Professeur d’allemand ; militant du PSU puis de la LCR à Rouen et à Louviers, puis militant de la fédération de l’Eure du NPA.
Pierre Vandevoorde, né en 1951, est issu d’une famille ancrée dans l’histoire de la ville de Louviers (Eure). Ses aïeux, partis de rien, devenus industriels du textile, étaient mal intégrés dans les milieux patronaux de la cité manufacturière. Son père, avait refusé de faire des études d’ingénieur pour prendre la succession et était devenu professeur d’allemand au lycée. Il s’était engagé à la suite de Pierre Mendès France, maire de la ville, au PSA puis au PSU. Catholique pratiquant, il fut aussi secrétaire de l’union locale de la CFTC puis de la CFDT. Alors qu’en cette terre radicale, la fréquentation de l’église était encore une ligne de partage entre la gauche et la droite, les milieux cléricaux le considéraient avec presque autant de méfiance et d’incompréhension que les laïques.
Aîné de trois enfants, il fut élevé par sa mère « au foyer ». Croyant et pratiquant comme ses parents, c’est par le scoutisme qu’il fut socialisé, et ce sont ses aînés de l’équipe départementale d’animation, enthousiasmés par la campagne présidentielle de Rocard en 1969, qui l’amenèrent au PSU. À la section de Louviers, il se lia avec Élisabeth Boutelet et Gérard Martin, membres influents du dynamique Comité d’Action de Gauche (CAG) qui venait d’être créé. Celui-ci regroupait, dans « l’esprit de mai », celles et ceux qui se réclamaient du bilan de la liste d’union de la gauche élue en 1965, et de son maire libertaire, le docteur Ernest Martin, mais qui avait échoué à sa reconduction aux élections de 1969, en raison de l’opposition interne conduite par le PCF. Plus tard, en 1977, Élisabeth Boutelet et Gérard Martin devinrent l’un et l’autre maires-adjoints de la municipalité autogestionnaire CAG-PSU.
À son arrivée à la fac de Rouen en 1969, Pierre Vandevoorde adhéra à l’Unef et rejoignit le groupe des Étudiants socialistes unifiés (ESU). Peu de temps après, il fut « pris en liaison » par un militant de Lutte ouvrière : formation hebdomadaire, vente du journal dans une banlieue éloignée de la cité universitaire... Il acquit ainsi la connaissance des méthodes d’organisation de LO, dont il s’inspira beaucoup par la suite. Gagné à la « tendance marxiste-révolutionnaire » du PSU, il fut de ceux qui annoncèrent leur départ pour la Ligue communiste (LC) en juin 1972. Cependant, à cause de son refus de renoncer à sa pratique religieuse, il ne franchit pas le pas. L’année suivante, en 1973, lors du grand mouvement des lycéen.nes et étudiant.es contre l’application de la loi Debré sur les sursis militaires, il fut membre du comité central de grève de l’université. À Louviers, dans le comité de soutien à la grève des ouvrières de l’usine Pleyel, il fit la rencontre d’un militant de la LC, chaleureux et implanté, professeur au collège technique et secrétaire de son syndicat CGT, William Salhen, ce qui contribua à modifier sa perception de la Ligue, tandis qu’il perdait la foi.
Après avoir obtenu le concours d’élève-professeur (IPES) et assuré ainsi son indépendance financière, il s’inscrivit à l’université de Fribourg-en-Brisgau (RFA) pour le semestre d’hiver. Il se rapprocha de la poignée de militant.e.s du Gruppe Internationale Marxiste (GIM), la section allemande de la IVe internationale, qui le convainquirent de les rejoindre. De retour à Rouen en février 1974, il participa à la création de la cellule de Louviers, où il se rendait deux ou trois fois par semaine. Lorsqu’un jeune ouvrier portugais de l’usine Wonder, Manuel de Jesus, se rapprocha de la LCR, il se rendit vraiment compte des problèmes rencontrés par un militant dans une entreprise. L‘intervention en milieu ouvrier demeura par la suite un élément essentiel de son activité. Il apprit beaucoup de la riche expérience de Gilbert Hernot, un ancien membre du bureau de l’UD CGT de l’Eure, exclu du PCF (et de la CGT) en 1969, et plus encore de celle de Jack Houdet, militant trotskyste et syndicaliste CGT au LRBA de Vernon depuis 1956.
Reçu au CAPES d’allemand en juin 1977 et partit en août faire son service militaire au 58°RCT à Compiègne, où il créa un comité de soldats qui reçut le soutien de la FEN, de la CFDT et de la CGT. La Ligue lui avait donné pour référent un militant ancien « pied-rouge » en Algérie, rompu au travail clandestin, emprisonné et torturé après la prise de pouvoir de Boumedienne, sauvé par une campagne de solidarité internationale : Albert Roux. Devenu père d’un fils, Matthieu, il s’investit avec sa compagne, infirmière, dans la « Maison des enfants » que la LCR de Rouen avait mise sur pied pour leur prise en charge collective, du mardi soir au mercredi soir et le samedi après-midi.
Il reprit ses activités militantes à Louviers. À l’annonce du parachutage du radical de gauche, François Loncle, comme candidat de l’Union de la gauche soutenu par les dirigeants du CAG à l’élection législative de mars 1978, il oeuvra à rebours de l’orientation nationale de la LCR, à la constitution d’une opposition autour d’une candidature « autogestionnaire » qui fut soutenue par la LCR locale, le PSU et une minorité du CAG. Cette candidature ne recueillit que 1,33 % des voix, mais la campagne fut dynamique, attractive. Elle posa les bases du succès de divers regroupements locaux ultérieurs, jusqu’à la création de « À Gauche Vraiment ! » en 1992. Ce regroupement d’une quinzaine de personnes aux parcours divers), était un cadre d’unité permanente avec la LCR, qui se maintint jusqu’à la création du NPA seize ans plus tard.
Il s’installa à Louviers avec sa compagne, qui fut embauchée comme infirmière chez Wonder, mais leurs attentes étaient trop différentes et conduisirent à une séparation du couple avec garde alternée. La LCR gagnait en influence en milieu ouvrier, attirant au « groupe Taupe » des militant.e.s CFDT et CGT, parmi lesquels Antonio de Abreu et Gérard Prévost, les liens politiques se doublant de liens d’amitié. Il soutint par la suite le « tournant vers l’industrie », dont la traduction locale fut le départ de Gérard Drumont pour Roubaix et l’embauche de Gérard Prévost à Renault Cléon. Il était pour que la LCR mette le cap sur la construction d’un petit parti d’action révolutionnaire implanté dans les entreprises et dans la jeunesse. En1993, il fut ( avec Antonio de Abreu et Olivier Besancenot) l’un des 19 signataires de l’appel à créer la tendance « Révolution », qui se dissout en 1999, lorsque la LCR, en union avec LO, obtint deux député.e.s à l’élection européenne.
Investi dans une pédagogie active, il militait aussi syndicalement au SNES au collège du Hamelet à Louviers avant d’adhérer à la CGT éduc’action en 1994, désireux de rejoindre une structure interprofessionnelle. Il fut également secrétaire de l’importante association du quartier du Clos Morlet qui s’opposait frontalement à la municipalité, en particulier sur la surimposition de ces maisons. Membre du bureau de SOS Racisme, il eut constamment la préoccupation de gagner des jeunes aux idées révolutionnaires et de leur donner la possibilité d’agir sans le contrôle préalable des aîné.e.s, mais en lien avec eux, bénéficiant ainsi de l’expérience et de l’implantation des adultes. Parmi eux le regretté Erim Can, et Olivier Besancenot, qui fit sa première prise de parole au mégaphone pour lancer une grève dès son arrivée en seconde. Ils animèrent ensemble un très actif comité lycéen contre la guerre du Golfe.
À partir de mars 1989, il tint dans Rouge, journal de la LCR, la première rubrique hebdomadaire d’écologie sociale, intitulée « Apocalypse non ! », sous le pseudonyme de Pierre Bergerac. Il arrêta au bout de quinze mois sans trouver alors de relève.
À la chute du mur de Berlin, la LCR l’envoya à plusieurs reprises en Allemagne, à Berlin et à Dresde, pour établir des contacts avec la gauche anti-stalinienne. Il continua, par la rédaction et la traduction d’articles, en participant à des initiatives militantes, à assurer la liaison avec la IVe Internationale en Allemagne. Confronté aux conséquences de la tension que son activisme faisait subir à sa nouvelle compagne, à son fils et à sa fille Julie (née en 1985), il entama une thérapie qui lui fit découvrir les travaux d’Alice Miller sur les répercussions des mauvais traitements subis dans l’enfance sur le comportement de l’adulte. De 2005 à la mort de cette dernière en 2010, il réalisa pour elle une série de traductions. Dans « Rouge », il écrivit régulièrement sur la question des violences faites aux enfants, argumentant sur la nécessité d’un cadre juridique.
Son activité principale n’en restait pas moins le « travail ouvrier ». La LCR publiait toutes les trois semaines un bulletin diffusé aux piles Wonder/Ralston, à l’usine de disques et CD Philips/Polygram/Cinram, aux amortisseurs De Carbon, à l’usine de caoutchouc Mesnel/Metzeler/Sealynx à Charleval, à l’usine de pâte à papier et papeterie Modo Paper/M-real, chez Pasteur/Sanofi, pour ne citer que les plus importantes. Seul l’éditorial était commun. De la conception à la distribution, cela représentait un investissement considérable. Compte non tenu des heures consacrées à échanger, en réunion mais aussi lors de rencontres individuelles, avec les militant.e.s et sympathisant.e.s sur le terrain, parfois illuminées par de précieux moments de solidarité et de fraternité.Toutes ces entreprises connurent des luttes importantes. Chez Ralston, De Carbon, M-real, il s’est agi de combats à répétition contre des plans de licenciement, puis contre la menace de fermeture, qui furent particulièrement dynamiques et offensifs. Si ces luttes n’obtinrent jamais « l’interdiction des licenciements », elles permirent à chaque fois d’obtenir des reconversions et d’importantes compensations.
Tandis qu’à Louviers l’entrée de Gérard Prévost au conseil municipal avec 11% des voix témoignait de la solidité de l’implantation locale, Pierre Vandevoorde fut chargé par la direction de la fédération de l’Eure de remettre sur pied une intervention à Vernon. Il y fut candidat à l’élection législative qui suivit la percée d’Olivier Besancenot à la présidentielle de 2002, et lança un bulletin d’entreprise à la Snecma ; la campagne pour le « non » au TCE permit d’élargir les contacts, en particulier dans les milieux syndicalistes, ce qui put se mesurer à la création du NPA.
De 2013 à 2015, il prit également en charge, à la demande de la « Commission nationale pour l’intervention sur les lieux de travail » (CILT) du NPA, l’intervention à l’usine PSA de Poissy (Yvelines) autour d’un bulletin mensuel.
En 2017, après avoir une fois de plus contribué avec efficacité à la difficile collecte des parrainages pour le candidat du NPA, Philippe Poutou, à l’élection présidentielle, la section Seine-Eure du NPA décida de se lancer dans une campagne législative avec La France Insoumise autour d’un candidat PCF, Arnaud Levitre (14,3% des exprimés au 1er tour). Pierre Vandevoorde soutint ardemment l’idée qu’il était indispensable de promouvoir des candidatures unitaires de la gauche de lutte pour tenter d’empêcher Emmanuel Macron d’avoir une majorité absolue, affrontant la critique violente des courants sectaires du NPA mais sans convaincre la majorité. Si c’est bien après cette séquence qu’il cessa son activité politique, la cause profonde était à chercher dans l’épuisement de son énergie militante. Depuis lors, c’est en commentateur retiré de l’activité qu’il observe le mouvement du monde, sa contribution militante se cantonnant à de nombreux travaux de traduction pour le site « Europe solidaire sans frontières » et pour Inprecor, revue de la IVe Internationale.
Jean-Paul Salles
Sources :
– Pierre Bergerac, Rouge n°1344, 9 mars 1989 dernière page « La planète ou le profit » sous un dessin de Plantu.
– Pierre Vandevoorde, « Pour une histoire des trotskystes dans l’Eure. Les débuts de la Ligue à Louviers (1969-1978) », Europe solidaire sans frontière.
http://www.europe-solidaire.org/spip.php?article39972
– Pierre Bergerac, « Sept mois de mobilisation contre les licenciements chez Ralston », Convergences révolutionnaires, N°1, janvier 1999.
https://www.convergencesrevolutionnaires.org/Sept-mois-de-mobilisation-contre-les-licenciements-chez-Ralston ;
– Pierre Vandevoorde “M-real : de la lutte au redémarrage du site » in « Tout est à nous ! », revue mensuelle du NPA n° 42, avril 2013.
https://lanticapitaliste.org/opinions/entreprises/m-real-de-la-lutte-au-redemarrage-du-site
– Pierre Vandevoorde, « Il n’y a pas de bonne fessée », in Rouge n° 2242, 06-03-2008.
https://www.europe-solidaire.org/spip.php?article9374
– Hélène Adam, François Coustal, « C’était la Ligue », Syllepse et Arcane 17, 2019
– Christophe Wargny, « Louviers : sur la route de l’autogestion ? », éditions Syros 1976.
– NPA 27 « Pour un bilan du CAG et de la municipalité autogestionnaire ».
http://bulletindestravailleurs.over-blog.com/article-pour-un-bilan-du-cag-et-de-la-municipalite-autogestionnaire-de-louviers-122437223.html
– Adrien Carré, « L’extrême gauche et la transmission d’un héritage politique à Louviers », mémoire de Master Science politique, Université de Lille 2, ca 2012, 120 pages
– Olivier Besancenot, « Tout est à nous ! », Denoël, 2002, p.18
– Éric Hacquemand, « Olivier Besancenot, l’irrésistible ascension de l’enfant de la gauche extrême », éditions du Rocher, 2008,
– Hugo Melchior, « Des trotskystes à l’usine : le tournant vers l’industrie de la LCR par ceux qui l’ont vécu », Revue d’histoire moderne et contemporaine 69-4, octobre-décembre 2022.
– Alice Miller « Ta vie sauvée enfin » et « Chemins de vie », traduction de Pierre Vandevoorde, Flammarion, 2008.