Arrestations, viols, pendaisons… Malgré l’élection d’un président réformateur le 5 juillet, les activistes qui défient les autorités au nom de la liberté le payent toujours très cher.
C’est une jeune femme de 31 ans, Arezou Badri, blessée grièvement le 22 juillet par des tirs de policiers sur son véhicule, lors d’un contrôle sur le port obligatoire du voile. Elle est depuis paralysée.
C’est une adolescente de 14 ans, Nafas Hajisharif, violemment agressée en août par cinq agentes pour avoir retiré son foulard dans la rue, à l’instar d’une de ses amies. « Elles me tiraient par les cheveux, me criaient dessus et m’injuriaient, a-t-elle témoigné dans les médias. Puis elles m’ont fait monter dans le fourgon, elles m’ont projetée à terre. L’une d’entre elles m’a frappée, a mis son genou sur ma gorge et m’a cognée fort sur la tête. »
C’est encore la lauréate du prix Nobel de la paix Narges Mohammadi et ses codétenues, blessées le 6 août lors d’affrontements avec des gardiens de la prison d’Evin à Téhéran, alors qu’elles protestaient contre l’exécution d’une prisonnière. Selon sa famille, la militante a souffert d’une « insuffisance respiratoire » et de « vives douleurs thoraciques » qui l’ont fait s’évanouir dans la cour de la prison.
« Nombre croissant de condamnations à mort »
Deux ans après la mort en détention de la jeune Mahsa Amini, qui a donné naissance au mouvement « Femme, vie, liberté », la répression du régime iranien contre la jeunesse continue, plus féroce que jamais.
« Les autorités mènent une guerre contre les femmes et les filles, répriment de plus en plus violemment celles qui défient les lois draconiennes sur le port obligatoire du voile et prononcent un nombre croissant de condamnations à mort pour faire taire la dissidence », résume l’ONG Amnesty International dans une note parue le 11 septembre.
« Les forces de sécurité ont intensifié les schémas préexistants de violence physique », ajoute un groupe d’experts de l’ONU, chargé d’enquêter sur la chape de plomb qui s’est abattue sur le pays après septembre 2022.
Une répression qui, depuis le mois d’avril, porte un nom : le « Plan Noor », une campagne nationale visant à augmenter dans les lieux publics le nombre de patrouilles de sécurité à pied, à moto, en voiture et en fourgon de police pour veiller à l’application du port obligatoire du voile – synonyme que la situation, quelque part, leur échappe.
Avec comme conséquence, de dangereuses courses-poursuites pour arrêter les conductrices, des saisies massives de véhicules, mais aussi des jeunes femmes flagellées et de lourdes peines d’incarcération prononcées… Qu’il s’agisse de la police des mœurs ou de la circulation, des tribunaux, du ministère du Renseignement, des Gardiens de la révolution, y compris leurs forces bassidjis, ou encore de drones, tous s’assurent d’une surveillance totale de la population.
« Terroriser et dissuader de manifester »
L’élection d’un nouveau président réformateur le 5 juillet, Massoud Pezeshkian, n’y a – pour le moment – rien changé. « Nous n’avons aucune indication sur le fait que la situation évolue dans le bon sens », confirme Nassim Papayianni, spécialiste de l’Iran chez Amnesty International. Un projet de loi baptisé « hijab et chasteté », prévoyant des sanctions encore plus sévères, est d’ailleurs sur le point d’être approuvé par le Parlement.
Une autre « nouvelle tendance », selon les mots du groupement d’experts de l’ONU, inquiète les associations : la condamnation à mort des femmes activistes pour des infractions liées à la sécurité nationale. C’est le cas de la défenseuse des droits humains Sharifeh Mohammadi et de la militante de la société civile kurde Pakhshan Azizi, récemment reconnues coupables de « rébellion armée contre l’Etat ». « Au cours des deux dernières années, la peine de mort et d’autres dispositions du droit pénal national […] ont été utilisées pour terroriser les Iraniens et les dissuader de manifester et de s’exprimer librement », dénoncent-ils, jusqu’à avoir recours à des viols ou d’autres formes de violences sexuelles.
De manière générale, le recours à la peine capitale a explosé en deux ans. En 2023, au moins 853 personnes ont été exécutées à travers le pays, marquant une augmentation de 48 % par rapport à 2022 et de 172 % par rapport à 2021, soit un record depuis huit ans, rappelle Amnesty International.
Dans le mois qui a suivi l’élection présidentielle de juin, les autorités ont tué 87 personnes, selon l’ONG Iran Human Rights, bien loin d’un changement de doctrine. Sur la seule journée du 7 août, 29 personnes ont été exécutées pour « meurtre prémédité », pour des délits liés à la drogue ou des viols.
« Les autorités iraniennes se livrent à une série choquante d’exécutions tout en évoquant la récente élection présidentielle comme preuve d’un vrai changement, souligne dans une note Nahid Naghshbandi, chercheuse par intérim à Human Rights Watch.
Mais pour que les slogans de la récente campagne aient un véritable sens, le nouveau président iranien, Massoud Pezeshkian, devrait intervenir d’urgence pour annuler les condamnations à mort déjà prononcées, instaurer un moratoire sur la peine capitale, et prendre des mesures pour réformer le système judiciaire. »
En l’absence d’enquêtes indépendantes au niveau national, les ONG appellent désormais des Etats comme la France à ouvrir des enquêtes pénales sur ces crimes via leurs propres parquets, en vertu du principe de compétence universelle. Comme c’est le cas, déjà, sur la Syrie.