En dépit d’une répression qui ne faiblit pas, la société iranienne, dans les grandes villes, a profondément changé depuis deux ans et les femmes assument de plus en plus leurs choix, comme ceux de découvrir leurs cheveux, conduire une moto ou s’habiller en jean et tee-shirt.
Deux ans après la mort de Mahsa Jina Amini, la société iranienne, ses villes et ses rues, ont changé de visage de façon spectaculaire. Aujourd’hui, de nombreuses femmes, notamment issues des classes sociales les plus éduquées, se promènent dans les rues avec audace et sans complexe, portant des vêtements qui reflètent leurs préférences personnelles, sans adhérer aux normes obligatoires du hijab. Qu’il s’agisse de chemises, de jupes, de tee-shirts ou de robes à manches courtes associées à des jeans, et surtout sans se couvrir les cheveux, les femmes sont visibles partout – dans les magasins, sur leur lieu de travail ou avec leurs amis – habillées d’une manière qui correspond davantage à leurs propres désirs.
Ces scènes se déroulent ouvertement, y compris devant la police et les forces de sécurité, qui ont pourtant réagi avec une grande violence contre les femmes défiant l’obligation du port du hijab au cours des deux dernières années. Les autorités semblent de plus en plus impuissantes à freiner la désobéissance civile croissante, alors que les femmes poursuivent leur lutte quotidienne pour leurs droits et libertés individuels.
Mais sporadiquement, la police continue toutefois à cibler certaines femmes, à les arrêter, à saisir leurs voitures ou à les inculper de délits criminels. Cette répression imprévisible continue de faire planer la peur et l’anxiété sur les femmes, transformant leur vie quotidienne en un parcours du combattant risqué et dangereux.
« Désir profond de changement »
Depuis cette année, Maryam travaille de manière indépendante comme fabricante de clés, un métier technique traditionnellement dominé par les hommes. La jeune femme de 28 ans, qui affirme avoir une clientèle croissante, lie son entrée dans cette profession aux événements des deux dernières années. « C’est comme si une révolution avait eu lieu en Iran. Avant la mort de Mahsa Amini, nous n’avions jamais imaginé que nous pourrions obtenir la moindre petite liberté avant des années et des années. Mais ces derniers vingt-quatre mois ont montré à quel point le désir de changement est profond chez les gens, en particulier chez les femmes, et quelle force irrésistible leur unité a créé. »
Lorsque les clients entrent dans sa boutique et la voient pour la première fois, ils sont souvent surpris : Maryam travaille toujours en tee-shirt, sans se couvrir les cheveux. Les premiers instants, ils la considèrent d’un air un peu sceptique, mais la méfiance se dissipe rapidement lorsqu’ils constatent ses compétences professionnelles, affirme la jeune femme.
« Je crois qu’il y a beaucoup de femmes comme moi qui accèdent aujourd’hui avec confiance à des emplois qu’elles n’auraient jamais pensé pouvoir occuper. Cependant, des craintes et des peurs subsistent. Mon travail m’oblige à me déplacer à moto dans la ville, mais comme la police n’autorise pas les femmes à conduire des motos, je dois emmener mon père âgé avec moi tous les jours – il me conduit où je dois aller », explique-t-elle.
Règle non écrite
En Iran, aucune loi officielle n’interdit aux femmes de conduire des motos. Pourtant, depuis des années, une règle non écrite permet à la police d’empêcher les femmes de les conduire. Paradoxalement, il est considéré comme acceptable que les femmes soient passagères d’un conducteur masculin.
« Cela montre que la République islamique a plus de problèmes avec l’indépendance et l’activisme des femmes qu’avec tout autre chose », estime Yalda, 24 ans, vendeuse d’or et de bijoux, qui se rend à son travail à moto depuis plusieurs mois. « Je continue à rouler tous les jours avec crainte. A tout moment, je m’attends à ce que la police surgisse de quelque part, me suive, confisque ma moto et porte plainte contre moi. Et c’est le meilleur des scénarios. Certaines de mes amies ont été confrontées à des situations plus violentes – elles ont parfois été attaquées ou insultées alors qu’elles circulaient à moto ».
Mais Yalda refuse de céder à la peur, comme elle a pu le faire dans le passé. « Je ne restreindrai pas ma vie à cause de règles et de normes qui, selon moi, n’ont aucun fondement rationnel. »
Pour Tahereh, médecin de 52 ans, il ne fait aucun doute que le système oppressif de la République islamique à l’égard des femmes est en voie d’effondrement. Parce que les femmes ont réalisé qu’elles possédaient le pouvoir et la détermination nécessaires pour lutter contre les discriminations. « Nous avons atteint un point critique dans la lutte, même si le chemin à parcourir est encore long », dit-elle.
« Je me souviens parfaitement de la terreur qui a suivi la mort de Mahsa Amini, lorsque j’ai pris la décision de ne plus porter de foulard, que ce soit au bureau ou en public. Les premiers jours, la peur des brutalités policières s’est doublée d’un sentiment écrasant d’isolement.
Mais le courage est contagieux, et lorsque j’ai vu d’autres femmes et jeunes filles refuser avec défi de porter le hijab obligatoire, mon propre courage et ma confiance en moi se sont renforcés de jour en jour. » Au début, elle nouait son foulard autour du cou, prête à le ramener sur sa tête dès qu’elle apercevrait la police. « Mais c’est fini. Aujourd’hui, moi et beaucoup d’autres ne prenons même plus la peine d’emporter un foulard. Nous marchons la tête nue. »