Photo : Prison Megiddo en septembre. Chaque appel nominatif, chaque fouille, chaque déplacement d’un endroit à un autre – chaque occasion est une opportunité pour des passages à tabac et des humiliations.
Quand je suis retourné en Cisjordanie l’an dernier, après la longue période de détention et d’assignation à résidence qui a suivi mon arrestation à une manifestation dans le village Beita [1], la Cisjordanie était très différente de ce que j’avais connu auparavant. L’assassinat de civils, les attaques par des colons opérant en tandem avec l’armée, des arrestations à large échelle. La peur et la terreur à chaque coin de rue. Et le silence, un silence glaçant, sinistre.
Même avant ma libération, j’ai commencé à réaliser que quelque chose de fondamental avait changé. Quelques jours après le 7 octobre 2023, Ibrahim al-Wadi, un des mes amis du village de Qusra, a été tué par des colons, ainsi que son fils, Ahmed. On leur a tiré dessus alors qu’ils assistaient aux funérailles de quatre autres Palestiniens qui avaient été abattus la veille – trois par des colons qui avaient fait un raid sur le village, le quatrième par des soldats qui les accompagnaient.
J’ai rapidement senti que quelque chose d’horrible se passait dans les prisons où les prisonniers politiques palestiniens étaient détenus. Au cours de l’année dernière, alors que je retrouvais ma liberté, d’innombrables Palestiniens, dont beaucoup de mes amis et connaissances, avaient été arrêtés par Israël. Quand quelques-uns d’entre eux ont commencé à être relâchés et à revenir dans le monde, ils ont fait des récits qui peignaient une image épouvantable de torture systématique.
Des passages à tabac brutaux sont un motif récurrent dans tous les récits. Ils ont lieu pendant les appels nominatifs, pendant les fouilles des cellules, à chaque fois que les détenus étaient déplacés d’un endroit à un autre. L’année passée, les audiences aux tribunaux ont eu lieu pour la plupart via des conférences vidéo avec les prisons, sans que les prévenus soient amenés physiquement au tribunal. Mais la situation est si mauvaise que quelques-uns des prisonniers demandent de leurs avocats que leurs audiences aient lieu in absentia, parce que même le chemin entre la cellule et la pièce dans laquelle la caméra est installée est une Via Dolorosa de mauvais traitements physiques et d’humiliation.
Aucun des récits qui suivent ne révèle quoi que ce soit d’inconnu auparavant. Tout, jusqu’au moindre détail, remplit déjà volume après volume des rapports des organisations de défense des droits humains. Mais ce que j’ai à raconter n’est pas un recueil des témoignages dans un rapport, mais le produit de conversations intimes, sincères, avec des gens dont je savais qu’ils avaient survécu à l’enfer. Aucun d’entre eux n’est la personne qu’ils était auparavant. Ce que j’ai entendu de mes amis est aussi le sort de plusieurs milliers d’autres et je le rapporterai en changeant les noms et en brouillant des détails d’identification par crainte de vengeance, ce qui revenait dans chaque conversation.
Passages à tabac et sang
Je suis allé voir Malek quelques jours après sa libération. Une grille jaune et une tour de garde barraient la route qui dans le passé menait dans le village depuis l’autoroute. La plupart des autres chemins d’accès, par les villages voisins, sont bloqués de la même façon. Seule une route sinueuse, qui passe près de l’église byzantine qu’Israël a fait sauter en 2002, restait ouverte. Pendant des années, ce village était comme un deuxième foyer pour moi et c’était la première fois que j’y retournais depuis ma libération.
Malek a été emprisonné pendant 18 jours. Il a subi trois interrogatoires et à chaque fois on l’a interrogé sur des sujets tout à fait insignifiants. Il était certain qu’il serait placé en détention administrative – sans acte d’accusation, ni procès, sans preuve, sous une chape de soupçons secrets inconnus, même de lui ou de son avocat -, une détention qui peut être étendue indéfiniment. Après tout, c’est le sort de la plupart des Palestiniens arrêtés ces jours-ci.
Après son premier interrogatoire, il a été emprisonné dans le tristement célèbre « Complexe russe », dans le centre-ville de Jérusalem. Pendant la journée, les gardiens enlevaient les matelas et les couvertures des cellules, ne les rapportant que le soir, humides et parfois complètement trempés. Malek compare les froides nuits d’hiver de Jérusalem à des flèches perçant la chair jusqu’aux os. Il m’a décrit comment il a été battu, comme les autres détenus, à toute occasion. Chaque appel nominatif, chaque fouille, chaque déplacement d’un endroit à un autre – toute occasion était une opportunité pour un passage à tabac et des humiliations.
« Une fois, pendant l’appel du matin », m’a-t-il raconté, « nous étions tous sur les genoux avec nos visages vers les lits. Un des gardiens m’a attrapé par derrière, a enchaîné mes mains et mes jambes, et m’a craché en hébreu : « Viens, une balade ». Il m’a saisi par les menottes à l’arrière de mon dos et il m’a emmené, penché, dans l’espace ouvert qui est le long des cellules. Pour quitter le service, il y a une petite pièce à traverser, entre deux portes, chacune avec une petite fenêtre. »
Je sais exactement de quelle pièce il parle – je l’ai traversée des dizaines de fois moi-même. C’est un passage sécurisé dans lequel on peut ouvrir une seule porte à la fois.
« Et donc nous étions là », a continué Malek, « et ils m’ont plaqué contre la porte, face à la fenêtre. J’ai regardé à l’intérieur et j’ai vu que le sol était totalement couvert de sang coagulé. Je sentais la peur traverser mon corps comme de l’électricité. Je savais exactement ce qui allait arriver. Quand ils ont ouvert la porte, l’un d’eux est entré et s’est mis près de la fenêtre la plus éloignée, il l’a bloquée et l’autre m’a jeté à l’intérieur sur le sol.
« Ils m’ont donné des coups de pied. J’ai essayé de protéger ma tête, mais mes mains étaient menottées, donc je n’avais pas vraiment moyen de le faire. Les coups étaient brutaux. J’ai vraiment pensé qu’ils allaient me tuer. Je ne sais pas combien de temps cela a duré. À un moment, je me suis souvenu de ce quelqu’un m’avait dit la nuit d’avant : ‘Quand ils te frappent, crie de tous tes poumons. Qu’est-ce que ce que tu en as à faire ? Cela ne peut pas être pire et peut-être que quelqu’un entendra et viendra t’aider.’ Donc j’ai vraiment commencé à hurler et, effectivement, quelqu’un est arrivé. Je ne comprends pas l’hébreu, mais il y a eu un échange entre les deux. Ensuite, eux sont partis et lui m’a sorti de là. Je saignais de la bouche et du nez. »
Khaled, un des mes plus proches amis, a aussi souffert de violences entre les mains des gardiens. Quand il est sorti de prison après huit mois de détention administrative, son fils ne l’a pas reconnu de loin. Le chemin entre la prison Ofer et le checkpoint de Beitunia, où il a été récupéré, une distance de quelques centaines de mètres, il l’a parcourue en courant. Après coup, il a expliqué qu’on ne lui avait pas dit que sa détention administration était terminée et il avait peur que sa libération ne soit une erreur et qu’il ne soit immédiatement arrêté à nouveau. Cela aussi était déjà arrivé à quelqu’un qui partageait sa cellule.
Dans la photo que son fils m’a envoyée quelques minutes après leur rencontre, Khaled ressemblait à l’ombre d’une personne. Des signes de violence marquaient tout son corps – ses épaules, ses bras, son dos, son visage, ses jambes. Quand je suis venu lui rendre visite ce soir-là, il s’est levé pour m’embrasser, mais quand je l’ai pressé contre ma poitrine, il a gémi de douleur. Quelques jours plus tard, des tests ont montré un oedème autour de sa colonne vertébrale et une fracture d’une côte guérie.
J’ai entendu un autre témoignage de Nazar, qui a été un détenu administratif même avant le 7 octobre et qui est passé depuis par plusieurs prisons, dont l’établissement Megiddo. Un soir, les gardiens sont entrés dans la cellule adjacente et Nazar a entendu des coups qui pleuvaient et des cris de douleur. Après un moment, les gardiens ont saisi un détenu dans cette cellule et l’ont jeté dans une cellule d’isolement. Pendant toute la nuit et aussi le jour suivant, il a gémi, d’une douleur continue, en criant « mon ventre » et en appelant à l’aide. Personne n’est venu à son aide. Cela a continué le soir suivant. Vers le matin, les cris se sont arrêtés.
Le jour suivant, quand un soignant est arrivé pour faire ses rondes dans cette aile, ils ont compris à cause de la perturbation et des cris des gardiens que le détenu était mort. Nazar n’a toujours pas d’idée sur qui il était. Après sa libération, il a appris que pendant la période de son incarcération à la prison Megiddo, ce n’était pas le seul détenu qui y était mort.
Tawfiq, qui a été relâché de la prison Gilboa cet hiver, m’a dit que pendant une inspection de son aile par les officiers de la prison, un détenu s’est plaint de ce que les prisonniers n’étaient pas autorisés à sortir dans la cour, ce à quoi un des officiers a répliqué : « Tu veux un moment dans la cour ? Sois reconnaissant de ne pas être dans les tunnels du Hamas à Gaza. »
Après cela, pendant les deux semaines suivantes, les détenus ont été emmenés dans la cour et ont dû s’allonger sur le sol froid pendant deux heures, même quand il pleuvait. Pendant qu’ils étaient là, les gardiens marchaient autour d’eux avec des chiens. Parfois les chiens passaient entre eux, parfois ils marchaient sur les détenus au sol, en les piétinant.
Selon Tawfiq, toute rencontre d’un détenu avec son avocat avait un prix en retour. « Je savais chaque fois que sur le chemin du retour, entre la salle de visite et l’aile de détention, s’ajouteraient au moins trois hématomes. Mais je n’ai jamais refusé d’y aller. Tu étais dans une prison 5 étoiles », m’a-t-il dit. « Tu ne comprends pas ce que c’est que d’être 12 personnes dans une cellule qui était déjà surpeuplée quand il y en avait seulement six. Je me fichais complètement de ce qu’ils allaient me faire. Simplement voir quelqu’un d’autre qui te parlerait comme un être humain, peut-être voir quelqu’un dans le couloir sur le chemin, cela valait n’importe quoi pour moi ».
Les matelas et les couvertures des prisonniers étaient humides. Malek compare les froides nuits de l’hiver à Jérusalem à des flèches qui perçaient sa chair jusqu’aux os. Chaque appel nominatif, chaque fouille, chaque déplacement d’un endroit à un autre était l’occasion de coups et d’humiliations.
Munther Amira – la seule personne à apparaître ici avec son véritable nom – a été libéré de manière inattendue avant la fin prévue pour sa détention administrative. À ce jour, personne ne sait pourquoi. Contrairement à beaucoup d’autres qui ont été avertis de ne pas parler sur ce par quoi ils étaient passés en prison, et qui craignent encore des représailles, dès qu’il a été libéré, Amira est allé devant une caméra et s’est exprimé sur la catastrophe dans les prisons – les appelant des « cimetières pour les vivants ».
Il m’a dit qu’une nuit une unité de première intervention a surgi dans leur cellule de la prison Ofer, accompagnée par deux chiens. Ils ont obligé les détenus à se déshabiller, dans leurs sous-vêtements, et à s’allonger sur le sol, et ensuite ils ont ordonné aux chiens de renifler le corps et le visage des détenus. Après cela ils ont ordonné aux détenus de se rhabiller, ils les ont emmenés dans les douches et ils les ont arrosés d’eau froide tout habillés.
Une autre fois, il a essayé d’appeler à l’aide lorsqu’un détenu a fait une tentative de suicide. La punition pour appeler à l’aide a été un autre raid de l’unité de première intervention. Cette fois, tous les détenus de la cellule ont dû se mettre les uns sur les autres et ils ont été frappés avec des matraques. À un moment, un des gardiens leur a fait écarter les jambes et ils ont été frappés sur les testicules avec un bâton.
Faim et maladie
Munther a perdu 33 kilos pendant ses trois mois de détention. Je ne sais pas combien de kilos Khaled a perdu – il a toujours été mince – mais sur la photo qui m’a été envoyée, ce que j’ai vu, ce sont les restes squelettiques d’une personne. Dans la salle à manger de sa maison, après coup, la lumière du plafonnier révélait deux profonds cratères à la place de ses joues. Ses yeux étaient cernés de rouge, comme ceux de quelqu’un qui n’a pas dormi pendant des semaines. La peau flasque qui pendait de ses bras maigres semblait attachée artificiellement à eux, comme un emballage de cellophane. Les tests sanguins des deux hommes montraient des déficiences sévères.
Tous ceux à qui j’ai parlé, quelle que soit la prison où ils étaient, ont décrit presque exactement le même régime, bien qu’occasionnellement il subissait une mise à jour, ou plus exactement une dégradation. La dernière version que j’ai entendue, de la prison Ofer, était : Petit déjeuner – 1,5 paquet de fromage pour une cellule de 12 détenus, trois tranches de pain par personne, deux à trois légumes, d’ordinaire une tomate ou un concombre, par cellule. Tous les quatre jours, 250 grammes de confiture par cellule.
Au déjeuner, par personne : une petite coupe en plastique jetable remplie de riz, deux cuillères à café de lentilles, quelques légumes, trois tranches de pain. Au dîner – deux cuillères à café (pas à soupe) d’houmous et de tahini, quelques légumes, trois tranches de pain par personne. Occasionnellement, une autre coupe de riz, parfois une seule boule de falafel ou un oeuf, qui sentait d’habitude assez mauvais, avec des points parfois rouges, parfois bleus. C’est tout.
Nazar dit à ce propos : « Ce n’est pas seulement la quantité. Ce qu’ils apportent n’est pas fait pour la consommation humaine. Le riz est seulement à moitié cuit, presque tout est abîmé. Et tu sais, il y a aussi de vrais enfants là-bas, qui n’étaient jamais en prison avant. Nous essayions de veiller sur eux, de leur donner un peu de notre nourriture avariée. Mais si tu donnes un peu de ta nourriture, même une goutte, c’est comme si tu commettais un suicide. Il y a la famine dans les prisons maintenant et ce n’est pas dû à un désastre naturel, c’est la politique du service des prisons d’Israël. »
Récemment, la faim a même augmenté. À cause de la surpopulation, le service des prisons trouve des façons de rendre les ailes encore plus exiguës. Les espaces publics, comme l’économat ou n’importe quel endroit que l’administration de la prison pourrait réclamer, ils le transforment en cellule supplémentaire. Le nombre des détenus dans les quartiers, déjà pleins à ras bord auparavant, n’a fait que croître. Il y a des ailes qui ont reçu 50 détenus supplémentaires, mais sans nourriture additionnelle pour eux. Ce n’est donc pas étonnant que les détenus perdent un tiers, ou même plus, de leur poids en quelques mois.
La nourriture n’est pas la seule chose en quantité insuffisante dans les prisons. Il est interdit aux détenus, par exemple, d’avoir quoi que ce soit en leur possession autre qu’un jeu de vêtements. Une chemise, une paire de sous-vêtements, une paire de chaussettes, un pantalon, un sweatshirt. C’est tout. Pour la totalité de leur incarcération. Je me souviens qu’une fois où l’avocate de Munther, Riham Nasra, est venue le voir, il est arrivé dans la salle de visite pieds nus. C’était l’hiver et il faisait un froid glacial dans Ofer. Quand elle lui a demandé pourquoi il était pied nus, il a seulement dit : « Il n’y en a pas. »
Environ un quart de tous les prisonniers palestiniens souffrent de la gale (une maladie de peau contagieuse qui provoque des démangeaisons), selon une déclaration du service des prisons lui-même au tribunal. À l’époque de la libération de Nazar, sa peau était déjà en cours de guérison. Ses lésions ne saignaient plus, mais les croûtes couvraient encore de larges parties de son corps.
« L’odeur dans la cellule est quelque chose que les mots ne peuvent décrire. C’est comme de la pourriture, nous sommes assis là et nous pourrissons – notre peau, notre chair. Nous ne sommes plus des êtres humains là-bas, nous sommes de la chair en train de pourrir », a-t-il dit. « Mais comment pourrait-il en être autrement ? La plupart du temps il n’y a pas d’eau du tout, d’habitude seulement une heure par jour et nous n’avions parfois pas d’eau chaude pendant des jours. Il y a des cas où je ne me douchais pas pendant plusieurs semaines de suite. Il a fallu plus d’un mois avant que j’obtienne un savon. Nous sommes assis là, dans les mêmes vêtements, puisque personne n’a de quoi se changer et ils sont couverts de sang et de pus et il y a une puanteur – pas d’ordures, mais de mort. Nos vêtements étaient imbibés par nos corps en train de pourrir. »
Tawfiq a expliqué que : « Il y avait seulement une heure par jour d’eau courante. Pas seulement dans la douche, partout, y compris dans les toilettes. Donc pendant cette seule heure, 12 personnes dans la cellule devaient faire tout ce qui exige de l’eau, y compris se soulager. Clairement, c’est impossible. Et en plus, parce que presque toute la nourriture était avariée, la plupart d’entre nous avions des maux d’estomac tout le temps. Tu peux imaginer par toi-même à quel point notre cellule puait ».
Dans ces conditions, l’état physique des détenus se détériore naturellement. Une perte de poids aussi rapide, par exemple, conduit le corps à consommer du tissu musculaire. Quand Munther a été libéré, il a dit à sa femme, Sanaa, une infirmière, qu’il était si sale pendant qu’il était à l’intérieur de la prison que la sueur avait teint ses vêtements en orange. Elle l’a regardé et lui a demandé : « Et ton urine ? » À quoi il a répondu : « J’ai aussi pissé du sang ». « Ya ahbaln ! » lui a-t-elle crié – « Idiot ! Ce n’était pas de la saleté, c’était ton corps en train d’excréter les muscles qu’il consommait pour survivre. »
Environ un quart des prisonniers palestiniens souffrent de la gale. « L’odeur dans la cellule est quelque chose que les mots ne peuvent décrire. C’est comme de la pourriture, nous étions assis là et nous pourrissions – notre peau, notre chair. Nous ne sommes pas des êtres humains là-bas, nous sommes une chair en train de pourrir », a dit Nazar.
Les tests sanguins de presque tous ceux que je connais ont montré qu’ils souffraient de malnutrition et de déficiences sévères en fer et en d’autres minéraux et vitamines essentiels. Mais le traitement médical aussi était un luxe. Je ne comprends pas ce qui se passe effectivement dans les infirmeries des prisons de nos jours, mais du point de vue des détenus, elles n’existent pas. Pour ceux qui recevaient des traitements réguliers, ils ont été simplement arrêtés. De temps en temps, un soignant fait le tour de la prison mais aucun traitement n’est administré et l’« examen » n’est rien d’autre qu’une conversation à travers la porte de la cellule. Parfois, une semaine ou plus peut se passer sans visite dun membre du personnel médical.
La réponse médicale, au mieux, est du paracétamol et dans la plupart des cas, c’est plus une instruction du type : « Buvez de l’eau ». Naturellement, il n’y a pas assez d’eau dans les cellules, parce qu’il n’y a pas d’eau courante la plus grande partie de la journée.
Le viol et les attaques sexuelles sont évoquées presque uniquement comme une rumeur, quelque chose qui est arrivé à d’autres. La seule personne qui m’en a parlé explicitement a été Burhan. Il était à la prison Ketziot, dans le Neguev, et il y a eu un raid dans son aile. Les gardiens les ont sortis de la cellule un par un, après les avoir menottés avec des menottes de plastique. Pendant qu’il attendait son tour, il a entendu des appels à l’aide et des cris de douleur, ainsi que des jurons des gardiens.
Quand son tour est arrivé, il a été conduit dans une zone publique de l’aile. Là il a vu les détenus qui avaient été sortis de la cellule avant lui allongés sur le sol les uns sur les autres, nus et en sang. Un gardien l’a déshabillé, lui a mis un bandeau sur les yeux et ensuite, avec des coups, des jurons et des menaces, l’a poussé sur le sol. Ils ont été battus, raconte-t-il, allongés là, nus et sans rien voir, tandis que des chiens marchaient autour d’eux et reniflaient leurs corps.
À un moment, il a senti une douleur terrible dans le rectum tandis qu’un objet était enfoncé dedans. Il ne sait pas ou ne veut pas dire combien de temps cela a duré, ou comment exactement, ou si d’autres ont aussi été attaqués. De retour dans la cellule, ils se sont juste tous assis, le regard fixe. Personne n’a dit un mot. Il explique que marcher a été difficile pendant un certain temps après cela, en partie à cause des coups, et que pendant une semaine après l’incident il y avait du sang sur sa chaise et dans son urine. Un traitement médical n’a pas été envisagé.
Si les récits de viols sont tabous et rarement discutés, l’humiliation sexuelle est publique, en pleine vue pour que tout le monde la voit – des vidéos des détenus conduits complètement nus par le personnel du service des prisons ont été postées sur les réseaux sociaux. Cela ne peut avoir été documenté que par les gardiens eux-mêmes, qui sont fiers de leurs exploits. L’utilisation d’une fouille corporelle comme occasion de perpétrer une attaque sexuelle, d’habitude au moyen d’un coup dans l’aine avec la main ou le magnétomètre, est une expérience presque standard, mentionnée régulièrement par les détenus qui ont passé du temps dans différentes prisons.
En tant qu’homme, je n’ai rien entendu de première main, bien sûr, sur des attaques sexuelles contre des femmes. Ce que j’ai de fait entendu, et plus d’une fois, est qu’il y a une pénurie de produits pour l’hygiène menstruelle et l’utilisation des règles comme moyen d’humiliation. Après les premiers coups qu’elle a endurés le jour de son arrestation, Munira a été emmenée à la prison Hasharon, au centre d’Israël. Tout le monde est soumis à une fouille corporelle à l’entrée de la prison, mais une fouille à nu n’est pas la norme – selon les règlements du service des prisons, cela exige des soupçons raisonnables que le détenu, ou la détenue, cache un objet interdit et il faut l’autorisation d’un officier en charge.
Pendant la fouille à nu que Munira a subie, cependant, il n’y avait aucun officier supérieur présent, et certainement aucune procédure régulière à propos de soupçons raisonnables. Elle a été poussée par deux gardiennes dans la petite pièce utilisée pour les vérifications de sécurité, où elle a dû enlever ses vêtements, y compris sa culotte et son soutien-gorge, et s’agenouiller. Après l’avoir laissée seule pendant plusieurs minutes, une gardienne est revenue, l’a frappée et est repartie. Finalement, on lui a jeté ses vêtements et elle a pu se rhabiller.
Le jour suivant était le premier jour de ses règles. Elle a reçu un tampon hygiénique et a dû faire avec pendant toutes ses règles. C’était la même chose pour les autres. Quand elle a été relâchée, elle souffrait d’infection et d’une sérieuse inflammation des voies urinaires.
Épilogue
Sde Teiman, un camp de détention de l’armée près de la frontière de Gaza, était clairement le pire endroit pour être emprisonné et c’est probablement pourquoi il a été fermé et transformé en un centre de rétention temporaire. De fait, il est difficile de penser aux descriptions des horreurs et des atrocités qui ont émergé de cet enclos de torture sans penser qu’il a été conçu pour servir de centre au neuvième cercle de l’enfer. Mais ce n’est pas par hasard que l’État a accepté de transférer ceux qui y étaient détenus vers d’autres endroits, principalement Ketziot et Ofer, qui ne sont pas beaucoup mieux.
Sde Teiman ou pas, Israël retient des milliers de Palestiniens dans des enclos de torture ; au moins 68 ont été tués depuis le 7 octobre. Parmi eux, au moins quatre détenus sont morts rien que depuis le début décembre (2024). L’un d’eux, Mohammed Walid Ali, 45 ans, du camp de réfugiés de Nur Shams, près de Tul Karm en Cisjordanie, a été tué seulement une semaine après avoir été emprisonné.
Toutes ses formes de torture – faim, humiliation, attaques sexuelles, passages à tabac, assassinats et la contrainte de vivre dans des cellules surpeuplées – ne sont pas des actes de pure coïncidence. Vues comme un tout, comme elles doivent l’être, ces actes constituent une politique de la part d’Israël.
Jonathan Pollak
-----------------------