LUDOVIC MARIN / AFPEmmanuel Macron photographié à Nanterre le 19 septembre (illustration)
POLITIQUE - « Une nouvelle époque s’annonce. Elle nécessitera des changements profonds. Il faudra sortir des habitudes et des réflexes partisans. Le contexte international et la situation financière sont graves et imposeront des décisions difficiles et urgentes ». Ces mots n’ont pas été écrits après la dissolution ratée décidée par Emmanuel Macron. Ni à la suite des résultats des élections législatives anticipées, qui ont divisé l’Assemblée nationale en trois blocs antagonistes.
Ils ont été couchés sur Facebook par Nicolas Sarkozy, le 12 avril 2022, dans l’entre-deux tours de la présidentielle. Trente mois plus tard, et au regard du mariage de raison entre la Macronie et Les Républicains célébré par Michel Barnier, force est de constater que l’idée de l’ex-chef de l’État a fini par s’imposer.
Que révèle le gouvernement annoncé ce samedi 21 septembre ? Matignon est à droite. Beauvau est à droite. L’Agriculture est à droite. Le Logement est à droite. Les Sports sont à droite. Quant aux poids lourds du dernier gouvernement repêchés - Rachida Dati, Catherine Vautrin et Sébastien Lecornu - ils viennent des Républicains.
Aucune illusion d’équilibre
Et la prise à gauche, Didier Migaud à la Justice, quand bien même il est numéro 2 dans l’ordre protocolaire ne suffit pas à donner l’illusion d’un équilibre : l’exécutif penche à droite comme jamais depuis les années Nicolas Sarkozy et le gouvernement de François Fillon. Et l’ancien député socialiste apparaît finalement pour ce qu’il est : un ministre d’ouverture, comme Fadela Amara ou Éric Besson l’étaient en 2007.
Qui osera faire croire que la nomination de l’inconnue Nathalie Delattre, sénatrice radicale de Gironde, donne au gouvernement un équilibre conforme à l’expression des élections législatives ? « En même temps, tous les gens de gauche ont refusé », regrette auprès du HuffPost un stratège macroniste de la première heure, bien obligé de constater que la promesse du « dépassement » formulée par Emmanuel Macron en 2017 s’est évaporée au profit d’une droitisation qui n’en finit pas de s’affirmer.
Au point que, pour conserver la réforme des retraites ou une fiscalité jugée attractive pour les entreprises étrangères, cet ensemble politique qui s’est construit en opposition au populisme du Rassemblement national, a accepté de se livrer au bon vouloir de Marine Le Pen. Elle a désormais droit de vie ou de mort sur cet exécutif fleurant bon l’UMP, qui s’appuie sur une majorité d’une dizaine de sièges supérieure à celle du Nouveau Front populaire. Le tout après lui avoir offert une « victoire idéologique » à travers la loi immigration fin 2023. « Dans ce gouvernement, le PDG est Michel Barnier mais la présidente du conseil de surveillance est Marine Le Pen », anticipait sur franceinfo le député MoDem Richard Ramos, avant d’utiliser une métaphore marine : « dans le catamaran gouvernemental, ils ont voulu faire un flotteur de droite. Il n’y a pas de flotteur de gauche et ce déséquilibre à droite, attention, parce que ça peut faire craquer de la coque centrale ».
Il ne croyait pas si bien dire. Car logiquement, plusieurs marcheurs historiques se crispent. Comme l’ex-président de la commission des Lois de l’Assemblée nationale Sacha Houlié qui, sur le réseau social X, voit dans ce casting une équipe « telle que l’aurait voulu François Fillon en 2017 ». Ou le député Éric Bothorel, toujours membre du groupe Ensemble pour la République, qui a posté une image qui en dit long sur son avis.
Une architecture qui en dit long
Sans surprise, l’accomplissement du projet sarkozyste donne des arguments à la gauche. « On nous promettait un gouvernement de concorde, on a un gouvernement de droite dure. C’est la démocratie qui est humiliée ce soir avec la fin de ce suspense de papier », a réagi Lucie Castets, désignée par le NFP pour briguer Matignon. Même l’architecture gouvernementale trahit, dans ses intitulés, une inclination frôlant la caricature. C’est ainsi que Nicolas Daragon, maire LR de Valence, a été nommé ministre délégué chargé de la sécurité du quotidien (comme si la compétence n’était pas strictement celle de l’Intérieur).
Ou que l’Égalité entre les femmes et les hommes a été reléguée au rang de secrétariat d’État, placé sous l’autorité du ministre des Solidarités et de l’Égalité, Paul Christophe, issu de l’écurie d’Édouard Philippe. On peut aussi citer la nomination du (très) libéral Guillaume Kasbarian, ministre de la Fonction publique, de la Simplification et de la Transformation de l’action publique. Une feuille de route qui annonce, a minima, un désir de rationalisation semblable à celui entrepris en 2008… Sous François Fillon.
Autre signe évocateur : le portefeuille chargé « de l’enfance et des familles » est renommé de la « Petite Enfance et de la Famille », invisibilisant de fait la diversité des schémas familiaux. « On n’avait pas vu ça depuis au moins 15 ans ! La droite tradi et réactionnaire est vraiment revenue au pouvoir ! », déplore la sénatrice socialiste Laurence Rossignol, particulièrement investie sur la question des droits des femmes. Et ce n’est pas la nomination de Laurence Garnier, chargée de la Consommation, qui devrait la faire changer d’avis. Et pour cause, la sénatrice de Loire-Atlantique est connue pour son opposition au mariage entre personnes de même sexe, pour avoir voté contre l’interdiction des thérapies de conversion visant à « guérir » les personnes homosexuelles, bisexuelles ou lesbiennes et pour son vote contre la constitutionnalisation de l’IVG.
« Nombre d’électeurs de gauche ont cru au soir du 7 mai 2017 s’endormir avec Mendès, ils se sont depuis réveillés avec Giscard », ironisait dès le mois de janvier 2018 le premier secrétaire du PS Olivier Faure. Ce dimanche 22 septembre, ils se réveilleront sous Nicolas Sarkozy.
Romain Herreros