Antonio était le troisième d’une fratrie de huit enfants. Son père, émigré, est embauché chez Renault à Cléon (Seine-Maritime). Après le collège, Antonio trouva une place de manœuvre aux usines Wonder de Louviers, qui comptaient alors 1300 salarié.es. Sur fond de révolution des Oeillets, il y fit la connaissance de Manuel de Jesus, un autre jeune Portugais qui militait à la CFDT et à la LCR. En 1976, après une grève enthousiasmante, Tonio s’engagea aussi, d’abord au syndicat, puis dans le « groupe Taupe » (sympathisant.e.s ouvriers de la LCR), en compagnie d’une jeune ouvrière, Martine Pingué, qui devint la compagne de sa vie. Il entre à la LCR à la rentrée 1978, en même temps que paraissait le premier numéro de la feuille d’entreprise (avec un dessin de sa main) qui paraîtra au moins une fois toutes les trois semaines pendant vingt ans.
À la CFDT, il fut tout de suite confronté au serrage de vis de l’appareil confédéral, au « recentrage » et à la « chasse aux coucous ». C’est dans ces conditions qu’il fit ses premières armes de militant syndical efficace, tant au niveau de l’entreprise qu’à l’Union locale CFDT. Il fallut en même temps s‘imposer face à la CGT et à la cellule du PCF qui à l’époque tentaient d’empêcher le développement des « gauchistes ». Ainsi, à la suite du décès de Manuel de Jesus dans un accident en 1979, ils tentèrent d’empêcher physiquement la collecte de solidarité organisée par les proches de la LCR dans les ateliers.
En contrepoint d’un travail abrutissant, Tonio et Martine profitèrent pleinement du cadre épanouissant, tant sur le plan de la formation politique que du point de vue amical et des ouvertures culturelles, qu’offrait la section de Louviers de la LCR. Mais Wonder était déjà sur la pente des suppressions d’emplois à répétition. L’affaire de la reprise en 1984, puis du lâchage par l’affairiste Tapie soutenu par Mitterrand et le Crédit Lyonnais ne fut qu’un moment sur cette trajectoire. Seule restait la lutte pied à pied pour obtenir le moins pire, suivie de départs plus ou moins contraints accompagnés de primes. C’est au cours de ce processus que l’usine se vida de la plupart des militants et militantes.
Antonio de Abreu, qui avait une revanche à prendre sur la relégation et l’échec que l’école lui avait infligés, compensa en préparant et réussissant un CAP, puis un BEP en formation continue. Il était aussi un bricoleur hors pair, capable par exemple de fabriquer lui-même ses meubles. L’arrivée d’un enfant en 1988 allait accentuer la prise de distance de Martine. Elle resta déléguée du personnel, mais son usure et son amertume s’accentuèrent, tandis qu’elle reprochait à son compagnon de se laisser entraîner dans un militantisme extérieur toujours plus accaparant. À Louviers la poignée de militants et de militantes LCR conjuguait avec un certain succès travail ouvrier, syndicalisme enseignant, « travail jeunes » et militantisme associatif, de quartier ou au sein de SOS Racisme en particulier. Militant ouvrier expérimenté, il fut du nombre de ceux qui ont marqué quelques jeunes qui cherchaient leur voie, parmi lesquels Olivier Besancenot.
Tout en appliquant loyalement la ligne majoritaire, les militant.e.s de la LCR locale se retrouvèrent à partir de 1985 dans la succession des oppositions internes à ce qu’ils estimaient être une « droitisation » de l’organisation, comme par exemple le soutien à la candidature Juquin à la présidentielle de 1988. En 1993, Vito fut parmi la dizaine de signataires du texte d’appel à la constitution de la tendance « Révolution ! » avec Pierre Vandevoorde et le militant désormais étudiant à Nanterre, Olivier Besancenot.
En 1994, le groupe Ralston ferma l’usine de Louviers. Antonio de Abreu et sa femme, délégués protégés, firent partie des 130 « rescapés » mutés sur le site d’Elbeuf. Ils y devinrent les piliers de la CGT, avec un militant de LO. Ce dernier, bientôt exclu de son organisation avec la quasi-totalité des groupes de Bordeaux et de Rouen, forma avec eux « Voix des travailleurs ». La fusion de deux bulletins d’entreprise Ralston en novembre 1997 fut le premier pas d’un rapprochement qui aboutit trois ans plus tard à l’intégration de VDT dans la LCR.
Mais dès avril 1998 tombait un nouveau plan de licenciements brutal. La lutte fut menée par un « comité d’organisation » ouvert et responsable devant l’assemblée générale, autour du mot d’ordre « Interdisons les licenciements chez Ralston comme ailleurs ». Pendant sept mois, elle marqua la région, mais resta isolée. Les « mesures d’accompagnement » et les indemnités obtenues furent vécues comme un succès, mais l’usine se vida quand même. De l’équipe qui avait mené la lutte, Antonio de Abreu restait le seul « cadre ». Par la suite, Antonio mit son savoir-faire au service des militant.e.s d’entreprises où la LCR avait une influence. Chez De Carbon (amortisseurs) tout d’abord, où la « méthode Ralston » allait prouver son efficacité. Mais peu à peu il devint plus distant et autoritaire ; sûr de sa valeur de dirigeant, il toléra de moins en moins les avis divergents.
Membre de la direction de la LCR 27, il fut un partisan enthousiaste de la campagne Besancenot de 2002, puis du passage au NPA en 2009. Resté Portugais, il figurait parmi les candidat.e.s quand la législation électorale le permettait. Les succès électoraux à Louviers (jusqu’à 11% aux municipales de 2008, avec un élu, l’ouvrier Gérard Prévost), la densification de l’implantation le confortèrent dans la certitude que le NPA était le petit parti d’action tant espéré. Les premières déconvenues lui portèrent un nouveau coup. C’est plus qu’il ne pouvait en supporter. En 2005, son usine, la dernière usine de piles du pays, avait fermé malgré une ultime lutte acharnée. Il avait dû se faire auto-entrepreneur dans le bâtiment, avec ce que cela impliquait d’heures de travail et d’isolement. Il se raidit encore.
Par-delà son engagement dans l’opposition à l’orientation nationale du NPA, son comportement au quotidien entraîna une dégradation irrémédiable des relations avec ses camarades, ses ami.e.s. La rupture intervint en 2015 quand il fut le seul à refuser la demande du PCF local de s’intégrer à la liste NPA pour les municipales à venir (il y eut deux élu.e.s). Il jugea cependant nécessaire lors des législatives de juin 2017 de dénoncer vertement dans la presse locale l’accord LFI-NPA-PCF autour de la candidature d’un maire PCF. Il s’est ensuite retiré entièrement de la vie publique. Sa compagne est morte un an et demi avant qu’il ne mette fin à ses jours.
Pierre Vandevoorde
Sources :
– Pierre Bergerac, « Sept mois de mobilisation contre les licenciements chez Ralston », Convergences révolutionnaires, N°1, janvier 1999,
https://www.convergencesrevolutionnaires.org/Sept-mois-de-mobilisation-contre-les-licenciements-chez-Ralston ;
– Pierre Vandevoorde, « Pour une histoire des trotskystes dans l’Eure. Les débuts de la Ligue à Louviers (1969-1978) », Europe solidaire sans frontière
http://www.europe-solidaire.org/spip.php?article39972 ; -Olivier Besancenot, Tout est à nous !, Denoël, 2002, p.18 ;
– Éric Hacquemand, Olivier Besancenot, l’irrésistible ascension de l’enfant de la gauche extrême, éditions du Rocher, 2008, p.22 ;
– Hélène Adam et François Coustal, C’était la Ligue,Syllepse/Arcane17, 2019, p.470
– Notice du Maitron.