Pendant des heures, les partisans du Hezbollah au Liban ont refusé d’y croire, malgré le communiqué de l’armée israélienne, malgré le silence pesant du « Parti de Dieu ». Pendant des heures, ils se sont accrochés à un espoir ténu mais tenace, refusant d’admettre que l’inconcevable se soit produit. Jusqu’à ce que la puissante milice chiite le reconnaisse elle-même dans un communiqué samedi : Hassan Nasrallah, le leader du Hezbollah, a été tué dans une attaque israélienne ce vendredi sur la banlieue sud de la capitale libanaise, où le parti est extrêmement influent.
Hassan Nasrallah, stratège à la tête de la puissante milice libanaise pro-iranienne depuis trente-deux ans, connu pour ses discours enflammés et ses traits d’esprit, ennemi juré des États-Unis, qui l’ont désigné comme terroriste, et d’Israël, qu’il a combattu à plusieurs reprises au cours des décennies, gagnant un prestige considérable dans le monde arabe, n’est plus.
À Beyrouth, dans les quartiers où il est populaire, des femmes endeuillées poussent des cris perçants depuis leur balcon, pleurant cet homme objet d’une admiration sans faille de ses soutiens. Des hommes paradent dans la ville, arborant le drapeau jaune du parti. « C’était une figure emblématique de la communauté chiite, auprès de laquelle il avait un soutien quasi unanime », explique le politologue Karim Émile Bitar.
Des habitants scrutent les ruines à Beyrouth, le 29 septembre, après l’explosion des immeubles où s’étaient réunis des membres du Hezbollah, dont Hassan Nasrallah. © AFP
Hassan Nasrallah avait annoncé l’ouverture d’un front, au lendemain du 7 octobre, en soutien à son allié le Hamas, afin de détourner les forces israéliennes de leur offensive meurtrière sur la bande de Gaza. Les échanges de tirs quotidiens se sont transformés, au fil des mois, en un conflit larvé plus ou moins contenu à la frontière entre Israël et le Liban.
En l’absence d’un État libanais fonctionnel depuis près d’un an, c’est le Hezbollah qui décide de la guerre et de la paix. Les discours du sayyed, comme Nasrallah était surnommé, étaient devenus des rendez-vous incontournables pour les Libanais, qu’ils l’aiment ou le détestent, la seule voix impérieuse au sein d’une classe politique libanaise muette.
Depuis le 17 septembre, Israël a intensifié les tensions sur le front libanais. D’abord par une série d’attaques aux bipeurs piégés appartenant à des membres du Hezbollah, puis en lançant une campagne aérienne majeure au Liban, tuant au moins 800 personnes depuis lundi, dont des femmes et des enfants. En quelques semaines, Israël a réussi à décimer la majorité des hauts gradés du parti, dont son chef, infligeant un sérieux coup à un groupe autrefois décrit comme une des milices les plus puissantes du monde, plongeant le Liban dans l’incertitude.
Dans un Liban extrêmement polarisé, l’assassinat de l’homme à l’emblématique turban noir, réservé aux descendants du Prophète, est perçu de manière contrastée. « Au sein des communautés chrétienne et sunnite, les avis concernant le Hezbollah sont très partagés », analyse Karim Émile Bitar, professeur de relations internationales et chercheur à l’Iris.
« Le Hezbollah n’a pas travaillé pour le pays, ni pour la cause palestinienne, mais pour l’Iran et ses intérêts personnels. »
Bassam, 48 ans, habitant de Beyrouth
Avant la guerre à Gaza, la réputation du Hezbollah était déjà entachée au Liban, où beaucoup tiennent le parti pour responsable de la terrible explosion du port de Beyrouth, en août 2020, l’accusant d’avoir stocké des tonnes de nitrate d’ammonium, un engrais également utilisé comme explosif redoutable, tuant plus de 200 personnes.
Dans le monde arabe, on lui reproche aussi son engagement militaire en Syrie dès 2012, où il s’était embourbé aux côtés de Bachar al-Assad dans la répression du soulèvement antirégime, bien loin de la défense de la cause palestinienne. Pour Bassam, 48 ans, assis avec un groupe d’amis à Tarik Jdideh, un quartier à majorité sunnite, « le Hezbollah n’a pas travaillé pour le pays, ni pour la cause palestinienne, mais pour l’Iran et ses intérêts personnels, sinon nous n’en serions pas là ».
Dans le quartier traditionnellement anti-Hezbollah d’Ein El Remmaneh, Tony, 49 ans, blâme Israël, « l’ennemi du Liban », mais aussi le Hezbollah : « À cause d’eux, il se passe au Liban ce qu’il se passe à Gaza, et le Hezbollah est incapable de nous en sortir », explique-t-il, alors que s’élève derrière lui la fumée d’une explosion récente dans le quartier chiite voisin.
Ein El Remmaneh, quartier chrétien, n’a certes pas été touché par la série de bombardements israéliens qui a frappé les quartiers sud de Beyrouth ces derniers jours. « Mais, de toute façon, quand les civils sont touchés, tout le Liban est touché », dit-il.
Toutefois, au-delà des divisions, un sentiment commun d’anxiété règne à Beyrouth. « La plupart des Libanais, qu’ils soient hostiles ou favorables à Hassan Nasrallah, sont inquiets, craignant que cela n’ouvre un nouveau cycle de violence dévastatrice. Ils se souviennent qu’après l’assassinat de figures emblématiques, le pays a souvent traversé de longues périodes de troubles. Jusqu’aux élections américaines, Benyamin Nétanyahou a carte blanche de la part des États-Unis, et il va tenter de maximiser son avantage », explique Karim Émile Bitar.
En attendant, Walid, un ancien combattant de la guerre civile (1975-1990) des Forces libanaises, un parti chrétien farouchement opposé au Hezbollah, se dit indifférent à la nouvelle. L’homme de 58 ans, qui regrette aujourd’hui ses années de combattant, condamne la classe politique dans son ensemble : « Ils nous ont manipulés pour leurs intérêts. Nous sommes morts pour rien, et l’histoire se répète aujourd’hui. »
Leila Aad