
Ce numéro spécial du journal satirique français Charlie Hebdo a été mis en vente le 6 janvier 2025, à Paris, pour commémorer le dixième anniversaire de l’attaque contre ses bureaux.
« Increvable ! »
L’édition spéciale du journal satirique français Charlie Hebdo, à l’occasion du dixième anniversaire de l’attaque contre ses locaux, en vente dans un kiosque à Paris le 6 janvier 2025.
« Increvable ! » proclame la couverture du controversé magazine satirique français Charlie Hebdo, marquant le dixième anniversaire de l’attaque terroriste meurtrière contre ses bureaux et ses journalistes.
L’attaque avait choqué toute la nation et conduit des millions de personnes à manifester dans les rues pour exprimer leur solidarité avec les victimes et leur soutien à la liberté d’expression.
Le 7 janvier 2015, des militants islamistes ont tué 11 personnes dans les bureaux parisiens de Charlie Hebdo, avant de tuer un policier à proximité. Le rédacteur en chef du magazine, Stéphane Charbonnier, alias Charb, faisait partie des cinq dessinateurs tués. Les victimes comprenaient trois autres journalistes, deux policiers, un agent d’entretien et un visiteur.
Le hashtag #JeSuisCharlie s’est rapidement répandu dans le monde entier, avec des messages rendant hommage aux victimes sur les réseaux sociaux.
Stéphane Charbonnier, connu sous le nom de Charb, rédacteur en chef de Charlie Hebdo, pose devant plusieurs couvertures du magazine le 27 décembre 2012. Crédit photo,Getty Images
L’attaque contre Charlie Hebdo a marqué le début d’une vague de complots islamistes militants à travers la France, qui a fait des centaines de victimes en 2015.
À l’occasion du dixième anniversaire des meurtres, Charlie Hebdo a publié une édition spéciale, avec une couverture présentant un dessin destiné à célébrer le défi du magazine face à l’adversité. À l’intérieur, on retrouve le résultat d’un concours typiquement provocateur lancé en novembre, invitant les gens à dessiner les représentations « les plus drôles et les plus vicieuses » de Dieu.
Comment l’attaque contre Charlie Hebdo s’est-elle déroulée ?
Le 7 janvier 2015, à 11h30, deux tireurs islamistes français, les frères Chérif et Saïd Kouachi, ont fait irruption dans les bureaux parisiens de Charlie Hebdo, où se tenait une réunion éditoriale hebdomadaire.
Des témoins ont déclaré avoir entendu les tireurs crier : « Nous avons vengé le prophète Mohamed » et « Dieu est grand » en arabe. Crédit photo,Getty Images
Les hommes ont tué le gardien de l’immeuble et un garde du corps de la police avant de demander à comparer les noms du rédacteur en chef Stéphane Charbonnier, dit Charb, ainsi que de quatre autres caricaturistes.
Les hommes armés les ont tués, ainsi que trois autres membres de la rédaction et un assistant invité à la réunion. Ils ont ensuite abattu une policière sur un trottoir voisin.
Des témoins ont rapporté avoir entendu les hommes armés crier « Nous avons vengé le prophète Mohamed » et « Dieu est grand » en arabe, tout en invoquant les noms des journalistes.
Légende image,Saïd Kouachi (à gauche) et Chérif Kouachi (à droite) ont été tués par les forces de sécurité après trois jours de chasse à l’homme. Crédit photo,Getty Images.
Les assaillants ont affirmé que l’attaque était une vengeance contre la décision du magazine de publier des caricatures satiriques du prophète Mohamed, la figure la plus vénérée de l’Islam.
Ils se sont identifiés comme membres du groupe terroriste Al-Qaïda dans la péninsule arabique. Al-Qaïda a revendiqué la responsabilité de l’attaque. Les forces de sécurité ont tué les deux tireurs le 9 janvier 2015 après trois jours de chasse à l’homme.
Au moins 11 personnes ont été blessées lors de l’attaque contre les locaux de Charlie Hebdo à Paris. Crédit photo,Getty Images
Lors d’une attaque similaire le même jour, le militant islamiste Amedy Coulibaly a tué trois clients et un employé lors d’une prise d’otages dans un supermarché juif à Paris.
Auparavant, il avait abattu une policière dans la ville.
Les forces de sécurité ont finalement pris d’assaut le supermarché, avant de le tuer et de libérer les otages restants.
Pourquoi Charlie Hebdo a-t-il été pris pour cible ?
L’hebdomadaire satirique a suscité la controverse depuis sa création en 1970 et était bien connu pour critiquer toutes les religions et l’establishment français.
Il a régulièrement testé les limites des lois françaises sur les discours de haine, qui autorisent le blasphème et la moquerie des religions.
En 2006, il reproduit les caricatures controversées du prophète Mohamed publiées par le journal danois Jyllands-Posten, en solidarité avec ce dernier. Ces caricatures avaient déjà déclenché des protestations à travers le monde et des émeutes dans certains pays musulmans.

Les dessins animés de Charlie Hebdo se moquent de toutes les religions – cette couverture montre une parodie du film Intouchables, où un imam en fauteuil roulant est poussé par un juif.
La représentation du prophète Mohamed est interdite dans la plupart des interprétations de l’Islam et est considérée comme un blasphème.
En 2011, une couverture de Charlie Hebdo a été rebaptisée « Charia Hebdo » – un jeu de mots avec la « charia » – et présentait une caricature de Mohamed. Les bureaux du magazine ont été détruits lors d’une attaque à la bombe incendiaire le lendemain.
Les bureaux de Charlie Hebdo ont été incendiés un jour après la publication en couverture d’une caricature du prophète Mohamed, le désignant comme « rédacteur en chef ». Crédit photo,Getty Images.
Dans son style provocant, le magazine satirique a publié un numéro en 2012 présentant plusieurs caricatures semblant représenter le prophète nu.
Ces caricatures et l’attitude inflexible de Charlie Hebdo au fil des années ont valu à Charbonnier des menaces de mort, ainsi qu’une protection policière 24 heures sur 24.

Charlie Hebdo n’a jamais cessé d’être provocateur : cette couverture met en scène un caricaturiste et un imam enlacés, avec la légende « L’amour est plus fort que la haine ».
Il a fermement défendu les caricatures comme symboles de la liberté d’expression.
« Je ne reproche pas aux musulmans de ne pas rire de nos dessins », a-t-il déclaré à l’Associated Press en 2012. « Je vis sous la loi française. Je ne vis pas sous la loi coranique », faisant référence aux écrits sacrés de l’Islam.
L’ancien rédacteur en chef de Charlie Hebdo, Stéphane Charbonnier, devant les bureaux du magazine après l’attentat à la bombe incendiaire de 2011. Crédit photo,Getty Images
Les procès de Charlie Hebdo
En décembre 2020, un tribunal de Paris a déclaré 14 personnes coupables de leur implication dans les meurtres de Charlie Hebdo et les attentats associés.
Les accusations allaient de l’appartenance à un réseau criminel à la complicité directe dans les complots.
Hayat Boumeddiene, la compagne en fuite d’Amedy Coulibaly, tué lors de l’attaque du supermarché, a été jugée par contumace.
Boumeddiene (à gauche) était le partenaire de Coulibaly (à droite) et aurait fui vers la Syrie quelques jours avant les attaques de janvier 2015. Crédit photo,Getty Images
Pensé avoir fui en Syrie une semaine avant les attentats, Boumeddiene a été reconnu coupable de financement du terrorisme et d’appartenance à un réseau terroriste criminel. Elle a été condamnée à 30 ans de prison.
« Le plus grand procès terroriste de l’histoire de France n’a pas répondu aux attentes », observait alors Hugh Schofield, correspondant de la BBC à Paris.
"Tous les accusés étaient apparemment impliqués dans les réseaux qui ont conduit à Amedy Coulibaly, l’agresseur du supermarché. Mais qu’en est-il des frères Saïd et Chérif Kouachi, les tireurs de Charlie Hebdo ? Comment ont-ils obtenu leurs armes ? Et qui, Al Qaïda ou l’État islamique ? groupe, a effectivement ordonné les attaques, si quelqu’un en est responsable », a-t-il ajouté.
Peter Chérif avait nié toute implication dans l’attentat contre Charlie Hebdo. Crédit photo,Getty Images
Lors d’un autre procès, en octobre 2024, un tribunal de Paris a condamné à perpétuité Peter Cherif, un militant islamiste français qui a passé sept ans au Yémen au sein d’Al-Qaïda dans la péninsule arabique et qui était soupçonné d’avoir entraîné Chérif Kouachi.
Chérif avait nié avoir joué un quelconque rôle dans l’attentat contre Charlie Hebdo.
Lundi s’est ouvert à Paris le procès d’un Pakistanais qui a poignardé deux personnes devant les bureaux de Charlie Hebdo en septembre 2020. L’attaque a eu lieu lors du procès des 14 personnes accusées de complicité dans les assassinats de Charlie Hebdo cinq ans plus tôt.
Rester provocateur
Les assassinats de Charlie Hebdo ont profondément choqué la France.
Plus de trois millions de personnes ont défilé en solidarité avec les victimes et une quarantaine de dirigeants mondiaux se sont rendus à Paris pour faire une déclaration visuelle défendant la liberté de la presse.
Partout en France, plus de trois millions de personnes ont défilé en solidarité avec les victimes de l’attentat de Charlie Hebdo. Crédit photo,Getty Images
Au lendemain de l’attentat, le magazine marginal de gauche a considérablement gagné en popularité.
Une édition spéciale post-attaque mettant en vedette le prophète Mohamed pleurant et tenant une pancarte disant « Je suis Charlie » s’est vendue à plus de huit millions d’exemplaires.
L’attaque a entraîné une augmentation spectaculaire des dépenses de sécurité intérieure en France, le Premier ministre Manuel Valls ayant déclaré que le pays était engagé dans une « guerre contre le terrorisme ».
L’expression « Je suis Charlie » est devenue un slogan de liberté d’expression après l’attentat de janvier 2015.Crédit photo,Getty Images
Les assassinats de Charlie Hebdo ont marqué le début de la pire année d’attentats islamistes jamais enregistrés à Paris, qui ont fait près de 150 morts.
La plus meurtrière a eu lieu le 13 novembre 2015, visant la salle de concert du Bataclan, où 90 personnes ont été tuées.
En 2020, Samuel Paty, enseignant à Paris, a été assassiné près de son école, quelques jours après avoir montré certaines caricatures du prophète Mohamed lors d’un cours sur la liberté d’expression.
Un récent sondage réalisé en France a révélé que 76 % des personnes interrogées considèrent que la liberté d’expression et la liberté de caricaturer sont des droits fondamentaux. .Crédit photo,Getty Images
En France, les défenseurs de la liberté d’expression considèrent la possibilité de critiquer et de ridiculiser la religion comme un droit fondamental.
Mais les critiques de Charlie Hebdo affirment que l’hebdomadaire franchit parfois la limite de l’islamophobie, certaines caricatures publiées dans le passé semblant associer l’islam à la violence.
10e anniversaire
Une décennie plus tard, Charlie Hebdo reste provocateur. Grâce aux nouvelles recrues, une douzaine de dessinateurs sont de retour pour travailler sur le magazine dans un bureau secret et hautement sécurisé.
Lundi, les caricaturistes de Charlie Hebdo ont dévoilé une édition spéciale « dérision de Dieu » du magazine, à l’occasion des 10 ans de l’attaque de ses locaux. Crédit photo,Getty Images
Lundi, ils ont dévoilé une édition spéciale pour marquer les 10 ans de l’attaque contre leurs bureaux.
« La satire a une vertu qui nous a permis de traverser ces années tragiques : l’optimisme », écrit dans un éditorial le réalisateur Laurent « Riss » Sourisseau, survivant des tueries de 2015.
« Si vous voulez rire, cela signifie que vous voulez vivre. Le rire, l’ironie et les caricatures sont des manifestations d’optimisme. Quoi qu’il arrive, dramatique ou heureux, l’envie de rire ne cessera jamais », a-t-il conclu.
Selin Girit
BBC World Service