Alors que 2024 est en passe d’être l’année la plus chaude jamais enregistrée et la première à franchir la limite symbolique de + 1,5 °C de réchauffement global, les lobbyistes des énergies fossiles sont venu·es investir en masse la COP29.
À partir de la liste des participant·es à cette conférence onusienne à Bakou (Azerbaïdjan) éditée par le secrétariat de l’Organisation des Nations unies (ONU) Climat, Mediapart a comptabilisé qu’au moins 107 hauts cadres et représentant·es des douze plus grosses multinationales du pétrole, du gaz et du charbon étaient présent·es dans les couloirs des pourparlers.
Se sont ainsi infiltrés au cœur de cette COP29 les géants du pétrole ExxonMobil, Shell, Chevron, BP, Eni ou TotalEnergies, le gazier russe Gazprom ou encore l’énergéticien allemand RWE et le groupe minier anglo-suisse Glencore, deux industriels accros au charbon.
Lors de la COP29 à Bakou, le 11 novembre 2024. © Photo Alexander Nemenov / AFP
Quatre principaux lobbies des groupes industriels fossiles, à savoir l’Ipieca, le World Business Council for Sustainable Development et l’International Emissions Trading Association, ont pour leur part envoyé au moins 89 émissaires.
Un accès privilégié aux négociations
Quant aux géants du pétrole, du gaz et du charbon, ils ont accrédité leurs délégué·es sous le paravent d’ONG telles que l’association BusinessEurope ou la Chambre de commerce internationale.
Gazprom, une des multinationales les plus émettrices du globe, compte pour sa part vingt-sept représentant·es à Bakou, qui ont toutes et tous été estampillé·es membres de la délégation officielle de la Russie. Idem pour la compagnie pétrolière émiratie Abu Dhabi National Oil Company, qui a pu inscrire deux de ses huit porte-voix au sein de la délégation des Émirats arabes unis.
Nombre de ces pollueurs bénéficient aussi d’un accès aux discussions dit « Party Overflow ». Ce badge, comme l’avait expliqué l’an dernier à Mediapart Pascoe Sabido, de Corporate Europe Observatory, « est utilisé par les États pour faire entrer les intérêts privés par la petite porte ». « Cette accréditation donne un accès très privilégié à la COP, et autorise à aller là où les délégations des États vont, notamment dans des espaces de réunions ministérielles où ni la presse ni les ONG ne peuvent aller ».
À titre d’illustration, la Turquie a accrédité « Party Overflow » un cadre de Shell. Idem pour la Grèce et le Kazakhstan, qui ont délivré à deux salariés de Chevron Texaco ce passe donnant un accès direct aux pourparlers. Quant au Brésil, il a donné neuf de ces badges à des représentant·es de son pétrolier national Petrobras.
Enfin, Patrick Pouyanné, PDG de TotalEnergies, ou Murray Auchincloss, à la tête de BP, sont aussi présents dans les couloirs de cette COP29. À rebours des recommandations du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec) ou de l’Agence internationale de l’énergie, TotalEnergies a pourtant annoncé en octobre dernier son intention d’augmenter sa production de pétrole et de gaz d’ici à 2030. Le même mois, BP a abandonné son objectif de réduction de sa production d’énergies fossiles et revu à la baisse sa stratégie de transition vers les renouvelables.
Absente aux dernières COP, le mastodonte saoudien de l’or noir, Saudi Aramco, firme la plus émettrice de la planète, peut compter cette année sur une douzaine d’émissaires pour torpiller le sommet international à Bakou. Son PDG, Amin Nasser, a même été accrédité alors qu’en mars dernier, il avait déclaré que le monde devrait « abandonner le fantasme » de l’élimination progressive des énergies fossiles.
De nouveaux contrats signés
Le 31 octobre dernier, l’ONG Transparency International et le collectif Anti-Corruption Data Collective ont publié un rapport qui souligne comment la COP29 de Bakou risquait d’être « minée » par l’influence délétère du secteur des énergies fossiles, menaçant ainsi « l’action multilatérale en matière de climat ».
Le rapport pointe également que « la compagnie pétrolière nationale d’Azerbaïdjan, Socar, est étroitement liée aux préparatifs de la COP29 » et rappelle que le président de cette conférence, Mukhtar Babayev, actuel ministre azerbaïdjanais de l’écologie et des ressources naturelles, a été un cadre supérieur du groupe fossile entre 1994 et 2018.
Mediapart a comptabilisé qu’au moins soixante-deux représentant·es de la Socar avaient été accrédité·es pour le sommet onusien à Bakou. Fin 2023, durant la COP28, l’entreprise pétrolière azerbaïdjanaise avait envoyé à Dubaï dix-neuf délégué·es – soit trois fois moins que cette année.
Par ailleurs, signe que la COP29 pourrait être, comme durant la COP de Dubaï, un espace de négociations de nouveaux contrats pétrograziers, BP compte parmi ses dix émissaires Bakhtiyar Aslanbayli, son vice-président pour la région caspienne, ainsi que Gary Jones, président régional de BP pour la zone Azerbaïdjan-Géorgie-Turquie. De son côté, Gazprom a inscrit au sein de sa délégation Maksut Anderzhanov et Rashid Abbasov, deux représentants du bureau de la multinationale gazière à Bakou.
L’an dernier, à la COP28 de Dubaï, au moins 2 456 lobbyistes du fossile avaient été accrédité·es pour participer au sommet diplomatique. Les pressions exercées par ces derniers comme par les pays pétroliers avaient amené les États à accoucher d’un timide « appel » final à « une transition hors des énergies fossiles ». Un signal politique bien faible, notre planète étant sur la voie d’un réchauffement de + 3,1 °C d’ici la fin du siècle, et que les négociateurs à Bakou devront s’atteler à rehausser pour espérer maintenir en vie l’accord de Paris sur le climat.
Mickaël Correia