ISLAMABAD CORRESPONDANTE EN ASIE DU SUD
Lseptembre, de l’ancien premier ministre Nawaz Sharif, quelques heures après son atterrissage à l’aéroport d’Islamabad à bord d’un avion en provenance de Londres. Le refoulement manu militari de M. Sharif vers l’Arabie saoudite, contraire à un jugement de la Cour suprême pakistanaise qui l’autorisait à rentrer d’exil, est une indication de la détermination du président, le général Pervez Musharraf, de ne voir personne entraver sa réélection pour cinq ans au poste de chef de l’Etat lors d’un scrutin présidentiel qui sera suivi d’élections législatives.
Le général Musharraf répète à l’envi qu’il ne laissera pas les deux ex-premier ministre Nawaz Sharif et Benazir Bhutto, chefs des deux plus grands partis du pays, rentrer au Pakistan avant ce scrutin qui doit avoir lieu au plus tard début 2008.
Critiquée, mardi, par l’ensemble de la presse pakistanaise, l’expulsion de M. Sharif, devenu le symbole politique de l’opposition au pouvoir de l’armée, risque de radicaliser encore plus un pays déjà dangereusement divisé entre les fidèles du président Musharraf et tous ceux qui rejettent la participation de l’armée à la vie politique.
« IMMIXTION » SAOUDIENNE
Galvanisés par la défaite du général face au président de la Cour suprême, Mohammad Iftikhar Chaudhry, qu’il avait tenté en vain d’écarter, ceux-ci pourraient de nouveau se manifester face à ce qui apparaît comme une violation d’une décision de justice. La Cour suprême avait rappelé, le 22 août, le droit inaliénable de Nawaz Shawaz et de son frère Shabaz, ancien gouverneur de la province du Pendjab, de revenir au Pakistan et d’y demeurer.
En première ligne dans le soutien à M. Chaudhry, les avocats pakistanais semblent une nouvelle fois prendre la tête de la résistance. « Renvoyer un ancien premier ministre est une tentative flagrante de ridiculiser une décision de la Cour suprême », a affirmé, lundi, Munir A. Malik, président de l’association des avocats de la Cour suprême.
La plus haute juridiction du pays devrait sans aucun doute demander des comptes au gouvernement. Le parti de M. Sharif, la Ligue musulmane du Pakistan (Nawaz) (PML-N), a déjà déposé un recours contre la déportation de son chef devant la Cour suprême et aussi dénoncé « l’immixtion » des Saoudiens dans les affaires intérieures du Pakistan. Des émissaires de Riyad avaient exhorté M. Sharif à respecter un accord datant de 2000 aux termes duquel ce dernier s’était engagé à demeurer dix ans en exil en Arabie saoudite.
Le rôle des Saoudiens est d’autant plus mal perçu que tous les analystes y voient la main de Washington. Contrairement à l’Union européenne, qui a critiqué l’expulsion de l’ex-premier ministre, les Etats-Unis ont réagi très modérément. Celle-ci « est contraire à l’arrêt de la Cour suprême mais (...) il s’agit toujours d’une affaire juridique en suspens et nous voudrions que toutes les parties agissent en fonction de la loi », s’est contenté d’affirmer Sean McCormack, un porte-parole du département d’Etat.
Cité par le New York Times, un membre de l’administration Bush, s’exprimant sous couvert d’anonymat, a estimé que cette expulsion « n’était pas nécessairement la pire chose qui pouvait arriver ». Les Etats-Unis, qui estiment le général Musharraf indispensable dans la guerre antiterroriste, poussent à un accord de partage du pouvoir entre celui-ci et Benazir Bhutto, elle aussi ex-premier ministre.
L’expulsion de Nawaz Sharif peut, dans un sens, faciliter la conclusion d’un tel accord, mais elle rend aussi les choses plus difficiles pour Mme Bhutto. Celle-ci doit annoncer, vendredi 14 septembre, la date de son retour au Pakistan. Elle n’a pas encore réagi à l’expulsion de son rival mais, dans l’atmosphère qui règne aujourd’hui dans le pays, tout accord avec le régime militaire sera de plus en plus mal perçu.
Le président Musharraf, assuré du soutien qu’il reçoit de l’étranger, ne va sûrement pas lui faciliter la tâche, au moins avant les élections législatives. « Après ce qui s’est passé avec l’expulsion de Nawaz Sharif, qui pourra jamais croire à des élections libres et honnêtes ? », s’interrogeait, lundi, un analyste. Plus que des partis politiques divisés, la menace pour M. Musharraf vient de la réponse qu’apportera la Cour suprême aux nombreuses requêtes contestant son droit à se représenter et à poursuivre une carrière politique.
* Article paru dans le Monde, édition du 12.09.07.
LE MONDE | 11.09.07 | 15h13 • Mis à jour le 11.09.07 | 15h13.
Nawaz Sharif a été refoulé à son retour au Pakistan
LE MONDE | 10.09.07 | 10h19 • Mis à jour le 10.09.07 | 16h10
Islamabad, correspondante
Après sept ans d’exil forcé, Nawaz Sharif, le premier ministre renversé en 1999 par le président général Pervez Musharraf, a été expulsé, lundi 10 septembre, quatre heures seulement après son retour au Pakistan.
L’ex-premier ministre, qui avait choisi la compagnie nationale Pakistan International Airlines (PIA) pour son voyage de retour, avait atterri à Islamabad lundi en début de matinée, accompagné de quelques fidèles. Après plusieurs heures de négociations, il avait quitté l’aéroport dans une voiture de la police pour une destination inconnue.
Selon plusieurs sources, les autorités auraient donné le choix à l’ex-premier ministre entre l’exil volontaire ou l’arrestation. Après avoir annoncé son arrestation pour « corruption », les autorités sont revenues à leur première intention de déporter l’ancien premier ministre. Un avion transportant M.Sharif a quitté Islamabad, en fin de matinée, en direction de l’Arabie saoudite, où les autorités pakistanaises le renvoient en exil, ont indiqué des responsables des forces de sécurité.
Signe de la menace que faisait peser son retour sur l’avenir politique du président, le gouvernement avait tout fait pour empêcher un accueil triomphal de M. Sharif et aucun de ses partisans n’avait pu accéder à l’aéroport.
Après avoir, ces derniers jours, arrêté des centaines de militants du parti de M. Sharif, la Ligue musulmane du Pakistan – PML (N) –, la police avait interpellé tous les principaux dirigeants des partis d’opposition. Les autorités avaient d’autre part coupé les routes d’accès vers Islamabad. Le pont d’Attock, sur la route entre Peshawar et Islamabad, était entravé par des conteneurs et des incidents ont opposé dans la matinée des manifestants qui voulaient aller accueillir M. Sharif aux forces de police, qui ont fait usage de gaz lacrymogènes. Des coups de feu ont aussi été entendus, selon des habitants.
LA COUR SUPRÊME SAISIE
Des barrages policiers étaient aussi en place sur toutes les routes venant de Lahore, fief de l’ex-premier ministre. L’aéroport international d’Islamabad était inaccessible depuis minuit dans un diamètre de cinq kilomètres.
De très importantes forces paramilitaires et de police en gardaient tous les accès et seuls les passagers munis de billets pouvaient accéder au terminal après une marche d’environ 500 m. Les téléphones portables étaient brouillés dans tout le secteur de l’aéroport. Les écoles ont été fermées à Islamabad et dans la ville jumelle de Rawalpindi.
Dans la crainte du sort de leur chef, des membres de la PML (N) ont saisi lundi la Cour suprême qui, le 22 août, avait souligné « le droit inaliénable » de Nawaz Sharif de rentrer au pays et avait exhorté le gouvernement à ne pas entraver son retour afin que l’ex-premier ministre soit très vite présenté devant un tribunal. Peu auparavant, la rumeur d’une déportation de M. Sharif vers l’Arabie saoudite avait circulé. Le rôle de Riyad dans cette affaire a choqué nombre de Pakistanais, indignés par l’« ingérence » qu’il représente.
Dans une conférence de presse tenue à la présidence pakistanaise, le chef des services de renseignements saoudiens, le prince Muqrin ben Abdul Aziz, accompagné de Saad Hariri, fils de l’ex-premier ministre libanais assassiné, avaient affirmé samedi : « Nawaz Sharif doit honorer ses engagements. »
Dans une référence à l’accord qui avait permis, en 2000, à M. Sharif, condamné à la prison à vie, d’échapper à la détention contre un exil en Arabie saoudite, Saad Hariri avait souligné : « Un tel accord visait à faciliter et assurer la stabilité du Pakistan. »
Le gouvernement affirme que M. Sharif s’était engagé à dix ans d’exil alors que celui-ci prétend avoir reçu des assurances que son absence forcée du Pakistan ne dépasserait pas cinq ans. La marge du gouvernement est désormais étroite. Tout dépendra sans doute des réactions de la rue comme d’une éventuelle intervention de la Cour suprême.
« Une affaire intérieure », estime la Maison Blanche
Gordon Johndroe, un porte-parole de la Maison Blanche, a estimé que l’expulsion de Nawaz Sharif est « une affaire intérieure que les Pakistanais doivent régler eux-mêmes ». Il a en revanche refusé de s’exprimer sur le fait que le gouvernement de Pervez Musharraf n’a pas suivi un arrêt de la Cour suprême pakistanaise autorisant le retour de M. Sharif. Concernant l’incidence qu’aurait le nouvel exil de Nawaz Sharif sur l’issue du processus électoral, Gordon Johndroe a dit que les Etats-Unis poursuivraient « leurs discussions avec différentes parties pakistanaises », pour que ces élections soient « libres et justes ». – (Avec AFP.)
Au Pakistan, le retour annoncé de Nawaz Sharif inquiète le pouvoir
LE MONDE | 08.09.07 | 13h47 • Mis à jour le 09.09.07 | 15h26
ISLAMABAD CORRESPONDANTE
A quarante-huit heures de son retour annoncé, les portraits de l’ex-premier ministre Nawaz Sharif, renversé en octobre 1999 par l’actuel président et chef de l’armée, le général Pervez Musharraf, ont fleuri à Islamabad.
Le gouvernement tente encore d’empêcher un retour qui menace les projets de réélection du général Musharraf par les assemblées sortantes alors que des élections législatives sont prévues à la fin de l’année. Saad Hariri, fils du premier ministre libanais assassiné Rafik Hariri, qui avait joué un rôle déterminant dans l’accord qui avait permis, en 2000, à Nawaz Sharif et sa famille de quitter le Pakistan contre une promesse de dix ans d’exil en Arabie saoudite, est arrivé, samedi 8 septembre, à Islamabad. D’après le ministère de l’information, il a délivré « un message spécial » au président Musharraf. Toutefois, selon la presse pakistanaise, M. Sharif et son frère Shabaz, ex-ministre en chef de la province du Pendjab, qui ont rencontré à Londres Saad Hariri, lui auraient dit que leur décision de rentrer était irrévocable.
Les accusateurs de Nawaz et Shabaz Sharif se sont aussi réveillés. Vendredi, une cour antiterroriste de Lahore, capitale de la province du Pendjab, a lancé un mandat d’arrêt contre Shabaz Sharif, dont le retour est également prévu lundi. Celui-ci est accusé d’avoir ordonné, en 1998, à la police l’assassinat de cinq hommes au cours d’un échange de coups de feu. D’autre part, une cour anticorruption de Rawalpindi a de nouveau, vendredi, entendu un procureur du National Accountability Bureau (organisme gouvernemental qui traite des cas de corruptions) à propos de défaut de remboursements de prêts bancaires de la famille Sharif. Les faits remontent à 2000 et 2001, et les auditions ont été reportées pendant des années, avant qu’à la fin du mois d’août le gouvernement ne saisisse de nouveau la justice. Le cas a été ajourné au 13 septembre.
Enfin, les autorités procèdent depuis quelques jours à des arrestations massives des fidèles de l’ex-premier ministre, en particulier dans son fief du Pendjab. Selon Ahsan Iqbal, porte-parole du parti présidé par Nawaz Sharif, plus de 1 300 militants ont été interpellés en trois jours au Pendjab. La police de Lahore chiffre à 350 le nombre des arrestations.
« Les actions du gouvernement montrent une panique complète chez les officiels », affirme M. Iqbal. Les autorités, qui tentent de prévenir tout rassemblement à l’aéroport d’Islamabad, où l’avion de Nawaz Sharif et son frère doit se poser lundi, envisagent de bloquer les voies d’accès à la capitale. Pour l’instant, le gouvernement laisse entendre que les frères Sharif seront arrêtés dès leur arrivée.
Le retour de Nawaz Sharif, dont la popularité a grandi proportionnellement à son opposition à toute entente avec le régime de M. Musharraf, est un coup sévère pour ce dernier et met aussi dans l’embarras l’ex-premier ministre Benazir Bhutto, qui tente de conclure un accord avec le général Musharraf pour rentrer elle aussi et briguer de nouveau le poste de premier ministre. La présence de Nawaz Sharif au Pakistan, où il entend mener une campagne d’envergure, avec le soutien des partis religieux et de petits partis régionaux, contre le régime militaire et pour le rétablissement de la démocratie, serait une menace pour les espoirs électoraux des partisans du Parti du Peuple pakistanais (PPP) de Mme Bhutto et ceux du général Musharraf.
Article paru dans le Monde, édition du 09.09.07.