La Flandre à droite toute ?
Ce qu’elle n’avait pas réussi à faire en 2018 à Ninove, l’extrême droite l’a fait cette année en parvenant à s’imposer en conquérant la majorité absolue avec la liste Forza Ninove (paravent du Vlaams Belang), voyant donc la première conquête d’un exécutif par l’extrême droite. Ce succès local de l’extrême droite dans une ville de 40.000 habitant.e.s est un fait majeur. Dans l’ensemble, le score du Vlaams Belang a progressé depuis les dernières élections communales. Le VB a même doublé son nombre d’élus, passant de 300 à 600 : ils approfondissent donc leur implantation locale. Ils peuvent encore arriver au pouvoir dans au moins deux villes, Middelkerke avec De Decker et Jabbeke, petite commune dans la périphérie de Bruges.
A droite (toute), la N-VA s’impose de façon éclatante comme la première force en Flandre, alors que le CDV s’en sort relativement bien, confirmant son implantation locale historique. L’OpenVLD est en chute libre, confirmant là aussi la tendance observée en juin. La base sociale de l’OpenVLD semble lui préférer la N-VA comme meilleur relais d’une politique ultralibérale.
A Anvers, alors que la campagne électorale annonçait un duel serré entre N-VA et PVDA (PTB), Bart De Wever s’impose finalement très largement avec 37% des voix, parvenant même à augmenter son score de 2018, après une campagne marquée par la “peur du rouge” et la “menace des communistes” dans le fleuron économique anversois. Certes en nette progression et deuxième force politique, le PVDA-PTB mené par Jos D’Haese arrive loin derrière avec 20,2%. Le PTB pourrait, grâce à son bon score, obtenir le poste de bourgmestre de district à Borgerhout, en coalition avec Groen et Vooruit. A Zelzate, où ils étaient dans la majorité, ils perdent 1% et terminent à 21,7%. Ils dépassent les 5 % dans plus de 12 villes flamandes dont 10,6 % à Vilvoorde. Des progressions entre 2 et 3 % en moyenne. La suppression du vote obligatoire les a clairement freinés…tout comme le VB. En effet, par rapport aux scores de juin dernier aux régionales, les deux formations sont en recul, à l’inverse du CD& ;V et de Groen, à l’électorat plus mobilisé car plus âgé et diplômé. De manière générale, l’absence de vote obligatoire en Flandre a mené à un effondrement de la participation électorale (un·e électeur·ice sur trois n’ayant pas été voter), en particulier dans les classes populaires.
De son côté, Vooruit poursuit sa progression observée en juin, en parvenant notamment à (re)gagner Ostende, Turnhout et Leuven, et même si son président Conner Rousseau n’arrive que deuxième à St-Nicolas, il enregistre là une importante progression et talonne la N-VA. Groen perd presque partout, à quelques exceptions près (e.a. Mortsel, Gand et Petra De Sutter à Horebeke, en cartel avec le N-VA). A Bruxelles, en s’alliant avec Ecolo, Groen est le plus grand parti néerlandophone avec 26 élu.es. Notons que la N-VA perd ses 6 élus locaux à Bruxelles et que l’extrême droite VB n’y a plus aucun élu !
En conclusion, si la N-VA et le VB réalisent un bon score, le total Vooruit-Groen-PVDA montre une certaine résistance. Mais peut-on encore décemment classer Vooruit à gauche alors qu’il s’apprête à gouverner à droite toute ? Poser la question c’est y répondre. La forte hausse de l’abstention et son impact négatif sur le PVDA-PTB en particulier, nous rappellent que le réservoir de voix chez les classes populaires et les jeunes est encore important…Pour autant que la gauche parvienne à les mobiliser par un véritable projet de société solidaire contre les discours démagogiques sur les boucs émissaires “profiteurs” et “assistés”, qui cachent la nature du système économique capitaliste et des classes en lutte.
En Wallonie, le PS sauve les meubles malgré le progrès des droites MR-Engagés
Les résultats wallons confirment la dynamique de juin, avec une hausse significative du MR, et une envolée des Engagés, qui s’expriment notamment dans le score des deux partis dans les provinces. Même s’il progresse largement, le MR ne parvient cependant pas à s’imposer dans les grandes villes, qui restent pour beaucoup aux mains du PS (à l’exception de Tournai et de Verviers). A Mons, l’ambition tapageuse de GL Bouchez à devenir bourgmestre est défaite. Au centre-droit, Défi s’évapore partout et les Engagés en profitent. A droite (toute), le MR radicalisé de Bouchez rafle les voix de l’extrême droite qui n’obtient plus qu’un seul élu local.
Le maintien de grands bastions historiques du PS ne parvient pas à éclipser une lente érosion de sa base sociale et électorale, qui s’exprime par une baisse de son score absolu par rapport à 2018, et la perte de certaines majorités absolues (à Mons, notamment). On voit également le PS plus enclin à négocier avec le MR dans les villes où il ne peut gouverner seul, et ceci même quand des majorités sur sa gauche sont possibles (Liège, Ath). C’est encore plus vrai en région bruxelloise, on y reviendra.
Malgré un très léger rebond par rapport à juin 2024, les élections locales constituent une nouvelle débâcle pour Ecolo, qui perd des bastions historiques et/ou des bourgmestres à Ottignies-Louvain-la-Neuve, Enghien et Amay. Ecolo ne s’embarrasse pas plus que le PS de grands principes “progressistes” quand on le voit renvoyer le PS dans l’opposition à Tournai par une alliance avec le MR et les Engagés. Quant au PTB, il bute sur l’objectif qu’il s’était lui-même fixé de se rendre incontournable dans de nombreuses communes, et ne pourra prétendre à entrer dans une majorité communale wallonne qu’à Herstal, malgré ses 23 villes au-delà des 10 %. Globalement, le PTB stagne par rapport à 2018, à quelques exceptions notables près, confirmant le tassement déjà observé en juin 2024.
La dynamique de droitisation de l’espace politique en Wallonie se poursuit donc, sans s’amplifier par rapport à juin dernier. Pour ces élections communales, il faut rappeler l’influence des enjeux locaux qui peuvent expliquer en partie la légère différence par rapport aux législatives et aux régionales : c’est ce qui peut expliquer par exemple pourquoi les Engagés peuvent dégager le MR de son bastion à Wavre en s’alliant avec le centre gauche. On ne peut en tout cas pas parler de clarification politique de la part du PS et d’Ecolo qui choisissent à la carte leurs alliances et ne cherchent pas à former des blocs de gauche avec le PTB. Il faudra suivre de près le résultat des négociations PS-PTB à Herstal et l’expérience nouvelle qui pourrait en sortir, riche d’enseignements pour les militant·es des mouvements sociaux sur les possibilités et limites du municipalisme de gauche.
Des résultats contrastés à Bruxelles
A Bruxelles, certaines tendances générales se confirment : une défaite majeure pour Ecolo, qui perd ses trois mayorats (y compris celui d’Ixelles en raison d’une alliance PS-MR-Engagés). Les Engagés confirment leur progression de juin, sans parvenir à conquérir de nouvelles communes et restent moins forts qu’en Wallonie. Les libéraux francophones, souvent en cartel avec les Engagés ou Défi, se développent également, et sont en tête notamment à Uccle, Etterbeek, Forest, Anderlecht, et Watermael-Boitsfort. DéFi achève sa déroute de juin avec une lourde défaite à Schaerbeek, bastion de la formation où leur bourgmestre sortant Clerfayt se retrouve en cinquième position. Défi maintient cependant ses mayorats à Woluwe-Saint-Lambert et à Auderghem, tout en enregistrant une baisse de son score dans ces deux communes. Qu’à cela ne tienne, la direction de ce petit parti libéral promet un prochain “rebranding”, espérant sans doute réussir le même coup que les Engagés (ex-Cdh) avant eux.
Les ambitions du PTB/PVDA de se rendre incontournable échouent également à plusieurs endroits en région bruxelloise, où le parti n’enregistre pas de progression suffisante pour concrétiser ses ambitions (à l’exception de Molenbeek, où une alliance avec le PS et d’autres formations est discutée, et peut-être Forest), même s’il progresse légèrement par rapport à 2018. Un facteur explicatif de ce manque de développement à Bruxelles est la captation plausible par la Team Fouad Ahidar d’une frange de l’électorat du PTB, notamment à Anderlecht ou à Schaerbeek. Cette formation fondée par un ex-Vooruit a mené une campagne intense dans les quartiers populaires et sur les réseaux sociaux. Son orientation est confuse, comme l’illustre par exemple les propos de leur tête de liste à la Ville de Bruxelles sur BX1, affirmant que son parti avait pour principe le “pragmatisme” (“opportunisme”, ça aurait moins bien donné) et défendait la sécurité, la propreté et le retrait de toutes les mesures environnementales sur les questions de mobilité (mal résumées par le fameux terme “Good Move”). Ni le PS ni le PTB n’ont donc intérêt à laisser la TFA s’implanter durablement dans la région.
Enfin, quelques mots sur le débat sur les alliances de gauche à Bruxelles : le PTB s’était porté candidat à monter dans l’exécutif à Molenbeek mais aussi Saint-Gilles et Forest. Sa progression plus limitée que prévu, ainsi que le choix du PS de privilégier souvent (à la Ville de Bruxelles, à Ixelles…) des majorités homogènes avec la majorité régionale en gestation (PS-MR-Engagés) ont rendu l’hypothèse de fronts de gauche à Bruxelles moins réaliste. La campagne menée par des militant·es de terrain dans certaines communes (ainsi que dans la revue Politique) pour de tels fronts de gauche, à Forest ou Anderlecht par exemple, peut encore pousser le MR dans l’opposition dans le cas forestois, commune très majoritairement à gauche. Notons dans le cas anderlechtois que la liste PS+ incluait un candidat du Mouvement Demain (à gauche du PS donc) mais que cela n’a permis ni son élection ni non plus d’empêcher le PS de s’allier avec le MR.
On ne pourra donc pas compter sur un grand nombre de communes aux majorités sans partis de droite (MR-Engagés-Défi) pour s’opposer aux décisions régionales et fédérales antisociales et anti-écologiques qui s’annoncent.
Et maintenant ?
L’année électorale se termine et le rapport de force institutionnel est en notre défaveur, avec des élections locales qui confirment la victoire des droites en juin. Les enjeux communaux ne peuvent être dissociés complètement des autres niveaux de pouvoir. Les négociations au fédéral vont pouvoir reprendre et s’accélérer, et les partis de droite auront les mains libres pour former des gouvernements et mettre en place une politique de casse sociale et écologique sans craindre un votre punitif. A la Région wallonne et à la FWB, les tableaux budgétaires devraient bientôt annoncer la couleur, celle de coupes dans l’enseignement, la culture, les politiques sociales et les services publics, etc. Les mauvaises nouvelles vont également arriver dans les communes, pour beaucoup asphyxiées budgétairement et qui le seront encore plus avec les demandes d’aides au CPAS qui vont continuer à augmenter sans budget suffisant.
Pour que de nouveaux seuils soient atteints, il sera nécessaire pour le PTB de s’ouvrir à des politiques unitaires à gauche et dans le mouvement social et de ne pas s’enfermer dans l’idée que son fonctionnement et son organisation seraient capables à eux seuls de permettre de larges victoires sociales et politiques pour la classe travailleuse.
De son côté, pris dans ses contradictions, le PTB semble avoir atteint son plafond électoral, et ne parvient en tout cas pas aux résultats escomptés. Le profil très limité de sa campagne à de nombreux endroits, avec des accents sur la propreté et la sécurité qui le différenciaient peu du PS ou d’Ecolo sur ce terrain, malgré une volonté sociale sur les questions de logement en particulier, n’a en tout cas pas permis de nouvelle progression. Comme en juin, le parti obtient des résultats contrastés et progresse surtout en Flandre et à Bruxelles. Le PTB a réussi à s’enraciner électoralement dans les trois régions, avec pas mal de conseillers communaux supplémentaires dans plus de villes et de communes que ce n’était le cas il y a encore peu de temps. Les résultats engrangés jusqu’ici maintiennent ouverte la perspective de progrès futurs pour une gauche de gauche. Pour que de nouveaux seuils soient atteints, il sera nécessaire pour le PTB de s’ouvrir à des politiques unitaires à gauche et dans le mouvement social et de ne pas s’enfermer dans l’idée que son fonctionnement et son organisation seraient capables à eux seuls de permettre de larges victoires sociales et politiques pour la classe travailleuse. Les réactions des dirigeants du PTB au soir du 13 octobre, faites d’auto-congratulation et dépourvues d’analyse du contexte plus global et des enjeux des luttes à venir, indiquent hélas plutôt l’inverse à ce stade. À terme, une telle orientation risque de l’enfermer dans sa propre niche électorale. Le PTB n’offre en outre pas de perspective de mobilisation à court terme pour faire face à la droite, en dehors du cadre institutionnel.
Nous, travailleur.se.s, jeunes, opprimé.e.s, ne pouvons pas attendre cinq ans de plus ! Cinq années durant lesquelles des mesures antisociales d’ampleur jamais vues pourront voir le jour : attaques contre les travailleur·euses (les chômeur·euses, les malades longue durée, les pauvres, les profs, …), coupes dans les services publics, attaques contre les syndicats, criminalisation des mouvement sociaux, répression, radicalisation des politiques migratoires racistes, destruction du vivant. On ne peut pas attendre et se résoudre à une future issue institutionnelle parce que dans cinq ans, une coalition alternative à l’Arizona ne pourrait être au mieux qu’un genre de Vivaldi, tout aussi ancrée à droite que la première.
Nous ne pouvons pas attendre parce que la progression du désastre écologique, de la barbarie guerrière et impérialiste au Proche-Orient et en Ukraine et des nouveaux fascismes un peu partout nous montrent qu’il est minuit moins cinq. Le capitalisme s’enfonce et nous enfonce dans des régressions qui se multiplient et se cumulent. Les discours sur de prétendues “pauses environnementales”, au niveau européen et en Belgique, attestent du niveau de déni et de dangerosité des classes dominantes radicalisées, qui soutiennent une guerre génocidaire en Palestine, s’ouvrent à l’extrême droite et cherchent encore un bon deal avec le dictateur Poutine.
Nous réitérons notre appel à tous les mouvements sociaux, aux syndicats, au monde associatif, aux travailleur•ses, à construire une résistance la plus unitaire et combative possible, pour lutter contre les attaques à venir, et préparer un monde désirable et un projet de société alternatif.
Au lendemain des élections du 13 octobre et après une longue séquence dominée par la politique institutionnelle en Belgique, nous réitérons notre appel à tous les mouvements sociaux, aux syndicats, au monde associatif, aux travailleur•ses, à construire une résistance la plus unitaire et combative possible, pour lutter contre les attaques à venir, et préparer un monde désirable et un projet de société alternatif. Les combats à mener ne manquent pas. Les fronts de lutte vont se multiplier. Nous vous donnons déjà rendez-vous pour la nouvelle manifestation en solidarité avec la Palestine et le Liban du 20 octobre à Bruxelles, à l’action de Code Rouge du 24 au 28 octobre, contre les énergies fossiles, et à la manifestation du front commun syndical du secteur non-marchand du 7 novembre. Dans la situation actuelle, notre pire ennemi sont la résignation et la passivité. Notre destin n’appartient pas aux politiciens ni aux milliardaires : il nous appartient à tou·te·s. Les transformations de nos vies quotidiennes, en matière de logement, de travail, de transport, de soin aux petits et aînés, etc. se feront dans et par nos luttes. Aucun isoloir ne pourra les remplacer.
Unissons-nous dans la lutte, pour qu’enfin les mauvais jours finissent.
Gauche anticapitaliste
Photo : Dominique Botte / Gauche anticapitaliste / CC BY-NC-SA 4.0