Les Premiers ministres français peuvent être classés en deux catégories : ceux qui s’intéressent aux enjeux écologiques (ils se font rares ces dernières années) et ceux qui n’en ont cure (on les a davantage observés). Michel Barnier, membre du parti de droite Les Républicains, fait étonnamment partie de la première catégorie. L’homme de 73 ans a été nommé à Matignon par Emmanuel Macron le 5 septembre, et ce, alors que son parti est arrivé en quatrième position du scrutin, avec seulement 47 sièges (sur 577) à l’Assemblée nationale.
Malgré des positions libérales sur l’économie, Michel Barnier n’hésite pas à affirmer depuis des années que l’écologie est un sujet de la plus haute importance, qui doit être davantage pris en compte par sa famille politique. « L’écologie n’est pas une lubie de quelques scientifiques, déclarait-il en octobre 2021, alors qu’il était candidat à la primaire des Républicains, avant d’être battu par Valérie Pécresse. Ce n’est pas une mode. Ce n’est pas la propriété d’un groupe, d’un clan ou d’un parti politique. La droite républicaine et le centre doivent avoir une vision, une ambition, un engagement [sur l’écologie et le changement climatique]. »
Son intérêt pour ces sujets ne date pas d’hier. Dès 1971, Michel Barnier a travaillé au sein du cabinet du tout Premier ministre de l’Environnement en France, Robert Poujade — le président de la République était alors Georges Pompidou. Plus tard, de 1978 à 1993 — sous Valéry Giscard d’Estaing puis François Mitterrand —, Michel Barnier a été député, et rapporteur du budget de l’environnement en tant que membre de la commission des finances. En 1990, il a publié l’ouvrage Le Défi écologique, chacun pour tous.
Une appétence, sincère, qui lui a valu d’être moqué dans son propre camp. « Beaucoup ricanaient : “Michel, c’est cui-cui les petits oiseaux” », rapporte un de ses anciens collaborateurs, cité dans le journal Le Monde. Jusqu’au jour où Michel Barnier est devenu ministre de l’Environnement, de 1993 à 1995, toujours sous François Mitterrand.
Héritage
Quoique peu connu du grand public, Michel Barnier a laissé un héritage dans le milieu de l’écologie, encore visible et valorisé aujourd’hui. Il a notamment fait voter une loi portant son nom, en 1995, qui comprenait, entre autres : la création de la Commission nationale du débat public (pour discuter de grands projets d’infrastructures), l’instauration d’une taxe sur le transport maritime, l’inscription du principe du pollueur-payeur dans le droit de l’environnement… Le fonds Barnier, mis en place pour aider les collectivités à faire face aux catastrophes naturelles ? C’est encore lui. « Il y a des choses positives dans son bilan », reconnaît Jean Burkard, directeur du plaidoyer à WWF France, malgré les positions économiques libérales du nouveau Premier ministre.
Après être passé aux Affaires européennes (de 1995 à 1997) puis aux Affaires étrangères (de 2004 à 2005), Michel Barnier est devenu ministre de l’Agriculture et de la Pêche, de 2007 à 2009. Nicolas Sarkozy était alors président de la République. « Michel Barnier est quelqu’un qui a affirmé à plusieurs reprises que l’agriculture ne pouvait pas être laissée aux seules lois du marché. C’était d’ailleurs le titre de son dernier discours de ministre de l’Agriculture, en 2009. On saura le lui rappeler », prévient Laurence Marandola, porte-parole du syndicat la Confédération paysanne.
Michel Barnier lors de l’inauguration des championnats de France de Labour, le 14 septembre 2008 à La Daguenière (Maine-et-Loire). © Mathieu Génon / Reporterre
L’autre dada de Michel Barnier ? L’Europe. Il a été commissaire européen (1999-2004 et 2010-2014) et eurodéputé (2009-2010). Il est particulièrement connu et reconnu pour avoir négocié la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne. « Ses positions en faveur du Pacte vert européen [un ensemble de textes ambitieux pour respecter l’Accord de Paris sur le climat] sont étonnement progressistes à l’échelle du groupe dont il est membre, le PPE [Parti populaire européen] », observe Neil Makaroff, expert associé à la Fondation Jean-Jaurès. Il poursuit : « Michel Barnier est même monté assez vite au créneau pour le défendre, un soutien réaffirmé depuis, alors même que son parti s’évertuait à démonter le Pacte vert. »
Croissance verte
Toutefois, sa vision de l’écologie est celle d’un homme de droite. Si Michel Barnier ne nie pas la réalité scientifique — il a l’habitude de citer les travaux du Giec, le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat —, il croit que c’est compatible avec la poursuite de la croissance économique. « Nous avons des raisons, je le crois, de bâtir un modèle de croissance écologique, d’une croissance durable qui fasse en sorte que l’on respecte davantage les ressources et les espaces, parce que les ressources et les espaces ne sont ni gratuits ni inépuisables », affirmait-il en 2021. En clair : l’écologie, oui, la remise en question du modèle économique actuel, non.
Selon lui, la réponse à l’urgence climatique doit en premier lieu être la question énergétique. S’il ne se dit pas « favorable au tout nucléaire », il estime cependant que « l’on ne relèvera pas le défi climatique en France sans le nucléaire ». Il s’est opposé à la fermeture de la centrale de Fessenheim en 2020, et a vivement critiqué la Commission européenne qui refusait — avant de changer d’avis — de considérer l’énergie nucléaire comme « verte » ou « décarbonée ».
Aussi, bien que favorable à l’énergie photovoltaïque et optimiste sur l’hydrogène, il est mitigé sur les éoliennes. Comme souvent, dans sa famille politique. « Je pense qu’il faut réévaluer cette politique d’équipement de l’ensemble de notre pays d’éoliennes, qui posent beaucoup de problèmes pour le paysage et pour la biodiversité, notamment marine », déclarait-il en 2021.
Écologie « punitive »
Michel Barnier craint également que des mesures, bien qu’ambitieuses, soient perçues comme trop punitives. En 2023, dans une tribune publiée dans Le Monde aux côtés du député Antoine Vermorel-Marques (LR) — le nouveau référent sur l’écologie au sein du parti de droite —, il avait par exemple regretté que l’interdiction des voitures thermiques en 2035 et la diminution de 50 % de l’usage des pesticides d’ici à 2030 donnent un caractère « punitif » à la politique environnementale européenne.
« Nous préférons le contrat à la contrainte. [Nous] partage[ons] les grands objectifs affichés par l’Union européenne dans le cadre du Green Deal [Pacte vert], mais [nous nous attacherons] à ce qu’on le fasse avec les gens », écrivaient les deux hommes, évoquant le cas de l’Amérique qui préfère « utiliser l’arme des subventions industrielles pour inciter à produire écologique plutôt que de punir l’industriel et le consommateur ».
« Michel Barnier voit l’opportunité industrielle et économique, et pourrait être en capacité de former des convergences avec la gauche sur la réindustrialisation verte et sur l’accélération de la planification écologique, imagine Neil Makaroff. Cela impliquera de créer une rupture avec le précédent gouvernement, et notamment de revenir sur les dernières coupes budgétaires. »
Le nouveau Premier ministre, encensé par ses collègues pour son art du consensus — bienvenu lors des négociations du Brexit —, en aura certainement besoin pour composer un gouvernement et aller chercher des accords sur des textes, écologiques et autres, dans une Assemblée nationale fragmentée en trois blocs, où les membres de son parti sont en minorité. S’il n’est pas censuré dans les jours qui viennent par le Nouveau Front populaire, formation arrivée en tête lors des élections législatives. Le Rassemblement national, de son côté, est bien plus bienveillant, le considérant « capable de s’adresser » au parti d’extrême droite.
Michel Barnier n’a pas tardé à le confirmer lors de la passation de pouvoir par Gabriel Attal à Matignon, le 5 septembre en fin de journée. Il a affirmé que son rôle devait être « dire la vérité » sur la « dette écologique qui pèse lourdement sur les épaules de nos enfants ». Il a promis des « changements et des ruptures », sans préciser lesquels. En quelques minutes, le nouveau locataire de Matignon a esquissé ses priorités – avec un clair appel du pied à l’extrême droite, en y plaçant « la maîtrise de l’immigration » au sommet. Il a promis « du respect à l’égard de toutes les forces politiques, je dis bien toutes les forces politiques, qui sont représentées au Parlement ».
Alexandre-Reza Kokabi, Émilie Massemin, Justine Guitton-Boussion