Son père est peintre en bâtiment, sa mère est au foyer. Il fait son apprentissage à Mantes (Seine-et-Oise) pendant la guerre. Il entre par concours au Laboratoire de Recherche et de Balistique Appliquée (LRBA) de Vernon comme ouvrier de l’Etat en octobre 1951 « parce qu’il y avait la possibilité de se loger sur le site ». Il a 28 ans, quatre enfants. Il se syndique à la CGT, est élu en 1954 secrétaire-adjoint du syndicat. En 56, suite à un détournement d’argent commis par le secrétaire, le vétéran trotskyste Camille Januel (arrivé de la région parisienne suite à une sanction disciplinaire) est porté à la direction. 1956, c’est l’année de la tentative d’expédition anglo-franco-israélienne contre l’Egypte de Nasser, de l’insurrection de Budapest où les conseils ouvriers tentent de s’opposer aux chars staliniens, et celle du basculement de la social-démocratie dans la guerre à outrance en Algérie. Ils sont alors six du même atelier à adhérer ensemble au très petit Parti communiste internationaliste : Jack Houdet, « l’ancien », respecté pour ses compétences et sa droiture, Claude Rialland, André Morin, Marcel Girard, Jean Boquet, Louis Fontaine. La cellule de Vernon du PCI compte donc huit membres avec Roland Vacher (« gagné » en 53), qui racontait les choses ainsi : « Jack était différent des autres, qui étaient avant tout des révolutionnaires de cœur prêts à héberger le militant algérien ou le déserteur poursuivi par la police, mais ne ressentant pas le besoin impérieux de se cultiver. Très conscient de ses importantes lacunes, il voulait s’instruire, apprendre à rédiger, il avait alors du mal à prendre la parole, si ce n’est pour de brèves répliques. Il était d’une grande timidité et n’osait pas demander. Polyvalent en mécanique, il était très apprécié par ses supérieurs hiérarchiques en dépit de ses opinions affichées. Capable de se représenter les assemblages des pièces mécaniques les plus compliqués dans l’espace et en mouvement, c’était pour lui une torture de rédiger le cahier de revendications qui remontait de tous les ateliers, pour le présenter à la direction (…) Mais plus tard, quand nous avons sorti notre feuille régulière sur toutes les boîtes de Vernon, c’est lui qui proposait les articles que nous re-rédigions ensemble et souvent c’est lui qui trouvait les titres ».
Ils développent leurs activités sans être inquiétés, ni par le PCF, peu influent, ni par la police qui ne comprenait pas ce qui se passait. A 8 sur une ville de 20 000 habitants, tous les terrains sont couverts : luttes offensives au LRBA, Union Locale CGT, défense juridique, « cercle vernonnais d’étude du problème algérien », cours d’alphabétisation, ciné-club, collages du journal… Bien conscients des risques que leur faisaient courir les activités de soutien à la révolution algérienne, ses camarades mettaient un point d’honneur à l’en tenir strictement à l’écart, eu égard à ses responsabilités familiales.
L’activité de la cellule ne se maintient pas longtemps à ce niveau. Le coup d’Etat à froid de De Gaulle et la défaite sans combat en 58 provoquent un reflux. Januel, Vacher et Bocquet subissent des mesures d’isolement dans l’indifférence générale. Camille Januel se retire peu à peu de l’activité, deux militants changent d’entreprise en même temps qu’ils arrêtent de militer, tandis que Louis Fontaine quitte l’usine pour devenir permanent du PCI mis au service du FLN pour imprimer tracts et faux papiers. Restent donc Roland, dont la priorité est la solidarité avec la révolution algérienne, et Jack qui consacre l’essentiel du sien à l’activité syndicale.
Mais dans le même temps, le rayon d’action de la cellule s’étend à la vallée de la Seine. A Mantes, c’est Lucien Fauchereau, un ouvrier de la cimenterie, ancien de la Fédération Communiste libertaire, qui a été gagné. Dans la région rouennaise, le contact a été renoué avec un cheminot de Sotteville qui avait pris contact avec le PCI après la guerre, Charles Marie. Des réunions ont lieu en gros tous les mois. Au retour, il y a parfois collage de « La Vérité des travailleurs » de nuit sur les quais, avec mille précautions, pour s’adresser au bastion syndical et ouvrier des dockers…
En 62, la cellule de Vernon demande son adhésion collective au PCF qui refuse. Avec leurs sympathisants, ils entrent alors ensemble au PSU, où ils rejoignent la tendance « socialiste révolutionnaire » (SR), animée par des membres du PCI comme Michel Lequenne et aussi par nombre d’anciens trotskystes comme Marcel Pennetier qui « suivait » la section de Vernon. Sa quinzaine de membres est sur la position SR. Ils éditent un bulletin mensuel à destination des entreprises en liaison avec le réseau des feuilles du courant SR qu’organise nationalement André Calvès. A leur sortie du PSU fin 64, la section décide de se dissoudre.
Pour le PCI, la fin de la guerre d’Algérie amène des désaccords. Les « pablistes » considèrent que le centre de la révolution est à Alger. Bocquet est gagné à leurs positions. Vacher, en dépression, démissionne du PCI et quitte le LRBA et Vernon. Il n’y a plus de cellule du PCI. Jack Houdet et Jean Bocquet gardent des relations correctes, animent le syndicat ensemble, dirigent les grèves de mai 68 à Vernon. Houdet est élu secrétaire de l’Union Locale CGT, ce qui provoque la rage de l’Union départementale. L’UL sera « reprise en main » dès mars à grand renfort de manœuvres qui écœurent nombre de nouveaux venus. Signe des temps, l’hebdomadaire du PCF 27 étale en première page la résolution adoptée, titrée « la volonté d’unité d’action ne peut s’accommoder de la moindre complaisance avec les groupes gauchistes ». L’UL retombe dans la stagnation.
A partir de 67 Houdet rencontre des jeunes qui étudient à Rouen et se sont rapprochés de la Jeunesse Communiste Révolutionnaire. Un Comité Vietnam est créé. Il vit cette période avec enthousiasme et marque les jeunes qui l’ont fréquenté : il parlait peu, mais impressionnait par l’étendue de ses connaissances, la pertinence de ses interventions et son courage physique : à Vernon, on risque toujours d’avoir affaire aux gros bras d’un des chefs du Service d’Action Civique gaulliste, le député UDR Tomasini.
En 70, Jack et un jeune de l’entreprise de 19 ans, sympathisant de la LC et syndiqué CGT, sont frappés d’une mise à pied : ces « travailleurs de l’Etat dépendant du ministère de la défense » avaient été contrôlés par la gendarmerie en train de coller en ville une affiche de soutien à trois appelés du contingent emprisonnés pour activité anti-militariste. L’UD CGT refuse tout soutien, seul le syndicat du LRBA est à leurs côtés, en particulier lors d’un meeting en ville. Houdet vivra mal le fait que Jean Bocquet ne soit pas présent à la manifestation qui se rend du centre-ville à la caserne, ni au procès à Evreux qui voit 1000 personnes manifester devant le tribunal, avec en tête Krivine et le député PSU Rocard bras dessus-bras dessous. Houdet et Rousseau sont réintégrés avec perte d’un échelon. L’équipe d’animation du syndicat reste « lutte de classe », tandis que le PCF connaît une renaissance avec le Programme Commun d’Union de la Gauche), mais à partir de 72 Jack Houdet, ne veut plus faire partie du Conseil syndical. Il restera profondément marqué par ce qu’il considère comme un manque de courage de nombre de ses camarades du syndicat lorsqu’il a été réprimé. Il a par ailleurs mal vécu les illusions propagées par une partie des dirigeants de la Ligue Communiste lors de l’adhésion d’un vétéran du PCF, Gilbert Hernot. Jack a eu le sentiment amer de ne pas être écouté, alors que son expérience et quelques tests pratiques lui ont tout de suite montré que Hernot était déjà un homme brisé par l’appareil et déformé par son fonctionnement. Il reste néanmoins très actif, la LC compte six sympathisant-e-s dans l‘entreprise lorsque débute, en 71, la lutte contre le transfert au privé d’une partie des activités. Leurs propositions d’organisation emportent l’adhésion du personnel : assemblées générales élisant un comité de 70 délégué-e-révocables (un pour 20), qui désigne un bureau…. L’entreprise sera finalement scindée en deux, ce qui ne sera pas sans effets sur le moral des plus combatifs.
C’est en 71-72 que la section de la LC, avec son cercle ouvrier « La lutte continue » et son « Cercle rouge lycéen », connaît son plus fort développement (16 membres et 2 cellules, tract mensuel sur 5 entreprises). Vernon est une petite ville : peu à peu, le jeu des mutations professionnelles, le départ des jeunes pour d’autres horizons, l’usure vont faire leur œuvre.
A 47 ans, « Henri » est l’un des plus âgés parmi les délégué-e-s au 2e congrès de la LC qui se tient à Rouen en mai 71. Il est candidat à l’élection législative à Vernon en 73. En 78 il est encore candidat, puis une dernière fois à l’élection partielle de 80. S’il est un membre précieux de la direction départementale, il est de nouveau quasiment le seul militant à Vernon, la campagne se fait grâce aux renforts venus de Gisors, Evreux et Louviers. Il développe encore une grosse activité dans le mouvement « Union dans les luttes », regroupement de militants de toutes origines pour battre Giscard en 81, frontalement contre le PCF qui tire un trait d’égalité entre le PS et la droite, avant de se précipiter au gouvernement. En 82, il organise une occupation du siège du député avec son syndicat pour exiger que les engagements minimaux pris par ce gouvernement soient tenus. Il part à la retraite en août 84 et se met en retrait de l’activité. Il aura tenu à prendre sa carte de membre fondateur du NPA.
Pierre Vandevoorde
SOURCES :
• « La Vérité des travailleurs », bimensuel du PCI, voir sur le site de l’association « Radar » http://www.association-radar.org/ (rechercher « Vernon », en particulier dans les n°52, 57, 59, 66) - Brochure « le syndicat est l’arme de tous les travailleurs » http://www.association-radar.org/IMG/pdf/10-008-00020.pdf
• Sylvain Pattieu, Les camarades des frères. Trotskistes et libertaires dans la guerre d’Algérie. Syllepse, Paris, 2002
• Pierre Vandevoorde « 1950 et après : Trois décennies d’activités trotskystes à Vernon (Eure) et au Laboratoire de Recherches Balistiques et Aérodynamiques (LRBA) » 2015
http://www.europe-solidaire.org/spip.php?article39874
• Notice Jack Houdet du Maitron.