« Ils disent qu’ils ne veulent pas de La France insoumise (LFI), mais en fait ils ne veulent pas d’un gouvernement de gauche. » C’est la conviction de Fabien Roussel à propos du président de la République et de ses partisans. Le secrétaire national du Parti communiste français (PCF), s’adressant samedi soir devant un petit millier d’adhérent·es réuni·es à Montpellier (Hérault), a mis en garde Emmanuel Macron contre le « coup de force démocratique » qu’il s’apprêterait à commettre en ne nommant pas Lucie Castets première ministre.
Les universités d’été de la gauche tenues ce week-end, en attendant celle des socialistes la semaine prochaine, ont rencontré l’agenda du chef de l’État, qui a daigné entamer des consultations en vue de nommer une ou un successeur à Gabriel Attal à Matignon. Non contents de prouver leur unité de vues face à Emmanuel Macron, en laissant Lucie Castets mener les échanges et en n’émettant aucune note dissonante, les responsables du Nouveau Front populaire (NFP) ont tenté de retourner le stigmate du sectarisme contre le camp présidentiel.
Lucie Castets aux Amfis 2024, le 24 août. © Emmanuel Dunand / AFP
Si cela n’était pas très bien parti avec la menace de destitution agitée par les cadres insoumis en fin de semaine dernière, peu crédible et ignorée par leurs partenaires, Jean-Luc Mélenchon s’est montré bien plus habile en mettant les macronistes au défi.
Puisqu’ils évoquaient régulièrement la présence de LFI à des postes gouvernementaux pour justifier par avance la censure d’un gouvernement NFP, le triple candidat à la présidentielle a soulevé, samedi 24 août, l’hypothèse d’un soutien sans participation : « Si le gouvernement de Lucie Castets ne comportait aucun ministre insoumis, vous engageriez-vous à […] lui permettre d’appliquer le programme ? »
« Depuis hier, ça doit phosphorer : “Zut, comment on va faire ? Cela va trop se voir que c’est à cause de Macron qui ne veut pas respecter le résultat des élections” », ironisait Manuel Bompard, coordinateur national de LFI, lors du meeting de conclusion des Amfis ce dimanche. Avec pour avantage que si le scénario d’un soutien sans participation se concrétisait, les Insoumis ne seraient pas mécontents d’échapper aux coûts de l’action gouvernementale dans un cadre fort contraint.
La (longue) bataille pour Matignon
Entre-temps, plusieurs députés macronistes ont confirmé que leur véritable problème était celui d’un semblant d’alternance, en arguant que le programme du NFP, corédigé par LFI, leur serait insupportable.
« Un gouvernement […] qui appliquera le programme du NFP-LFI – explosion des impôts et de la dépense publique, dirigisme économique, complicité avec les régimes autoritaires, remise en cause de la laïcité –, c’est évidemment non », a clamé Benjamin Haddad. Sa collègue Constance Le Grip est allée dans le même sens. Et Jean-René Cazeneuve a carrément plaidé pour qu’il n’y ait « plus de LFI à l’Assemblée nationale ».
À ce stade, leur chef de groupe Gabriel Attal ne s’est pas encore exprimé. Celui du groupe Horizons, Laurent Marcangeli, l’a fait de manière abrupte dans Le Figaro : « C’est un programme qui, s’il était mis en œuvre, provoquerait une crise. Je réponds donc à Jean-Luc Mélenchon que nous nous y opposerons avec tous les instruments que la Constitution nous offre. »
Le principal problème de cette posture reste que la majorité alternative souhaitée, supposée aller « de la droite républicaine aux sociaux-démocrates », paraît encore plus improbable qu’un gouvernement NFP toléré par le centre-droit. C’est pourquoi les responsables de la gauche anticipent des crises répétées, et ne s’avoueront pas vaincus si Emmanuel Macron ne nomme pas Lucie Castets dans les prochains jours.
« La question de la bataille pour Matignon ne serait pas nécessairement derrière nous,explique Paul Vannier, député LFI. Le gouvernement serait exposé à une motion de censure. On restera unis pour le faire chuter. » Les Insoumis misent aussi sur une rentrée sociale chaude dans la rue pour accentuer la pression sur Emmanuel Macron. C’est aussi le cas du PCF, Fabien Roussel ayant évoqué des mobilisations au Parlement, dans la rue et sur les lieux de travail. « Nous travaillons à une rentrée offensive », a d’ailleurs confié Sophie Binet, secrétaire générale de la CGT à La Vie ouvrière.
Côté Écologistes, malgré la détermination affichée par leur secrétaire nationale Marine Tondelier, l’espoir de voir Lucie Castets former un gouvernement est plus que mince. « Je pense tout de même que Macron n’a pas d’autre choix que de nommer quelqu’un du NFP,avance une cadre du parti. Ce ne sera certainement pas Lucie Castets, mais c’est sa seule solution pour une sortie de crise. »
Le député socialiste de l’Eure Philippe Brun, dans une tribune publiée dimanche dans Le Monde, s’agace à la fois d’un camp présidentiel ne digérant pas sa défaite et d’une gauche trop sûre de son fait avec seulement un tiers des sièges de l’hémicycle. S’émancipant de l’approche « texte par texte » défendue par la direction de son parti, il décrit les bases d’un « accord de non-censure », fait d’« engagements réciproques et non de simples “lignes rouges” qui tomberaient comme des ultimatums changeant au gré de l’actualité ».
Le défi de l’unité
Si les composantes du NFP ont jusque-là préservé leur unité, il est clair que les terres inconnues dans lesquelles se déroule désormais la vie politique française la mettront à l’épreuve, dans la méthode et sur le fond.
À Montpellier, lors de la seule table ronde ayant réuni des porte-parole des quatre principales composantes du NFP, des militants communistes ont témoigné, depuis la salle, de leur agacement envers leurs partenaires, insoumis notamment. Plusieurs interpellations ont visé l’initiative solitaire de LFI autour de la destitution, évoquant un « coup de canif » dans l’unité affichée, fustigeant « les positionnements diviseurs qui ont contribué à faire de l’extrême droite un pôle de stabilité », et mettant en doute l’intérêt d’une telle initiative quand « la gauche est scotchée à 30 % dans les urnes ».
« Le fait d’avoir mis en toile de fond le fait qu’il y a la potentialité de la destitution marque de manière claire la gravité de la situation politique dans laquelle on est », plaidait à distance la députée LFI Claire Lejeune, même si elle n’a pas de chance d’aboutir. Dans les travées des Amfis à Valence, il était en tout cas rare de croiser des représentants d’autres familles politiques que LFI. La communiste Elsa Faucillon et le socialiste Arthur Delaporte ont bien fait des apparitions, mais c’est tout.
Pour les Insoumis, la question de l’unité s’adresse surtout au Parti socialiste (PS), dont l’aile droite tente le tout pour le tout pour exclure LFI du NFP – et gouverner sans elle. « S’il y a des divisions aujourd’hui, ce n’est pas dans le NFP, mais dans le PS. Je nous trouve unis, soudés, affirme ainsi Paul Vannier. Ce qui a mis en danger Lucie Castets, c’est quand des socialistes opposants à Olivier Faure [le premier secrétaire – ndlr] ont commencé à envisager sérieusement Bernard Cazeneuve ou Karim Bouamrane. »
Le partage de l’interview de Raphaël Glucksmann au Point, dans laquelle il adresse des reproches tant à Jean-Luc Mélenchon qu’à Olivier Faure (en sous-texte), par des députés socialistes, fait aussi dire aux Insoumis que le prochain congrès du parti à la rose sera crucial pour l’avenir de l’union de la gauche. « Olivier Faure a une partie qui n’est pas simple, il faut l’aider à tenir, analyse aussi l’eurodéputé Damien Carême, ex-Écologiste passé chez LFI. Tout le monde a intérêt à rester unis : quitter cette coalition, ce serait suicidaire. »
C’est aussi ce que pensait l’écrasante majorité des Écologistes réunis à Tours. La déconvenue des européennes joue probablement un rôle dans leur conviction de la nécessité de l’union. Au deuxième jour des journées d’été, un « débrief » de la campagne des européennes a ainsi été l’occasion pour quelques voix de monter au créneau, afin de contester le choix d’avoir fait cavalier seul pour cette échéance électorale.
Pour le coup, les partenaires du NFP ont défilé tout le week-end chez les Écologistes. Des élus socialistes et communistes ont pris part à des ateliers thématiques. La députée Aurélie Trouvé a représenté LFI lors de la première journée, et Olivier Faure a pris la parole lors de l’assemblée plénière de clôture pour réaffirmer la solidité de l’union.
Marine Tondelier et Olivier Faure avec Raquel Garrido et Alexis Corbière (au centre), à Tours le 24 août 2024. © Jean-François Monier / AFP
La part belle a aussi été faite aux députés insoumis « purgés » à l’occasion des dernières législatives. Clémentine Autain, Alexis Corbière, et Danielle Simonnet siègeront dans le groupe écologiste et social à l’Assemblée nationale, lors de la rentrée parlementaire. Une place de choix leur a été accordée dans l’événement. François Ruffin et Raquel Garrido ont aussi eu la parole samedi.
L’asile politique ainsi fourni n’est pas allé sans quelques tacles plus ou moins subtils à leurs alliés de LFI. Un atelier, intitulé « Comment rassembler contre l’antisémitisme à gauche ? », a été l’occasion d’évoquer à plusieurs reprises « l’antisémitisme de certains cadres de LFI », quitte à ce qu’une certaine confusion s’instaure entre ce qui relevait de propos véritablement problématiques ou d’un soutien marqué à la cause palestinienne. Lors du débrief de la campagne des européennes, le maire de Grenoble Éric Piolle a d’ailleurs critiqué, à ce sujet, « une campagne monolithique » de Mélenchon.
Le spectre de l’extrême droite
Un des coagulants du NFP reste la menace de l’extrême droite. Certes sévèrement privée d’une majorité entre les deux tours des législatives, elle a franchi des seuils électoraux impressionnants en quelques années.
Lors d’un atelier organisé par les communistes sur les ressorts du vote pour le Rassemblement national (RN), l’effarement était palpable. « Qu’est-ce qu’on peut faire contre la montée de l’extrême droite ? », a lancé dans un cri du cœur une militante auprès des universitaires à la tribune, bien embarrassés pour proposer une solution clé en main. « Dans l’Aude, on a trois députés RN sur trois, de nombreuses zones sont infestées », témoignait un autre. « Il y a un désir de RN, rapportait une autre personne, ils incarnent du changement quand nous sommes cantonnés à une logique de barrage. »
Au PCF comme chez les Écologistes et à LFI, de nombreux rendez-vous étaient consacrés à cet adversaire spécifique. À Tours, Marine Tondelier n’a pas manqué de moquer Jordan Bardella et son parti à chacune de ses prises de parole. Même tourné en dérision, le RN est pris au sérieux : la peur de le voir accéder au pouvoir début juillet a marqué les esprits et les candidats malheureux aux législatives ont exprimé « le traumatisme » d’avoir dû se retirer pour faire élire des candidats de droite « qui les insultent à longueur d’année », sans être certains que le barrage républicain tienne encore longtemps.
« Le vers est déjà dans la pomme, la Macronie vote déjà des lois avec l’extrême droite,a rappelé la députée Léa Balage El Mariky sous le dôme de bois et de toile qui abritait la scène principale, en faisant référence à la loi immigration. Maintenant, notre responsabilité, c’est de proposer un chemin pour l’avenir, et de convaincre les électeurs que ces gens-là ne représentent pas un avenir souhaitable pour la France. »
Dans la lettre aux Français·es rédigée par le NFP avant la rencontre avec Emmanuel Macron, un paragraphe n’est pas anodin. « Aux électeurs qui n’ont pas voté pour nous,est-il écrit, à droite ou à l’extrême droite, comme à ceux qui n’ont pas voté du tout, nous disons : oui, nous souhaitons rompre avec la logique d’un camp contre un autre et travaillerons ensemble pour construire l’avenir du pays et financer les services publics. »
L’apostrophe montre que pour une partie de la coalition, il y a un enjeu à s’adresser encore à l’électorat du RN pour le détourner de ce vote. Mais ce n’est pas l’option privilégiée par LFI, qui pense stratégiquement plus profitable de mobiliser le « quatrième bloc » des abstentionnistes. « C’est un débat au sein du NFP, mais nous ne partageons pas la lecture selon laquelle les gens choisissent Marine Le Pen simplement par colère ou par erreur »,défend Paul Vannier.
Félicien Faury, auteur d’un livre remarqué qui insiste sur la matrice raciste du vote RN, était abondamment cité à Valence à l’appui de cette orientation. Mais le sociologue y affirme aussi que les électeurs de ce parti ne sont pas nécessairement prisonniers de tous les mécanismes qui les font agir ainsi dans les urnes.
À Montpellier, le jeune chercheur Pierre Wadlow, retrouvant beaucoup des résultats de Félicien Faury sur son propre terrain, remarquait que « la représentation du monde social [n’était] pas figée » chez ses enquêté·es. Réfutant toute « recette miracle », impossible à administrer face à un électorat aussi composite, il soulignait que « la politisation de l’électorat passe souvent en dessous des radars des militants de gauche, via des espaces privés où ils sont peu présents. Le seul conseil que j’aurais à donner serait donc d’éviter les entre-soi. »
Mathieu Dejean, Fabien Escalona, Névil Gagnepain et Clément Le Foll