Deux ans après le déclenchement du soulèvement « Femme, Vie, Liberté » qui a ébranlé la République Islamique dans ses fondements, le pouvoir est plus que jamais crépusculaire.
Le mouvement qui avait suivi le meurtre de Jina Mahsa Amini par la « police des mœurs » avait embrasé le pays tout entier. A bien des égards, ce soulèvement était inédit. Et cela même si l’absence de grèves massives, ainsi que la faiblesse de la jonction avec le monde du travail en tant qu’acteur à part entière, ont fait partie de ses faiblesses notables.
L’ancrage territorial, la durée et la radicalité du processus « Femme, Vie, Liberté » ne pouvaient laisser indemne la mollahrchie. Deux ans après, rien n’est plus comme avant septembre 2022, et les braises du soulèvement sont toujours ardentes. Malgré le déchaînement de la répression, les femmes, les peuples d’Iran, la jeunesse et les travailleurs/euses ont aujourd’hui repris confiance dans leurs capacités de lutte.
L’intensification de multiples crises, une forte contestation populaire
Le refus toujours aussi vivace du voile obligatoire par les femmes, les luttes multiples, les grèves et les manifestations de travailleurs/euses, les combats démocratiques pour la défense des droits des prisonnierEs, la lutte contre les condamnations à mort et les exécutions, témoignent d’un rejet profond de la mollahrchie.
La faiblesse historique du taux de participation à la dernière élection présidentielle n’est pas due à un désintérêt populaire. Elle traduit un rejet massif du pouvoir et des institutions. C’est le régime dans son ensemble qui est considéré comme illégitime par la population.
Cette élection a vu la victoire de Massoud Pezeshkian, un soi-disant « modéré », succédant au « conservateur » Ebrahim Raïssi mort dans un accident d’hélicoptère.
Le choix fait par le régime de « mettre » à la présidence un prétendu « modéré » est davantage un message envoyé aux États-Unis qu’un signe d’ouverture à l’égard de la population. Il s’agit avant tout d’une main tendue à Washington, et ce afin de négocier un allégement des sanctions économiques, de tenter d’obtenir le dégel des milliards de dollars bloqués et de sanctuariser le programme nucléaire iranien.
L’économie est exsangue, du fait des sanctions mais surtout des orientations politiques et économiques catastrophiques, ainsi que de la corruption massive du régime et des Gardiens de la révolution (Pasdaran).
Les peuples d’Iran doivent faire face aux privations de liberté, à la répression, à une hyper inflation et à une misère grandissante, à de nombreux scandales de corruption touchant les sommets de la République Islamique. Cela alimente et accentue la crise politique, car une grande partie des couches traditionnellement acquises au régime s’en détachent depuis de nombreuses années.
La montée des luttes sociales et démocratiques
Sous les effets de la crise économique, sociale et politique nous assistons depuis plusieurs mois à un regain des luttes ouvrières. Divers secteurs se mobilisent régulièrement : les enseignantEs, les retraitéEs, des salariéEs de la pétrochimie…
Ces derniers mois, et cela est une première, ont eu lieu dans de nombreuses villes des manifestations et des grèves simultanées d’infirmières. Ces mobilisations pour des hausses de salaire et des conditions de travail plus dignes se poursuivent malgré la répression. Le niveau inédit d’organisation de cette lutte, ainsi que le soutien important de la population qui se reconnaît dans les revendications avancées, inquiète particulièrement le pouvoir qui craint une contagion.
Cette mobilisation, dont des femmes sont en première ligne, doit être considérée comme l’une des suites du soulèvement ayant suivi la mort de Jina Masha Amini. Cette lutte exemplaire se caractérise par un niveau de coordination nationale rarement atteint sous la dictature théocratique.
Le mouvement des infirmières comble en partie certaines faiblesses du soulèvement de 2022.
Pour la première fois, ce mouvement social qui traverse l’ensemble du pays, met sur le devant de la scène une lutte faisant converger, au travers d’un affrontement de classe, le combat des femmes et celui des minorités nationales. Il fait franchir un seuil décisif au combat contre les préjugés et méfiances régionales entretenus par le pouvoir.
Cette lutte exemplaire mérite amplement la solidarité des syndicats de la santé dans le monde entier, et plus largement de l’ensemble du mouvement ouvrier et démocratique.
Au même moment, sous l’effet du rapport de force, de la solidarité internationale et de la mobilisation de syndicats européens et notamment français (1), des figures de premier plan du syndicat Vahed (syndicat des travailleurs/euses des transports en commun de Téhéran et sa banlieue) ont été libérés.
Cela constitue un formidable encouragement pour les réseaux militants en exil, dont des organisations comme Solidarité Socialiste avec les Travailleurs d’Iran (SSTI) (2), qui n’ont cessé de militer pour que des actions de solidarité se développent à l’échelle internationale.
Enfin, dans les prisons, des détenuEs d’opinion et notamment des femmes mènent une lutte courageuse et quotidienne contre leur détention, contre la torture et les exécutions dont les prisonnierEs d’origines kurdes et baloutches sont les premières victimes, ainsi que contre la République Islamique.
Depuis l’élection de Pezeshkian, les exécutions de détenus ont augmenté, la répression des minorités nationales est permanente, le harcèlement des femmes et de la jeunesse est incessant. Le nouveau président s’inscrit à ce titre dans la lignée d’Ahmadinejad ou de Raïssi, celui que l’on a surnommé le « boucher de Téhéran » pour son rôle dans les exécutions de milliers de prisonniers/ières politiques à la fin des années 80. (3)
Le combat pour l’égalité, pour les libertés démocratiques, pour les droits des travailleurs/euses et la justice sociale sont indissociables.
Un affaiblissement de la position de la République islamique dans la région
Au cours de l’année écoulée, le régime a subi des attaques humiliantes de la part d’Israël qui poursuit sa guerre génocidaire contre le peuple palestinien, avec la complaisance des grandes puissances occidentales et des régimes arabes.
Israël est notamment parvenu à :
– éliminer en Syrie des commandants des Gardiens de la révolution (Pasdaran),
– assassiner le chef du Hamas Ismail Haniyeh en plein cœur de Téhéran.
Ces différentes opérations, et particulièrement l’élimination du dirigeant du Hamas, ont montré la faiblesse et l’impuissance de l’appareil de renseignement de la République Islamique, ainsi que l’importance de son infiltration par les services secrets d’Israël. Cela a mis en évidence la corruption institutionnalisée dans toute la structure politique et administrative de la République islamique, et ce jusqu’au sommet des services de renseignement des Gardiens de la révolution.
La course à l’armement du pouvoir, les milliards dépensés pour ses ambitieux projets nucléaire militaire et d’armement classique grèvent considérablement le budget de l’État. Néanmoins, celui-ci a été dans l’incapacité de riposter aux humiliations à répétition que lui a infligé l’État d’Israël.
Confrontée à une perte de légitimé irréversible, à l’accentuation de la révolte des femmes, à des luttes sociales et démocratiques de plus en plus fortes et à une incapacité de donner le change sur la scène régionale, la République Islamique d’Iran donne incontestablement des signes de faiblesses.
Les peuples d’Iran ne peuvent se libérer que par eux-mêmes. Il nous revient de les soutenir dans leur lutte pour l’émancipation, l’égalité, et la justice sociale.
Notes :
1. https://solidaires.org/rechercher/?search=Iran
2. SSTI http://www.iran-echo.com/
3. Cela n’a pas empêché Youssef Boussoumah, l’un des co-fondateurs/trices du « QG décolonial » et de « Paroles d’honneur » d’appeler à prier pour que le président Raissi sorte indemne de son accident d’hélicoptère.
Pour sa part Houria Bouteldja, co-fondatrice de ces structures, avait présenté en 2016 Ahmadinejad comme étant « son héros ».