Je m’appelle Thorsten Donnermeier, délégué syndical d’IG Metall, j’ai commencé à travailler chez Volkswagen à Kassel en 1984. Mon père y a également passé la moitié de sa vie, il était aussi délégué. Trouver un boulot dans l’automobile, c’était avoir beaucoup de chance. En 1984 et pendant de nombreuses années, encore par la suite, Volkswagen, cela voulait dire des perspectives d’avenir pour les jeunes et de sécurité pour les vieux jours.
Aujourd’hui, l’industrie automobile n’est plus synonyme ni de sécurité ni d’avenir. Tout le monde est touché, de Bosch à ZF, de BMW à Volkswagen, et cela tout autour du globe. Par conséquent, plus personne ne trouvera de boulot dans l’industrie automobile. La direction de Volkswagen a dénoncé l’accord de sécurisation de l’emploi. Maintenant, juste au moment où nous en avons le plus besoin.
Un collègue explique la situation comme suit : tu assures ta maison contre l’incendie jusqu’en 2029. En 2024, la baraque brûle comme un feu de camp et voilà que l’assurance te dit que le contrat n’est pas valide.
En Allemagne, il est possible de résilier tous les contrats collectifs relatifs à l’emploi. En passant à la pratique, la direction de VW vient de nous montrer que ce n’est pas qu’une possibilité. Désormais, aucun accord de garantie d’emploi ne garantira plus la sécurité pour l’avenir. Même si un nouvel accord est signé jusqu’en 2035, il n’y a aucune garantie qu’il ne sera pas dénoncé si les constructeurs chinois s’imposent sur un marché de plus en plus concurrentiel. Les conditions d’une relation de confiance ont donc été détruites.
Chez Volkswagen, la peur est palpable chez les jeunes comme chez les moins jeunes. Avec ces suppressions d’emplois dans l’ automobile, il est impossible d’espérer retrouver un bon boulot dans une boîte avec des conventions collectives correctes. Les perspectives, les plus jeunes les formulent ainsi : rouler des boulettes de viande chez MC Donalds ou s’épuiser à courir de porte en porte pour Amazon. Nous aussi, les plus âgés, nous sentons insécurisés, avec l’ouverture de la chasse aux congés maladie trop longs. Ce qui est terrible avec ça, c’est que ces gens sont vraiment malades. Des personnes en bonne santé qui restent chez elles, personne n’en connaît. Les malades qui se traînent à l’usine le sont encore plus.
Le sentiment d’insécurité face à la perte de pouvoir d’achat en raison de l’augmentation des prix est également très présent. Certains ont acheté une maison il y a quelques années seulement et craignent de ne bientôt plus en avoir les moyens. La peur plane sur le nord de la Hesse. Peur de la désindustrialisation. Nous avons vu à quoi cela ressemblait dans l’ex-RDA, là où des arbres sortent des ruines des maisons. Des villages fantômes avec plus que des vieux.
Cela nous concerne tous. La colère est grande. On ne fait rien de plus que ce qui est indispensable, hors de question de faire un pas de plus qu’il ne faut. Pour beaucoup de collègues, il est incompréhensible que le comité d’entreprise ne se soit pas opposé aux heures supplémentaires obligatoires. Je n’ai pas connaissance d’explosions de colère ouverte. Cependant, c’est avec une grande sympathie que l’on a lu dans les journaux que nos collègues de travail à Bruxelles ont égaré 200 clés de voiture. C’est qu’il nous est tombé dessus pas mal de choses, à nous, ouvriers de Volkswagen et d’Audi. Il est donc bien compréhensible qu’on puisse égarer des affaires. Tout le monde a certainement déjà égaré ses clés à un moment où on est débordé. Qui sait ce qui va encore arriver ? Ce qui est en jeu, c’est Il s’agit de l’existence de dizaines de milliers de personnes.
J’attends de mon syndicat qu’il soit beaucoup plus actif sur le plan de la solidarité internationale. la solidarité internationale. Supposons que les fabrications de Volkswagen à Kassel soient transférées à Mlada Botislav (Skoda) et à Volkswagen Posnan, les salarié.e.s de ces deux sites se réjouiront alors de l’arrivée de nouveaux emplois et ne se montreront pas solidaires envers nous. Nous ne l’avons pas été non plus, ou alors trop peu, avec le site de Bruxelles, penseront-ils.
Aucun contrat ne nous garantit l’emploi. La solidarité est notre force, en tant que syndicalistes, nous devons le réapprendre. Nous pouvons produire des voitures encore moins chères pour laisser la concurrence derrière nous. Si nous parvenons à créer des synergies et que nous augmentons la productivité, il y aura de quoi se moquer gentiment de nous, car c’est exactement ce que nous avons toujours fait depuis des dizaines d’années. La possibilité de gagner encore en rapidité ou en productivité est vue comme irréaliste. Une limite naturelle est atteinte, où plus rien n’est plus rapide ni plus efficace, c’est ce que disent la plupart des ouvriers de Volkswagen. C’est l’étonnement qui domine, lorsque de telles propositions sortent de la bouche de permanents importants du CE ou du syndicat.
L’e-mobilité se traduit par moins de composants et donc, même si le nombre de voitures électriques vendues est identique, par des suppressions d’emplois, voitures seront vendues, il y aura des suppressions d’emplois. Une déclaration récente de notre président du conseil d’entreprise à Kassel, C. Büchling, à la « Frankfurter Rundschau », a suscité de nombreuses discussions intéressantes dans l’entreprise. Il a dit en gros : un jour, il faudra bien que les travailleurs décident de ce qui doit être produit. Certains ont alors ont compris qu’on pouvait fabriquer des chars comme des petits pains. Mais on en arrive assez vite au fait qu’ils rapidement : ils n’apportent pas non plus d’emplois sûrs, car la plupart des gens veulent la paix. On en vient à parler de moyens de transports publics, et même de véhicules ferroviaires comme des possibilités pour préserver les sites et tous les emplois. Cette discussion n’était pas possible il y a encore quelques mois.
Les gens veulent des emplois sûrs pour pouvoir continuer à faire vivre leur petit monde à la maison. Si la production de pâtes pouvait apporter cette sécurité, alors la plupart seraient d’accord pour en fabriquer. C’est là une proposition juste et importante de la part de C. Büchling. Dommage que l’IGMetall de Wolfsburg et tout le monde autour n’aient pas pris en considération les propositions du mouvement « Verkehrswende » et de l’association « Amsel 44 » et qu’ils n’aient pas soutenu la proposition de fabriquer des véhicules de transport public.
Près de Florence, une entreprise, GKN, a été occupée par les travailleurs. Cette usine fabriquait à l’origine des pièces pour les moteurs à combustion. Les travailleurs et travailleuses y mènent un combat, avec des scientifiques et le mouvement pour le climat, pour créer des productions d’avenir et durables. Ils et elles ont décidé de fabriquer des panneaux solaires et des des vélos-cargos.
Certes, leur situation n’est pas comparable à celle de Volkswagen. Cependant, ce combat des travailleurs aux côtés de scientifiques et du mouvement climatique est au sens le plus profond riche de perspectives d’avenir si nous voulons avoir un avenir en tant qu’êtres vivants et en tant que travailleurs. Il n’y a d’emplois assurés pour l’avenir qu’avec des productions porteuses d’avenir. Nous, syndicalistes et salarié.e.s de Volkswagen, c’est cela que nous devons avoir en tête. C’est la seule façon d’assurer que Volkswagen soit à nouveau synonyme d’emploi pour l’avenir des jeunes et de sécurité pour les vieux jours.
Les intérêts du capital se prononcenrt malheureusement contre. La raison plaide pour. C’est pourquoi un tel choix entraînerait un affrontement brutal avec les propriétaires de l’entreprise. C’est pourquoi avoir un syndicat tourné vers l’avenir qui adopte les méthodes de lutte de la solidarité internationale est pour nous, travailleurs et travailleuses, plus important que cela ne l’a jamais été auparavant.
Thorsten Donnermeier