Les articles et les rapports scientifiques se suivent et se ressemblent pour confirmer la gravité de la situation de la biodiversité à l’échelle mondiale. Publié en 2019, le rapport d’évaluation mondiale de l’IPBES (Plateforme intergouvernementale sur la biodiversité et les services écosystémiques, sorte de « GIEC de la biodiversité ») estimait qu’environ un million d’espèces animales et végétales sont menacées d’extinction, certaines au cours des prochaines décennies. Il s’agit d’une situation sans précédent dans l’histoire de l’humanité.
En matière de biodiversité comme en matière de climat, les États sont interdépendants. La diplomatie internationale s’est donc également saisie du problème, à l’image de ce qui est fait avec la diplomatie climatique. Les États ont ainsi adopté en 1992, lors du Sommet de la Terre à Rio, la Convention sur la diversité biologique (CDB).
Moins connue que les accords internationaux sur le climat comme l’Accord de Paris ou le Protocole de Kyoto, la Convention a également mis en place une COP (pour Conférence des Parties, une expression qui décrit les conférences où se réunissent les États ou organisations qui ont ratifié une convention internationale) dédiées à la diversité biologique.
En effet, la CDB reste assez générale dans son contenu et laisse une grande marge d’appréciation aux États. Elle a donc été complétée par des plans stratégiques successifs, dont le troisième a été adopté lors de la COP15 à Montréal en décembre 2022.
Présenté comme l’équivalent de l’Accord de Paris pour la biodiversité, plus exigeant et précis que les précédents, le Cadre mondial de la biodiversité de Kunming-Montréal a posé un objectif ambitieux : arrêter et inverser la perte de biodiversité d’ici 2030 grâce à 23 objectifs chiffrés. Oui, mais comment les atteindre ?
C’est justement ce sur quoi la COP16, qui a débuté ce 21 octobre en Colombie à Cali et qui doit durer jusqu’au 1er novembre, doit voir les États s’accorder. Marquant une considération croissante envers les enjeux de conservation de la biodiversité, la COP doit, de ce point de vue, les aider à aligner leurs stratégies nationales avec les objectifs internationaux, et permettre l’application concrète de l’accord de 2022.
Un effondrement qui menace les services écosystémiques
12 000 personnes sont attendues à Cali pour participer au sommet, un chiffre jamais atteint pour une COP sur la biodiversité. C’est indiscutablement la marque d’un intérêt croissant pour les questions de biodiversité. Jusqu’ici, que ce soit en termes de médiatisation, d’intérêt des États ou des entreprises ou même de financement, celles-ci semblent toujours en retard d’un train par rapport aux COP sur le climat.
Pourtant, la double crise qui affecte le climat et la biodiversité devrait nous conduire à considérer les deux enjeux à parité et de manière cohérente, pour ne pas dire synergique.
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En effet, l’effondrement de la biodiversité compromet les services que les écosystèmes procurent aux humains, par exemple la pollinisation, l’atténuation de l’érosion des sols, le recyclage des déchets organiques, l’épuration naturelle des eaux, la production de l’oxygène de l’air, mais aussi la séquestration naturelle de carbone par les forêts, les océans, les sols et sous-sol.
En 1997, ces services rendus ont été évalués à 33 000 milliards de dollars par an, soit près de deux fois le PIB mondial d’alors. Sans même évoquer les questionnements éthiques que cela suscite, ou même les conséquences climatiques, sanitaires, économiques, sociales, ou culturelles qui découleraient de leur perte.
Limites planétaires, d’après Richardson et al 2023.
Les activités humaines affectent profondément et durablement différents processus biogéochimiques et menacent le fonctionnement du système terrestre. La perte de biodiversité est de ce point de vue une menace globale, au même titre que le changement climatique ou la destruction de la couche d’ozone. Bien qu’elle soit l’objet d’une moindre attention, elle fait partie des six limites planétaires sur neuf considérées comme dépassées, menaçant l’habitabilité de la planète.
Ce qui a été décidé à Montréal lors de la COP15
Pour lutter contre cet effondrement en cours, le Cadre mondial de la biodiversité de Kunming-Montréal s’était accordé sur 23 objectifs chiffrés à atteindre en 2030.
Ceux-ci visent à réduire les pressions sur la biodiversité, à réorganiser l’économie et les systèmes de production et à adopter des styles de vie plus sobres et plus équitables.
Leur mise en œuvre implique des changements en profondeur sur les plans économique, social, politique et technologique.
Pour ne citer que quelques-uns de ces objectifs :
• la cible 1 vise à limiter l’artificialisation des milieux naturels, soit
« réduire la perte de zones de grande importance pour la biodiversité, y compris d’écosystèmes de grande intégrité écologique, à un niveau proche de zéro d’ici à 2030 ».
• la cible 2 requiert la restauration de 30 % des écosystèmes dégradés,
• La cible 3 demande aux États d’établir des zones protégées pour 30 % des terres et des mers.
Ce dernier objectif est ambitieux : actuellement, seules 17 % des terres et 8 % des zones marines sont sous protection. Et bien souvent, il ne s’agit que d’une protection toute relative.
Pour l’heure, trop peu d’États jouent le jeu
La principale préoccupation à Cali porte donc sur la transcription de ces 23 objectifs internationaux dans les droits nationaux, une étape d’autant plus importante que le Cadre mondial n’est pas juridiquement contraignant pour les États parties. La CDB les invite à adopter des stratégies et plans d’action nationaux en la matière, et à les réviser et actualiser pour les aligner sur les objectifs internationaux.
Cérémonie d’ouverture de la COP16 à Cali, en Colombie. Sandrine Maljean-DuboisFourni par l’auteur.
Pour l’heure, force est de constater que trop peu d’États jouent le jeu. À l’ouverture de la COP16, sur les 196 Parties à la Convention sur la diversité biologique,
• seuls 32 États et l’Union européenne ont publié leurs stratégies nationales revues,
• 103 ont soumis des objectifs nationaux alignés sur les objectifs internationaux.
C’est loin d’être négligeable, mais il ne reste que 6 ans pour atteindre les objectifs, qui sont posés à l’horizon 2030. Il est donc urgent d’accélérer ce processus de transposition.
Les premières discussions à Cali ont ici mis en évidence les difficultés rencontrées par les pays, y compris pour accéder aux financements du Fonds pour l’environnement mondial destinés à les accompagner dans ce processus.
Des questions en suspens à trancher
Certains éléments du Cadre mondial n’avaient pu être décidés en 2022 lors de la COP 15 : la COP 16 les retrouve donc à son agenda, même si un important travail de préparation a été réalisé entre les deux sessions.
De ce point de vue, et sans prétendre à l’exhaustivité, on soulignera en particulier :
• La nécessité de suivre les engagements concrets des États
La COP15 a mis en place un « cadre de suivi » qui doit permettre de suivre les progrès des États, objectif par objectif, pour au besoin les amener à réajuster leurs politiques et actions. Ce cadre doit être robuste et reposer sur des indicateurs clairs pour chacun des 23 objectifs. La COP 16 doit ici mettre à jour et compléter ce cadre de suivi, en se mettant notamment d’accord sur des indicateurs manquants.
Conçue sur le modèle de l’Accord de Paris et de son bilan mondial qui doit être réalisé tous les 5 ans pour suivre les progrès collectifs des États, il a été décidé en 2022 qu’une évaluation mondiale débuterait en 2026, lors de la COP17. La COP16 doit maintenant en arrêter les modalités concrètes.
Pour être utile, cette évaluation devrait être la plus transparente et complète possible, intégrant l’ensemble des contributions, y compris les rapports périodiques des États, et idéalement aussi les contributions des acteurs non étatiques (entreprises, ONG, collectivités locales, peuples autochtones…). La difficulté est, dès lors, de pouvoir vérifier ces dernières.
• La nécessité de mobiliser des ressources financières accrues pour la biodiversité.
C’est un objectif posé par la Convention dès 1992, qui constitue une véritable pomme de discorde entre les pays du Nord et du Sud, en miroir des discussions animées sur le sujet au sein des COP sur le clima t.
L’objectif 19 du Cadre mondial vise ainsi un montant de 20 milliards de dollars par an d’aide publique au développement ciblée sur la biodiversité à partir de 2025 puis de 30 milliards à partir de 2030. Cette aide progresse : l’OCDE l’a l’évaluée à 15,7 milliards en 2022. Mais elle reste insuffisante pour les pays du Sud.
Dédié à la mise en œuvre du Cadre mondial, un nouveau Fonds cadre mondial pour la biodiversité (GBFF) a été créé au sein du Fonds pour l’environnement mondial en 2023. Il a reçu pour l’instant 245 millions de dollars de promesses, mais seuls 4 projets ont obtenu un feu vert pour un financement au total de 40 millions. Plus généralement, les pays en développement souhaitent la création d’un mécanisme financier en dehors du Fonds pour l’environnement mondial, dont ils critiquent le fonctionnement et la gouvernance ; les pays développés y sont à ce jour opposés.
Au-delà de ces discussions Nord/Sud, c’est toute une réorientation des flux financiers vers la biodiversité qu’il faudrait organiser, en commençant par couper les subventions préjudiciables (agriculture, eau, carburants fossiles…) qui ont récemment été évaluées à 2 600 milliards de dollars (soit 2,5 % du PIB mondial) par l’ONG Earth Track.
• La nécessité d’assurer un partage juste et équitable des avantages tirés de l’exploitation des ressources génétiques.
C’est l’un des objectifs de la Convention, qui a donné naissance à un protocole sur le sujet, le Protocole de Nagoya sur le partage juste et équitable des avantages (2010), censé lutter contre la biopiraterie. Or, le développement actuel des banques de gènes conduit à contourner les mécanismes – déjà fragiles – du Protocole de Nagoya qui ne s’appliquent qu’aux ressources physiques et non aux ressources numérisées.
La COP15 s’était mise d’accord sur la création d’un mécanisme multilatéral qui s’appliquerait aux informations de séquençage numérique (ISN), à côté du système créé pour les ressources physiques dans le cadre du Protocole de Nagoya. Le mécanisme, qui reposerait sur la création d’un fonds mondial, devrait permettre de partager à la fois des avantages monétaires et non monétaires : les fonds devraient être affectés au soutien de la conservation et de l’utilisation durable de la biodiversité.
Mais beaucoup d’options sont sur la table, avec de profonds désaccords entre les pays. Il n’est donc pas certain que la COP parvienne à un compromis définitif sur le sujet, mais, en ce cas, peut-être que certains progrès pourront tout de même paver la voie à un accord lors de la COP17.
Sandrine Maljean-Dubois, Directrice de recherche CNRS, Aix-Marseille Université (AMU)
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