Étienne est né le 31 décembre 1951 à Bourg Achard (Eure), il est mort le 15 janvier 2016 à Rouen (Seine-Maritime). Il est l’aîné de deux garçons. Son père était artisan couvreur, sa mère la secrétaire-comptable de l’entreprise. Il fit ses études secondaires comme interne au lycée privé catholique Join-Lambert à Rouen. À la fac, il se montra beaucoup moins intéressé par les études que par l’offre culturelle et par l’effervescence politique. Il se rapprocha des militant.e.s de la Ligue Communiste, organisation alors omniprésente sur le campus. Il fut très actif lors du grand mouvement de la jeunesse scolarisée du printemps 1973 pour le retrait la loi Debré sur les sursis d’incorporation. Il décida ensuite d’entrer aux PTT et passa le concours de contrôleur. Il adhéra aussitôt à la CGT selon les recommandations de ses camarades de la cellule PTT de Rouen (cellule Flora Tristan) qui animaient la CFDT. Cantonné au rôle de syndiqué CGT de base auquel les responsables refusaient des responsabilités, il fut pendant plus de vingt ans l’âme du bulletin d’entreprise de la LCR, d’abord « La lutte continue », puis « La taupe rouge PTT », distribué longtemps tous les quinze jours, puis tous les mois. Il rejoignit ensuite le centre de tri et se retrouva au cœur de la grande grève nationale de trois semaines en 74.
En février 1976, il partit pour effectuer son service militaire à Landau (RFA). Il y participa à l’animation des comités de soldats. Arrêté avec 14 autres en décembre, il fut placé aux arrêts de rigueur à la forteresse pendant 60 jours. Son arrestation suscita un important mouvement de soutien. La direction des PTT chercha à refuser sa réintégration au motif qu’il avait été condamné par la justice militaire mais fut contrainte à reculer.
En 1979, le déménagement du centre de tri de la gare de Rouen vers Sotteville-lès-Rouen fut marqué par une grève reconduite majoritairement en assemblée générale, avec le soutien de la CFDT mais sans la CGT, contre le licenciement d’un contractuel et pour des embauches. Cette grève longue, avec piquets de grève, où les grévistes furent accusés calomnieusement, dans un tract CGT distribué nationalement, d’avoir brûlé du courrier, se termina au bout de deux mois et demi par la reprise, avec pour la première fois dans l’histoire des PTT onze fonctionnaires révoqués et de très nombreux blâmés, dont Étienne (il est à noter que le conseil de discipline avait même cité le responsable CGT du centre de tri comme témoin à charge). Les années qui suivirent furent donc particulièrement dures, en particulier pour un militant convaincu de la nécessité de rester à la CGT dont tous les éléments combatifs se détournaient. Étienne Saunier n’en était pas moins apprécié, en particulier grâce à son don de la moquerie qui laissait son interlocuteur désemparé ; ainsi par exemple quand il allait voir les chefs pour leur demander de lui payer son café .Il était surtout identifié comme militant de la Ligue, celui qui distribuait « la taupe rouge ». De fait, il était membre de la direction de ville de Rouen où il représentait sa cellule.
Un nouveau directeur avait été nommé pour tenter de museler définitivement les fortes têtes. Il avait voulu interdire les prises de parole de la CFDT en assemblée générale, mais quand il [ordonna à] l’orateur de s’arrêter sous peine de sanction, celui-ci donnait le texte de l’intervention préparée à l’avance à son voisin qui continuait jusqu’à la sommation, puis faisait à son tour passer le papier lorsqu’il recevait l’injonction de s’arrêter Étienne Saunier participait à ces lectures ; dans ce climat d’insubordination, les nerfs du patron finirent par craquer et il fut remplacé. La loi d’amnistie votée après l’arrivée de la gauche au pouvoir en août 1981 permit l’abrogation de l’ensemble des sanctions de 79. Le rapport des forces redevint favorable.
Internationaliste convaincu, il se rendit en Pologne en 1982 pour apporter le soutien de la LCR aux militants du syndicat Solidarnosc alors interdit. Il participa également à la solidarité avec la grève des mineurs britanniques en 1984-85. Il fut aussi pendant quelques années permanent de la LCR à mi-temps. Comme il pensait que rien ne pouvait remplacer la lecture pour se cultiver, se former, et nourrir les échanges, il s’investit dans l’ouverture d’une librairie au siège du local ; pour les fêtes et initiatives, il veillait à ce que le stand de livres et de brochures soit toujours bien étoffé et organisait la diffusion de l’hebdomadaire « Rouge ».
Il était par ailleurs une encyclopédie vivante du jazz que beaucoup de ses amis ont découvert grâce à lui. Excellent dessinateur, il fit usage de son talent au profit de nombre de publications militantes.
Lors des débats préparatoires au huitième congrès de la LCR (1987), il soutint la nécessité d’engager la LCR dans la construction d’un « parti des travailleurs ». Cette position, très minoritaire, était portée par une tendance constituée au départ par des cheminots et des postiers de Rouen autour de José Perez, agent de conduite et figure de la coordination nationale et de la grève victorieuse à la SNCF l’année précédente. Cette sensibilité s’engagea ensuite avec enthousiasme dans la campagne présidentielle de 1988 autour de Pierre Juquin, puis, dans la foulée du grand mouvement gréviste de l’hiver 95, dans une éphémère tentative de constitution d’une « Association Révolutionnaire des Travailleurs » (ART), conçue comme une » étape vers la constitution du « parti des travailleurs qui manquait dans le pays ». Engagé dans la construction du NPA, il considérait que ce projet était trop étriqué pour correspondre aux espoirs que l’élan autour du Non de gauche au Traité constitutionnel européen avait soulevés. Il le quitta en mars 2013, considérant que le NPA aurait dû « mettre ses forces dans la constitution d’un pôle révolutionnaire face au PCF et au PG », et rejoignit brièvement la Gauche Anticapitaliste. Ne voyant plus de perspectives, il se mit en retrait de l’action politique, mais maintint son adhésion à la IVe internationale. Dans la commune de Saint Etienne du Rouvray où il résidait, il était l’une des figures importante de la liste d’extrême-gauche soutenue par le NPA aux élections municipales et prenait une part active à la rédaction de son bulletin local.
C’est de Rouen que partit le grand mouvement gréviste de l’hiver 95 contre le plan Juppé sur les retraites, sous l’impulsion des militant.es cheminot.es de la LCR des ateliers de réparation de quatre-mares qui entrainèrent les postiers du centre de tri le lendemain. Ensuite des brigades mélangées se firent les propagandistes de la grève vers un grand nombre d’entreprises. Étienne s’impliqua corps et âme dans l’organisation et l’extension du mouvement, des réunions de préparation de l’assemblée générale de l’agglomération à « la fosse » aux ateliers SNCF, aux réunions de coordination inter-entreprises… Le centre de tri reprit le travail une semaine après tout le monde.
En 1990, lorsque le congrès de la CFDT ptt Haute-Normandie décida sa dissolution pour adhérer à SUD, et devint ensuite majoritaire dans la région avec plus de 50%, il maintint son adhésion à une CGT en perte de vitesse… jusqu’en février 1996. L’envie de faire enfin du syndicalisme avait fini par être la plus forte. Il devint rapidement membre du bureau régional, avec en particulier la responsabilité du bulletin mensuel « SUD POST 27 76 » et du journal syndical du nouveau centre de tri du Madrillet, dénommé ironiquement « Madriland », car il n’avait d’un parc de loisirs que le clinquant. Il put donner toute la mesure de son sérieux et de sa rigueur, en même temps qu’il déployait son efficacité et son originalité dans les tournées de bureaux sur fond de blues ou de jazz. Il prit à cœur l’objectif d’atteindre mille adhérent.e s, qui fut atteint avant son départ à la retraite en 2011.
En 1995 Étienne rencontra Christine Poilasne infirmière à l’hôpital psychiatrique de Sotteville et ils s’installèrent ensemble. Christine avait une fille, et quand elle-même devint mère il devint naturellement le grand-père de cette enfant. Ils avaient aussi recueilli un jeune Congolais sans papiers. Étienne et Christine aimaient voyager. C’est aux USA qu’il subit les premières atteintes sérieuses du cancer qui l’emporta six mois plus tard. Quelques jours avant sa mort, il trouvait la force de lui faire un dernier pied de nez en envoyant ce texto à ses amis : « « au son mélodieux des pompiers et des ambulances, sous le vol gracieux des hélicoptères, dans un vallon de verdure aujourd’hui disparu baigné par l’Aubette, se dresse la clinique Saint Hilaire. À Saint Hilaire, prenez le bon air ».
Pierre Vandevoorde