Le danger d’un pouvoir néofasciste est là, devant nous
Lors du premier tour des législatives 2017 (51 % des inscrit.es votent), environ 3 millions de voix s’étaient portées sur le FN, à celui des législatives de 2022 (52,5 % des inscrit.es votent) le RN recueillait 4,2 millions de voix, auxquelles on peut ajouter le million de Reconquête, soit plus de 5 millions de voix pour l’extrême droite néofasciste. Au premier tour des législatives 2024 (66,7 % des inscrit.es votent), le RN recueille 9,4 millions de voix, plus 1 million de voix aux diverses listes d’extrême droite, soit entre 10 et 11 millions de voix pour l’extrême droite néofasciste.
En 7 ans, le nombre de votant.es pour elle a été multiplié par 3,6 et représente 30 % des voix exprimées, 20 % des inscrit.es. Entre 10 et 11 millions de voix sont stabilisées aujourd’hui pour le RN et ses affidés, et lorsque les abstentionnistes votent, leur nombre de voix augmente, comme en attestent les 13 millions pour Le Pen au second tour des présidentielles de 2022 où il y a eu 72 % de votant.es.
C’est considérable et d’autant plus inquiétant pour nous que la majeure partie de ces voix proviennent des classes populaires, des exploité.es et des opprimé.es, et que le binôme Le Pen/Bardella leur a permis d’obtenir des résultats significatifs dans de nouvelles parties de l’électorat : les jeunes, primo-votants, les cadres, les « CSP+ » qui s’ajoutent à celui du sud de la France ou aux anciens bassins industriels dévastés.
Ces résultats donnent aux néofascistes les moyens d’être majoritaires lors des échéances électorales majeures dans les années qui viennent, tant la présidentielle que les législatives.
Si le « front républicain » initié par le NFP a permis d’empêcher cette conclusion, le système électoral actuel permet à une force politique recueillant 30 à 35 % des voix au premier tour d’avoir la majorité absolue à l’Assemblée Nationale. Le RN est donc en position de prendre possession des rouages de l’appareil d’État, ce qui changerait considérablement le rapport des forces et représenterait un danger qualitativement différent de ce que nous avons connu depuis la seconde guerre mondiale.
Ces résultats électoraux ne se traduisent pas aujourd’hui par la construction d’un parti de masse néofasciste : en dehors des élections, les groupes militants néofascistes du RN sont peu présents dans la vie quotidienne, dans les combats sociaux.
Mais le climat créé par les victoires électorales du RN, l’augmentation constante du niveau de violence des prises de position et des polémiques donne le champ libre aux comportements racistes, xénophobes, islamophobes, homophobes, transphobes, climato-sceptiques et autres, des organisations clairement fascistes, des groupes d’extrême droite violents, mais aussi au niveau des individus. On en a vu des milliers d’exemples dans les derniers mois, depuis les comportements et réflexions racistes décomplexées autour de nous, dans les milieux de travail, y compris dans des milieux à forte tradition de gauche (chez les cheminots par exemple), les tentatives d’intimidation, jusqu’à des menaces de mort sur les réseaux sociaux, qui se sont multipliés. Tout cela indique ce que voudrait dire une victoire des néofascistes pour toutes et tous, même si le résultat électoral a provisoirement relativisé ces attaques effectives et potentielles.
De la même manière, il faut prendre la mesure du rôle que joue désormais la Coordination rurale et s’inquiéter de son poids dans l’action directe contre les mobilisations écologistes, en particulier lors des mobilisations contre les bassines ou l’autoroute A69.
Par rapport aux courants fascistes des années 1930, le RN n’a pas repris l’aspect révolutionnaire, la construction de « l’homme nouveau », le bouleversement de la société. Mais le fond commun avec le fascisme est bien là, en défense de la liberté d’entreprendre, des entreprises, du productivisme sous toutes ses formes, contre toute action autonome de classe, contre les organisations démocratiques, associatives, syndicales et politiques, avec au centre de gravité idéologique la préférence nationale, l’identité, le racisme dans un pays profondément marqué par son histoire coloniale.
Le RN se construit aujourd’hui principalement comme une force institutionnelle, de plus en plus intégrée au fonctionnement des assemblées, municipalités, où ils ont des élu.e.s. Une de leur principale préoccupation est aujourd’hui est la prise de plusieurs centaines de municipalités en 2026 pour ancrer en profondeur cette évolution.
D’ores et déjà, il possède des points d’appui importants au sein même de l’appareil d’État, ainsi qu’en témoigne son influence dans les syndicats majoritaires dans la police, et dans l’armée. N’oublions pas la tribune parue dans Valeurs Actuelles un an avant la présidentielle de 2022 d’une vingtaine de généraux, une centaine de hauts gradés et d’un millier d’autres militaires dénonçant le « délitement » de la France notamment « à travers un certain antiracisme », « l’islamisme et les hordes de banlieue » et se déclarant disposés à soutenir les politiques « défendant la nation ». Ils ajoutaient : « si rien n’est entrepris, le laxisme continuera à se répandre inexorablement dans la société, provoquant au final une explosion et l’intervention de nos camarades d’active dans une mission périlleuse de protection de nos valeurs civilisationnelles et de sauvegarde de nos compatriotes sur le territoire national ». Le Pen s’est empressée de souscrire à ces analyses et d’inviter ses auteurs à se joindre à son action.
Depuis, le nombre de hauts fonctionnaires se ralliant au RN et à ses perspectives a augmenté, et il est acquis que la quasi-totalité de l’appareil d’État servirait « loyalement » un pouvoir dirigé par des néofascistes, comme cela a été le cas lorsque Pétain est arrivé au pouvoir en 1940.
Sur une série de questions politiques structurantes, le RN a installé son hégémonie, relayé par la quasi-totalité des médias, des gouvernements, sur le « problème de l’immigration », l’islamophobie, la sécurité et les politiques répressives attentatoires aux libertés, l’écologie punitive, le wokisme, etc. On assiste à une « extrême droitisation » de la droite et du macronisme. Il n’est que de voir les conditions de la constitution du gouvernement Barnier. S’y ajoute la systématisation de mensonges éhontés, d’attaques verbales, d’agressions symboliques des gouvernants qui brutalisent les milieux populaires, toute une violence politique qui ne peut que trouver à s’exprimer sur le terrain politique et électoral un jour ou l’autre.
Une partie de la bourgeoisie est favorable à une évolution libertarienne du néolibéralisme, centrée sur la destruction de ce qui reste de « l’État social » et à la limitation des fonctions étatiques à la répression. Elle voit d’un bon œil ces néofascistes qui lui semblent utiles à la réalisation de ce projet. Au-delà de ce courant, les relations des organisations patronales avec le RN ont évolué, car les politiques néolibérales dirigées contre les classes populaires imposent des affrontements de classe de plus en plus durs, dans lesquelles un tel courant peut être utile. Si en 2022 le Medef a appelé à voter Macron pour faire barrage au FN au 2e tour des présidentielles au motif que son programme risquait de placer le pays « dans une impasse », rien de tel en 2024 alors que l’éventualité que le RN soit majoritaire était beaucoup plus grande. Selon les enquêtes, près de 20 % des employeurs proches du Medef ont voté pour le RN au premier tour
Un indicateur ne trompe pas : la hausse de la Bourse au lendemain du premier tour des législatives qui plaçait le RN en tête.
Cette évolution générale n’est pas propre à la France : aujourd’hui les gouvernements et pouvoirs autoritaires, voire même dictatoriaux, dont une part importante ont des références similaires au RN, dominent dans le monde. Il s’agit bien là d’une évolution globale du mode de domination du capital, dans lequel la montée du RN s’intègre.
Si le danger est bien là, il ne s’agit pas de se lamenter, mais de mesurer cette situation, d’en comprendre les causes et les ressorts pour agir efficacement. L’histoire n’est jamais écrite d’avance, elle dépend fondamentalement de l’action de celles et ceux d’en bas, de celles et ceux qui refusent cet ordre dominant.
La gauche unie est électoralement dépassée par le RN
Au premier tour des législatives 2017 (51 % des inscrit.es votent), plus de 6 millions de voix s’étaient portées sur les diverses listes de ce qu’est le NFP aujourd’hui, deux fois plus que le nombre de voix pour le FN. La LFI, en recueillant 2,5 millions de voix, à elle seule talonnait le FN (3 millions).
Lors des législatives de 2022 (52,5 % des inscrit.es votent) la NUPES recueillait 5,8 millions de voix, auxquelles on pouvait ajouter un million d’autres voix aujourd’hui dans le NFP, c’était encore plus que les 5 millions de voix pour l’extrême droite néofasciste, mais loin du double !
Au premier tour des législatives 2024 (66,7 % des inscrit.es votent), le NFP recueille 9 millions de voix, pour la première fois historiquement moins de voix que l’extrême droite néofasciste.
En 7 ans, alors que le nombre de votant.es pour les néofascistes a été multiplié par 3,6 en passant de 3 à 10/11 millions de voix, celui de la gauche politique, toutes tendances confondues, passait de 6 à 9 millions. Telle est la réalité brute, loin des pourcentages et des résultats en député.e.s qui forment une sorte de trompe-l’œil.
On peut utiliser la dynamique politique créée par ce trompe-l’œil produit par le système électoral de la V° République, qui permet au NFP qui a recueilli 9 millions de voix d’avoir 178 député.e.s alors que le RN qui a recueilli 9,4 millions de voix de n’en avoir que 125, sans compter le fait que les macronistes d’Ensemble avec 6,5 millions de voix au premier tour ont, eux, 150 député.e.s. Mais on ne peut prendre le trompe-l’œil pour la réalité, qui d’une manière ou d’une autre nous rattrape toujours.
Pour déterminer notre action dans une situation où le NFP qui regroupe toutes les gauches, de la gauche social-libérale à la « gauche de rupture », recueille moins de voix que le RN, il faut partir de cette réalité, en utilisant tous les moyens à notre disposition, pour changer ce rapport de forces, déconstruire les attaques les plus violentes contre les classes populaires de ces dernières années et obtenir quelques améliorations qui modifieraient le rapport de force entre les classes en faveur des exploité.es et des opprimé.es.
La bourgeoisie en tire les conséquences : tout sauf le NFP
Les politiques néolibérales ont écrasé le poids électoral des partis bourgeois institutionnels de droite et du macronisme, sachant que celui-ci a intégré la partie la plus à droite des socialistes ralliés au néolibéralisme. En 2017, ce pôle était à lui seul plus important que les deux autres réunis, avec plus de 12 millions de voix (dont 6,4 millions pour la seule République en marche de Macron) contre 6 millions pour les gauches et 3 millions pour le FN.
Entre 2017 et 2024 ce pôle a perdu plus de 3 millions de voix, alors que les gauches en gagnaient 3 millions et le RN en gagnait plus de 7 millions.
Aujourd’hui les trois pôles sont entre 9 et 11 millions, mais celui de la droite et du macronisme est devenu plus petit que les deux autres et la radicalisation des votes a plus profité aux néofascistes.
Ces résultats aux européennes et surtout aux législatives de 2024 se produisent sans l’effet dynamique de l’élection présidentielle, mais montrent que la volatilité électorale a des limites : il y a bien une évolution fondamentale de la situation politique, qui va bien au-delà de la crise politique dont elle n’est que l’illustration. Le consentement à l’ordre capitaliste, aux politiques néolibérales est ébranlé, mais cela a principalement profité aux néofascistes. S’il y a toujours eu un vote de droite dans le monde ouvrier
C’est ce qu’a compris bourgeoisie qui dans cette situation préférera toujours le RN au NFP et donc préférera organiser sa domination de classe avec le RN.
Cela a déjà commencé à la marge avec le ralliement de Ciotti, et on constate que le report des voix de LR vers le RN a été plus important que ceux vers un.e candidat.e LFI lorsqu’iels étaient opposé.es.
En atteste également le fait de rendre publics les dîners Le Pen/ Bardella avec Édouard Philippe et Lecornu (ministre des armées) chez un ancien de LR proche conseiller de Macron n’a pas créé de crise, ni même de remous, au sein de la droite et du macronisme.
Pas plus de réactions à la publication d’informations sur le « projet Périclès
Au niveau européen, l’extrême droite affichée, qui augmente parfois son nombre de voix significativement (France, Italie, Allemagne, État espagnol, Portugal) dirige deux gouvernements, en Hongrie et en Italie et participe à plusieurs gouvernements avec la droite parlementaire, en Finlande, Pays-Bas, Suède et Croatie[5].
Le temps de la remise en cause, de la réflexion, et de l’action
Du côté de celles et ceux qui luttent contre l’exploitation et les oppressions sous quelque forme que ce soit, le préalable absolu à toute discussion, car les divergences dans les gauches sont bien réelles sur beaucoup de questions, est de refuser de continuer comme avant, comme si ce risque n’existait pas, comme si notre action passée avait été à la mesure de ce risque. Refusons la politique de l’autruche !
Bien des choix, des comportements, montrent que la menace néofasciste n’est pas prise au sérieux par nombre de courants politiques
Le point de départ de la discussion sur les échéances politiques et sociales à venir ne peut être que l’idée que nous avons échoué, et que toutes et tous nous sommes, chacun.e à la mesure de sa taille et de ses moyens, de ses responsabilités, appelé.e.s à prendre nos responsabilités pour empêcher cette avancée des néofascistes dans le champ politique. Continuer comme avant ne répondra pas à l’enjeu actuel : faire obstacle à l’accession du RN au pouvoir d’État.
Pour les courants majoritaires du NFP, peut-on dire que les divisions et petites manœuvres vécues lors des européennes sont durablement derrière nous ? Les motivations à l’origine de la constitution du NFP étaient-elles d’abord de faire barrage au RN, comme le souhaitait l’immense majorité des électrices et électeurs populaires des gauches (et comme l’a exprimé la pression qui s’est alors exercée sur les états-majors), ou de sauver le maximum de postes de député.es à l’Assemblée Nationale ? Dans quelle mesure la gauche politique a-t-elle utilisé la menace pour se sauver plus qu’elle n’a pris en compte de la gravité de la situation ? A minima la question se pose, quand on voit y compris au moment des élections l’énergie dépensée pour les purges à LFI, le refus de bien des candidat.e.s de faire des campagnes unitaires, chaque parti faisant la campagne sans chercher à associer les autres, encore moins en constituant des comités de soutien ouverts, voire même en omettant de faire référence au NFP, alors que l’aspiration populaire était celle-là, et plus largement l’absence de toute mention du danger RN dans nombre de professions de foi et de déclarations.
Si la construction de LFI a permis que s’exprime à une échelle de masse une réponse politique en opposition au néolibéralisme et redéfini en partie les rapports de forces au sein de la gauche, le PS sort revigoré des derniers épisodes, avec une renaissance du social-libéralisme qui s’est même intégré au NFP (Hollande-Glucksman), et surtout le nouvel équilibre à gauche n’a pas empêché que la contestation de l’ordre soit principalement captée par les néofascistes.
Les sociaux-libéraux, éclatés entre ceux qui étaient prêts à négocier une place dans un gouvernement et ceux qui pensent que seul le NFP peut leur permettre de se reconstruire en effaçant leur politique au gouvernement durant les 30 dernières années, sont désormais déjà dans la préparation de la présidentielle, chaque groupe cherchant à mettre sur orbite un candidat susceptible d’être au second tour en passant devant LFI.
La stratégie de LFI est centrée sur l’élection présidentielle et la perspective d’un second tour qui opposerait Jean-Luc Mélenchon (JLM) à Marine Le Pen, toutes les attaques sont donc centrées contre Macron. Or ce projet semble extrêmement risqué sans un basculement des rapports de force qui n’est possible que grâce à de puissantes mobilisations populaires. On ne peut rejouer en 2027 la même politique qu’en 2022 et 2017 car la position de JLM s’est dégradée. Or tous les choix politiques de LFI s’articulent autour de la reproduction du même scénario. Et même si la victoire se produisait, il faudrait encore obtenir une majorité absolue à l’Assemblée nationale, de moins en moins probable, majorité qui n’empêcherait pas la résistance acharnée de la bourgeoisie et des institutions impérialistes à toute politique antilibérale.
A l’extrême-gauche, l’existence d’un courant anticapitaliste et unitaire a permis la présence politique d’une réponse socialiste, écosocialiste, mais sans pour autant être en mesure d’influer sur les rapports de forces globaux.
Pour les organisations syndicales, divisées, fragilisées, les défaites accumulées depuis la victoire du mouvement de la jeunesse contre le CPE en 2006, malgré les mobilisations très massives, par exemple en 2010, 2015, 2023, obligent à redéfinir les modalités d’action. Depuis le succès de 1995, les mobilisations ont réussi à retarder, entraver les contre réformes, les attaques contre les salarié.es, limiter la casse, mais n’ont jamais permis de gagner.
Les mobilisations féministes et écologistes ont permis des victoires (NDDL, la vague Mee Too), des avancées dans les combats politiques, dans les batailles idéologiques, mais ne jouent pas aujourd’hui un rôle de structuration du mouvement social a une échelle de masse.
L’immense mobilisation des Gilets Jaunes, du fait à la fois de son caractère largement spontané et du retard pris par le mouvement ouvrier organisé et les courants de l’émancipation à en comprendre l’importance, non seulement n’a pas eu de retombées politiques positives, mais a profité électoralement dans une large mesure au RN, qui s’en était pourtant tenu à distance.
Les mobilisations contre le racisme systémique, les violences policières ont montré la disponibilité d’une partie de la jeunesse, mais également en dehors de structurations significatives.
Sur les causes qui amènent à cette situation, vu du côté des dominé.es
On ressent toujours les effets en profondeur des politiques néolibérales de destruction des concentrations ouvrières, d’imposition d’un chômage de masse, de paupérisation de secteurs importants des classes populaires, d’attaques répétées contre les acquis des luttes du XX° siècle et les organisations qui en sont issues, la destruction des collectifs de travail par les politiques d’individualisation des salarié.es, ce qui fait que les lieux de travail sont de moins en moins structurants pour l’action collective.
L’acceptation par la social-démocratie du cadre néolibéral au moment où disparaissaient les sociétés dites « socialistes » issues des révolutions du XX° siècle après la chute du mur de Berlin, le passage au capitalisme de la Chine, ont fait disparaître à une échelle de masse l’idée qu’il est possible de construire à partir de celles et ceux d’en bas une société de paix, sans exploitation ni oppressions, une société écosocialiste émancipée. Car un nouveau facteur pèse de tout son poids : les crises écologiques, qui bouleversent à la fois les sociétés actuelles et le projet socialiste. Car il ne peut y avoir d’émancipation sans une transformation en profondeur du système productif pour diminuer les productions matérielles.
La conjonction de ces processus brièvement résumés explique cette dérive d’une partie significative des classes populaires. Sans espoir d’un monde meilleur construit toutes et tous ensemble, le refus ou la peur du déclassement, la recherche du bouc émissaire étranger se sont installés. Le vote RN, en particulier dans les classes populaires se nourrit de ces craintes, tout comme, pêle-mêle, du refus voir disparaître un monde où les services publics permettent une vie meilleure, où les travailleurs/euses par leur activité créent le progrès humain, où les paysan.nes dominent la nature, où l’effort permet d’avoir une maison, où les sacrifices des parents offrent un avenir meilleur à leurs enfants, mais aussi où les hommes dominent les femmes, où la France ne se laisse pas diriger par les technocrates européens, où les blancs sont supérieurs aux hommes et femmes de couleur, où « notre pays » domine les colonies à civiliser…. Il s’agit d’un vote contre le déclin, contre la perte de ce qui pouvait apparaître comme une solution pour vivre mieux.
« Dans une période où une société ou un État semble être en déclin irréversible, ses systèmes politique, économique et culturel ne parvenant pas à s’adapter ou à progresser … pour les individus, cela se traduit par un sentiment de désillusion et d’impuissance, car des forces historiques plus importantes rendent les efforts personnels apparemment vains, conduisant à des échecs récurrents dans leurs aspirations à une vie prospère.
[7] »
Pourquoi les militant.es des gauches, quels qu’iels soient, n’ont pas mesuré l’ampleur de la vague électorale néofasciste qui vient de se répandre ? Répondre à cette question, c’est s’interroger sur la nature du lien que nous avons, chacun.e à notre niveau, avec la masse des exploité.es et des opprimée.es.
Pourtant, les alertes étaient nombreuses et multiples. Les enquêtes sur la sociologie des votes montrent une montée régulière des votes des ouvrier.es et des employé.es pour les néofascistes depuis 1988, passé de 17 % à 57 % pour les ouvrier.es, de 14 % à 44 % pour les employé.es. Jusqu’en 2012, les votes cumulés pour les candidat.es des gauches étaient supérieurs à ceux portés vers les néofascistes dans ces deux catégories (employé.es 47/22 % ouvrier.es 42/29 %).
Depuis 2017, les votes pour les néofascistes égalent ou dépassent les votes pour les gauches dans ces deux catégories. Cette année, chez les ouvrier.es, le vote RN est de plus du double du vote NFP (57/21%), et bien supérieur chez les employé.es (44/30%). Le vote pour le NFP ne dépasse le RN que dans les professions intermédiaires (35/31 %) et les cadres (34/21 %), chez les jeunes de moins 24 ans (48/33 %) et les 24-35 ans (38/32 %).
C’est une confirmation du fait que les partis de gauche qui ont des relations centrées sur les échéances électorales et qui établissent des liens dans le cadre du fonctionnement des institutions, (parlement, mairies…) ont un rapport distendu avec la grande masse des milieux populaires. Y compris LFI, la gauche de rupture avec le social-libéralisme, qui a une implication réelle dans nombre de mobilisations, a une dynamique militante réelle, reste centrée sur les échéances et rythmes électoraux, avec une place centrale des élu.es. Chercher à faire le buzz sur les réseaux, à obtenir des voix aux élections ne relève pas de la même logique que travailler à organiser les luttes quotidiennes, les milieux de travail, de vie, de s’efforcer de mériter la confiance au feu de l’action collective.
Et les courants anticapitalistes sont trop faibles pour occuper efficacement cet espace.
Dans les secteurs où elles sont présentes, les organisations syndicales sont, elles, beaucoup plus proches des salarié.es, ce qui explique les réactions, appels au vote et diverses prises de position : leurs animatrices et animateurs ont la connaissance de la pression du vote néofasciste dans les lieux de travail.
Les syndicats se sont mobilisés lors de ces élections de 2024 comme cela ne s’était jamais produit. Le résultat est globalement positif, car le vote pour les candidats du NFP au premier tour des législatives des personnes qui se déclarent proches d’un syndicat est majoritaire
Les évolutions sur les 10 dernières années sont intéressantes et montrent que le travail sur le danger néofasciste peut avoir des effets.
Pour les proches de la CGT, le vote pour le FN/RN (17%) a diminué depuis le premier tour de la présidentielle de 2022
Pour les proches de la CFDT, le vote à gauche n’est plus majoritaire depuis 2002 (à l’exception du soutien large à Hollande en 2012 : 56%), celui pour les macronistes, qui atteignait 48 % en 2017, 44 % en 2022 diminue en restant quand même à 29 %, et celui pour le FN/RN le vote a évolué, 7 % en 2017, 18 % en 2022, pour être encore à 17 % aujourd’hui.
Il faut garder à l’esprit le fait que les organisations syndicales n’ont pas de contact permanent et direct avec l’ensemble des salarié.es : compte tenu de l’éclatement du salariat depuis plus de 30 ans, au moins la moitié des salarié.es travaillent dans des établissements de petite taille tant dans le tertiaire que l’industrie. L’émiettement de toutes les structures de travail, l’individualisation des horaires, le télétravail, l’ubérisation augmentent cette distance.
Pour autant les classes populaires sont dans ce pays actives, à la différence de ce qu’il en est de bien d’autres en Europe. Et ce sur tous les terrains, dans des formes les plus diverses : Gilets Jaunes, jeunes des quartiers populaires en butte aux violences policières et plus récemment dans les mobilisations de solidarité avec la Palestine, mobilisation pour la défense des retraites, manifestations et actions écologistes, mouvements féministes, LGBTI, mouvements paysans … pas une seule couche des exploité.es et des opprimé.es qui ne réagisse en opposition aux politiques néolibérales.
Mais si les néofascistes ne sont pas visibles dans les mobilisations sociales, cela ne les fait pas disparaître du champ politique global. La mobilisation strictement économique, non reliée au combat politique d’ensemble ne suffit pas à produire une politisation émancipatrice : combien de salarié.es contre la réforme des retraites ont voté RN ?
Il faut prendre à bras le corps les questions directement politiques, en étant convaincu.es que la seule diabolisation des néofascistes, si elle permet d’homogénéiser une partie des dominé.es, ne saurait suffire à modifier le rapport de force global. Il est indispensable d’agir sur les ressorts du vote néofasciste populaire, mener une bataille pour le droit à la libre circulation, car l’immigration est un bien pour la société et pas un problème, contre les conceptions de la laïcité répressive et excluante, pour la solidarité internationale, les politiques sociales, les services publics, … et renouer avec ces parties des classes populaires sur la base des besoins, sans concession sur le fond.
Comment les exploitéEs et les oppriméEs peuvent-ils résister à cet air du temps, éviter catastrophe et reconstruire un projet émancipateur collectif, reconstruire une autre hégémonie politique ?
Comment les exploitéEs et les oppriméEs peuvent-ils résister à cet air du temps, éviter catastrophe et reconstruire un projet émancipateur collectif, reconstruire une autre hégémonie politique ?
« Il nous faut construire l’hégémonie à gauche et dans le pays dans un même mouvement. Or l’hégémonie est le contraire de l’exclusion : elle suppose d’agréger des forces politiques et sociales diverses, tout en exerçant sur elles ce que Gramsci appelait une capacité de direction, et en leur imposant nos thèmes. »
[10]
Faire front dans l’unité politique et sociale la plus large
Face au danger, le sursaut électoral défensif qui a permis d’éviter la prise du pouvoir par le RN a réuni, pour assurer la réussite des candidatures du NFP, bien au-delà des seuls partis politiques membres de cette union construire en quelques jours. Tous les milieux militants ont su serrer les rangs, malgré leurs différences, leurs divergences nombreuses et majeures, dans une unité rare, et permettant et accompagnant une mobilisation exceptionnelle des milieux populaires inquiets des conséquences d’une défaite.
S’est ainsi affirmée l’unité du camp de celles et ceux d’en bas comme pôle de résistance, le seul véritable. Le RN au pouvoir délimiterait ce camp, en réprimant tous ses membres sous une forme ou une autre, y compris des courants aussi réformistes, droitiers que le PS et les Écologistes. On serait tou.tes dans le même panier.
Il fallait rejoindre ce mouvement puissant pour la victoire du NFP, essentiel comme digue immédiate. Mais il ne faut pas en rester à cette séquence politique.
La situation qui s’ouvre est une situation politique hautement instable, sans majorité simple au parlement, avec un président et des dirigeants prêts à tout pour garder leurs pouvoirs, une bourgeoisie décidée à continuer à imposer ses vues, y compris avec le RN.
L’unité qui s’est réalisée quasi naturellement lors des élections doit s’ancrer durablement pour faire face aux crises politiques qui vont se succéder.
Pour cela, partons de ce qui a existé quelques semaines. L’enjeu des semaines et des mois qui viennent est de réaliser durablement l’action commune face à l’ennemi commun dans un cadre unitaire le plus large, dans lequel s’organisent à la base, puis au plan national dans des grandes initiatives communes, des comités ayant pour référence le NFP, incluant toutes les formes de résistance au danger néofasciste, les syndicats, les associations, toutes les formes collectives existantes, dans lesquels les partis politiques, tant les organisations en rupture avec le néolibéralisme, le capitalisme que les plus réformistes, ne soient qu’une des composantes, sans imposer leur agenda et leurs besoins. La structuration de l’unité à tous les niveaux impose qu’elle ne soit pas centrée sur le soutien à l’action des parlementaires, mais sur l’application a minima du programme du NFP, et soutienne tout ce qui va dans ce sens, unifiant dans l’action autour des exigences majeures du programme du NFP qui s’opposent à la fois aux politiques néolibérales des macronistes et au projet du RN.
Est-ce que les partis membres du NFP, aussi différents soient-ils, sont prêts à s’impliquer dans une telle perspective ? Ce sont des machines électorales, aucune ne cherche à s’appuyer sur des collectifs militants permanents, démocratiquement organisés, qui cherchent à structurer en permanence des secteurs populaires, qui se donnent pour objectif d’organiser celles et ceux d’en bas à partir de leurs besoins quotidiens, qui brise l’isolement et la désespérance. Il faudra donc que ça change !
Un tel front unique politique et social est essentiel pour changer le rapport des forces global, pour casser tous les processus d’individualisation, pour reconstruire partout des groupes militants qui retissent des réponses collectives au quotidien, dans les lieux de travail et de vie, à une échelle de masse, sans attendre les échéances électorales.
Le NFP a soulevé un certain espoir et une mobilisation importante qu’il ne faut pas décevoir. Si la division ressurgit, une deuxième fois après la Nupes, l’échec serait alors encore plus cinglant et les conséquences électorales à moyen terme seraient d’autant plus lourdes. A nous toutes et tous la responsabilité d’éviter cela.
Diviser le camp d’en face, celui du « tout sauf le NFP »
Le rapport de force global n’est pas en notre faveur, nous devons à la fois tout faire pour renforcer notre camp, et affaiblir autant que possible celui du « tout sauf le NFP ».
Unifier notre camp est le point de départ, mais pour aller plus loin, il nous faut être capables de diviser le camp d’en face, tout faire pour accentuer les divisions entre eux, sans aucune illusion avec des alliances ponctuelles, formalisées ou non, à toutes les occasions, sur tous les terrains.
Que ce soit sur des questions anecdotiques comme la cérémonie d’ouverture des JO, sur des questions dites de société, sur les choix internationaux, toutes les opportunités politiques qui se présentent qui accentuent les divergences au sein du bloc d’en face sont bonnes à prendre.
Reconstruire une perspective émancipatrice
C’est là un travail de longue haleine, à réaliser le dos au mur, mais incontournable si on a pour objectif d’inverser réellement le rapport des forces. La question d’une nouvelle expression politique des exploité.es et des opprimé.es, d’une reconstruction d’un mouvement émancipateur du XXI° siècle a été au cœur des réflexions lors du lancement du NPA. Son échec ne fait pas disparaître le besoin, qui est aujourd’hui plus que jamais essentiel pour celles et ceux d’en bas, de constitution de la « classe pour soi ».
Le projet socialiste nécessite une large refondation, à une époque de « double crise historique : la crise de l’alternative socialiste face à la crise multiforme de la « civilisation » capitaliste
L’objectif que nous devons nous fixer est la construction d’un mouvement, d’un regroupement, d’une alliance, d’un front,… d’un parti ayant un projet émancipateur, porteur d’une une perspective de rupture avec le capitalisme et le productivisme et de construction d’une société émancipée, écosocialiste, et qui met au centre de son activité la réponse aux attentes populaires par la mobilisation, par l’auto-organisation dans les entreprises, les quartiers, les associations, la vie collective sans les soumettre aux rythmes électoraux, tout en comprenant que ces échéances sont importantes dans le rapport des forces.
Un tel outil politique, qui vise à organiser des dizaines, des centaines de milliers d’opprimé.es pour avoir une efficacité, ne peut que naître que d’une maturation au sein de toutes les expériences politiques, sociales, syndicales les plus diverses, et non par l’adhésion à un projet clefs en main, aussi intelligent soit-il. Il doit repenser l’articulation entre toutes les formes d’actions contre le système : dans les élections, les institutions, sur le plan de l’économie, l’organisation collective dans les lieux de travail, les quartiers, la place des coopératives, les actions de solidarité concrète, en d’autres termes interroger la forme et la fonction de tout le répertoire traditionnel, c’est-à-dire par exemple redéfinir et réagencer les fonctions d’un meeting, d’une réunion, d’une manifestation, d’une grève, d’un tract, d’une affiche, d’un site, des actions de désobéissance civile, d’une action directe, pour redonner un sens global à ce qui est trop souvent pratiqué de façon rituelle. L’objectif devrait être la redéfinition multidimensionnelle du sens et de la place des initiatives et campagnes politiques. A chaque initiative en définir le ou les objectifs, et mesurer ce qu’on a gagné ou au moins fait avancer. Penser les actions et les outils pour qu’ils permettent d’expérimenter notre puissance collective, donc de la renforcer, l’auto-organisation jouant un rôle décisif. C’est dans le mouvement aller-retour entre les réflexions et les pratiques que peut naître une alternative politique. L’inventivité des « Soulèvements de la terre » nous indique le chemin.
Pour s’atteler à cette tâche, il faut bien en mesurer les difficultés.
LFI a une place centrale et incontournable comme force de gauche antilibérale. Son existence a permis de combattre les orientations de la gauche social-libérale, l’émergence de député.es issu.es du mouvement social, et la mobilisation d’une partie de la jeunesse. Elle a une audience réelle dans un certain nombre de quartiers populaires, mais sa place relative au sein des gauches a reculé, sans doute en partie en lien avec sa pratique envers le mouvement social.
Au début de l’immense mobilisation de 2023 contre la réforme des retraites, JLM a pensé être en position de diriger le mouvement sans les organisations syndicales, LFI a été à l’initiative d’une manifestation importante mais sans commune mesure avec les capacités de mobilisation de l’intersyndicale. Et lorsque, dirigé par cette dernière, le mouvement a pris toute son ampleur, LFI a bloqué par sa politique d’obstruction au parlement
Plus largement, LFI n’est pas en mesure d’être le creuset de constitution d’une nouvelle expression politique pour deux raisons fondamentales, qui sont intrinsèquement liées.
La première est qu’elle n’a qu’un programme électoral, certes en rupture avec les politiques néolibérales, permettant des avancées sociales importantes, mais sans rompre avec le capitalisme. Or le programme d’un parti est bien autre chose qu’un programme électoral. Dans un pays impérialiste comme la France, on ne peut miser sur le fait que la dynamique de l’affrontement avec le néolibéralisme transformera mécaniquement LFI en outil pour la rupture révolutionnaire, qui ne peut être que consciente et organisée. Car une évolution de LFI par des débats internes est impossible pour l’autre raison.
C’est la relation à la démocratie. LFI est un mouvement gazeux, pas une organisation avec des adhérent.es, des instances, des débats organisés, et pas une structure démocratique dans laquelle existent des débats, des confrontations, des votes, des évolutions. Elle est totalement dirigée par un groupe très restreint autour de JLM qui impose sans aucun débat ses choix. D’où la gestion scandaleuse des violences conjugales d’un des protégés de JLM, Quatennens, d’où les purges des député.es ayant osé exprimer publiquement des désaccords, les départs d’autres, et surtout la violence des échanges, des insultes à ces occasions. Quelle société peut secréter une telle orientation politique ? Rien qui ne ressemble à une société dirigée démocratiquement par toutes et tous
Ajoutons que le mouvement gazeux « ne résistera pas au fascisme qui vient » comme l’écrivent celles et ceux qui veulent une évolution dans la LFI qui proposent : « si on veut le combattre efficacement, et plus généralement créer les conditions de la transformation au sein de l’appareil étatique et de la société toute entière, on ne pourra faire l’économie de la construction d’une organisation digne de ce nom
Lorsque nous avons créé le NPA, nous pensions que la crise de la social-démocratie passée au social-libéralisme libérerait un espace politique pour la construction d’une force radicale à gauche et que les résultats électoraux avaient une force propulsive suffisante pour cela. En réalité, du fait de nos erreurs, des défaites sociales, cet espace a été occupé par LFI, et sans que les sociaux-démocrates ne disparaissent. Mais surtout cela n’a pas été en mesure d’offrir une perspective aux milieux populaires qui refusent le monde que le capitalisme fabrique et qui se sont massivement tournés vers le néofascisme.
Nous sommes donc aujourd’hui dans de toutes autres conditions.
Il faut repartir autrement, en faisant l’hypothèse que le choc d’un gouvernement néofasciste à nos portes soit tel qu’il modifie l’approche du combat politique par les actrices et acteurs politiques, les mouvements sociaux, et oblige les anticapitalistes à revoir de fond en comble leurs pratiques politiques, pour les mettre à la mesure de la situation actuelle.
L’idée principale que nous devons avoir pour avancer est de se convaincre et de convaincre qu’il s’agit pour toutes et tous de se remettre en cause, de partir de l’idée que nous avons toutes et tous dans une certaine mesure échoué et que ce qu’on fait chacun.e dans son coin n’est pas suffisant.
Du côté des anticapitalistes, il nous faut travailler à regrouper sous la forme la plus efficace possible les courants qui refusent les comportements de sectes politiques persuadées d’avoir raison envers et contre tout, que si ça n’a pas marché, c’est que les autres n’ont rien compris. Dès lors que chacun accepte la remise en cause des choix, de la routine d’auto-construction, tout ce qui limite l’isolement dans des cercles plus ou moins restreints (à l’échelle de la société) ne peut qu’être positif, même si des groupes de réflexion spécifiques se maintiennent, l’essentiel étant de ne pas travailler en fraction sur les décisions politiques, mais de les considérer comme des apports à la réflexion collective.
Si toutes et tous nous sommes convaincu.es de l’ampleur de nos responsabilités il y aura alors une possibilité pour que celles et ceux qui ont maintenu une perspective anticapitaliste et révolutionnaire jouent un rôle positif dans le processus beaucoup plus général de reconstruction d’une organisation de la classe.
Celui-ci ne peut également partir que de ce qui existe. Ce n’est pas rien, quand on additionne toutes les pratiques politiques et sociales émancipatrices qui sont à l’œuvre aujourd’hui, il y a là des mines de créativité, d’inventivité, de jeunesse.
Pour arriver à regrouper le maximum de ce qui est le meilleur de la radicalisation sur tous les terrains, il faut briser bien des barrières, arriver à penser que chaque action aussi positive soit-elle, n’acquiert tout son sens que dans une perspective globale, associée à toutes les autres, sans hiérarchie, sans imposition des majorités.
Aujourd’hui le plus à notre portée est probablement la création d’un espace, d’un réseau, d’un camp de la résistance au néofascisme et au néolibéralisme productiviste qui regroupe souplement toutes ses parties, et quand il agit dans des campagnes prolongées, le fait avec des consensus d’action du type de ceux qui existent dans de nombreuses mobilisations écologistes.
En travaillant conjointement sur tous ces terrains, de l’unité d’action la plus large avec les gauches existantes avec toutes leurs limites, au travail de reconstruction d’une forme d’expression de l’action politique et sociale au quotidien autour d’un projet anticapitaliste, antiproductiviste, nous serons utiles pour bloquer le risque néofasciste et enclencher une dynamique émancipatrice à même de réorganiser largement le camp des exploité.es et des opprimé.es, car l’émancipation n’est jamais offerte, elle se conquiert dans l’action commune.
Patrick Le Moal
Rouen le 30 septembre 2024
Remerciements à celles et ceux qui ont lu une première version de ce texte et ont permis par leurs remarques de le faire évoluer.
Notes
[1]https://harris-interactive.fr/opinion_polls/legislatives-2024-sondage-jour-du-vote-1er-tour-le-vote-selon-la-proximite-syndicale/
[2] On estime qu’en 1981, 30 % des ouvriers ont voté Giscard d’Estaing au second tour contre Mitterrand.
[3] Xavier Vigna, « La gauche n’a pas de stratégie nationale pour reconquérir ses territoires perdus », Mediapart, 28 juillet 2024.
[4] L’Humanité ? 19 juillet 2024
[5]Léon Cremieux « Elections au parlement européen : poussée réactionnaire et noyaux de résistance » ? Inprecor juillet août 2024.
[6] Olivier Le Cour Grandmaison « Gauches partisanes : somnambulisme politique et électoral ».
[7] Daniel Bastard ? « La Chine est-elle en train de tomber dans les poubelles de l’histoire ? » ? Courrier International 22 Juillet 2024
[8] https://harris-interactive.fr/opinion_polls/legislatives-2024-sondage-jour-du-vote-1er-tour-le-vote-selon-la-proximite-syndicale/
[9] Jean-Marie Pernot, « Proximités syndicales et vote politique, Le premier tour de l’élection présidentielle » https://syndicollectif.fr/proximites-syndicales-et-vote-politique/
[10] Cédric Durand, Razmig Keucheyan et Stefano Palombarini, « Construire la gauche de rupture« , Contretemps, 22 juillet 2024.
[11] Projet de « Manifeste du marxisme révolutionnaire à l’ère de la destruction écologique et sociale du capitalisme »
[12] Idem.
[13] Voir la déclaration de Philippe Martinez du 19 février 2023 : « le fait de ne pas être allé à l’article 7 pour que chacun puisse afficher sa position, c’est un problème (…). Il fallait mettre les députés, chaque député, devant ses responsabilités (…). Au travers de nombreux incidents – on va dire ça comme ça – on a plus évoqué ces incidents que le fond du problème et ce qui est en débat dans la rue » avec la mobilisation syndicale, a-t-il dit, pointant « des forces politiques [qui] essaient de se substituer aux organisations syndicales et de se mettre en avant par rapport [à] ceux qui défilent dans la rue ».
[14] De ce point de vue, la non signature par LFI du communiqué unitaire sur les élections au Venezuela (comme du PCF) qui soutient “les efforts de médiation des gouvernements latino-américains de gauche entre les forces politiques en dispute pour une solution pacifique, en particulier le Brésil, la Colombie et le Mexique qui ont appelé dans une déclaration commune au respect du « principe fondamental de la souveraineté populaire […] grâce à une vérification impartiale des résultats » et qui appelle à “ la constitution d’un réseau de solidarité internationaliste avec le peuple vénézuélien, pour le soutien de ses aspirations démocratiques et de ses luttes d’émancipation, en rejetant toutes les prétentions et actions impérialistes au Venezuela, d’ou qu’elles viennent” est particulièrement problématique.
[15] Cedric Durand, Razmig Keucheyan et Stefano Palombarini « Construire la gauche de rupture », art. cit