paris, Armand Colin, coll. « U. Économie ».
Les anciens du journal Rouge, passés ensuite par Le Monde se chargeront de transmettre tous les éléments pour la publication dans la rubrique nécrologique.
Pensées pour Jeanne, sa compagne, ancienne militante de la LC elle aussi.
Michel (« Laszlo »)
Paulo A. Paranagua
Voir son article du Monde.
La « bande Nica »
Pierre Salama fut des premiers à soutenir le boulot de la « bande Nica », avant même 1979. Puis des premiers à dénoncer la dérive dictatoriale qui s’y installait en soutenant les manifs de 2018
whttps://alencontre.org/ameriques/amelat/nicaragua/declaration-urgente-pour-le-nicaragua.html
Et un fidèle collaborateur de la revue de la solidarité, Volcans.
Adiós, compañero !
Mariana
Toujours en mouvement
Comme le savent surement déjà certain.es d’entre vous, l’économiste et chercheur latinoamericaniste Pierre Salama vient de décéder. C’était un grand intellectuel, ancré dans le marxisme critique (avec quelques prises de distances par la suite), ancien militant à la LCR et fondateur et animateur de l’importante revue Critiques de l’économie politique.
Voir : https://www.contretemps.eu/publier-une-revue-marxiste-en-economie-entretien-avec-pierre-salama/
et aussi quelques textes ici : https://www.contretemps.eu/author/pierre-salama/
Plusieurs d’entre nous l’avons croisé à plusieurs moments de sa vie, et j’imagine que certain.es camarades pourront nous donner des témoignages, notamment sur son engagement dans les années 70 et 80. C’était une personne chaleureuse, ouverte au dialogue (mais toujours exigeant) et toujours en mouvement : ces analyses et ouvrages sont reconnus au plan mondial et traduits depuis 5 décennies dans les espaces universitaires et militants en Amérique latine, particulièrement au Brésil, Mexique et Argentine, pays sur lesquels il a beaucoup écrit.
Contretemps Web lui rendra hommage en republiant une série de ce textes très prochainement,
Saludos
Franck Gaudichaud
Un ami très cher
Chers tous,
C’est avec une grande tristesse que j’ai appris la disparition hier soir (09-08-2024) de mon très cher ami Pierre Salama, victime d’un cancer qui a progressé très rapidement.
Pierre était une personne charmante, brillante, passionnée par la connaissance, les arts et la culture.
Pierre était l’un des plus grands économistes latino-américanistes et avait une profonde compréhension de la réalité de chaque pays de la région. Pierre a été l’auteur d’une œuvre académique de grande qualité qui a marqué plusieurs générations d’étudiants.
C’est une perte immense pour moi. Pierre a été mon directeur de thèse dans les années les années 1980 et nous sommes restés grands amis sans interruption.
Pierre laisse sa femme Jeanne-Marie, sa fille Pascale et deux petites-filles qu’il aimait tant.
C’est une grande douleur de perdre quelqu’un comme Pierre qui m’a tant inspiré.
10 août 2024
Octavio de Barros