Son père fut typographe, puis agent d’assurance sociale et sa mère au foyer essentiellement. De culture protestante, mais fort peu pratiquants, ses parents étaient de gauche, son père adhérent au Parti socialiste. Inscrit à l’université de Lausanne, l’activisme militant prit très vite le pas sur les études. Il fut initialement proche du Pdt-POP (Parti du Travail-Parti ouvrier et populaire), le nom du Parti communiste en Suisse. En 1968 il rejoignit la Quatrième Internationale. Il avait été vivement impressionné par le rôle qu’avait eu la JCR en France en Mai 68. Daniel Noverraz, que ses camarades appelaient Nono, « un diminutif qui renvoyait à sa générosité, à son talent pour souder les militants » (Charles-André Udry), fut l’animateur des cercles étudiants La Brèche, du nom du journal du parti. L’internationalisme chevillé au corps, Daniel Noverraz fut de toutes les manifestations de soutien au peuple vietnamien. Avec ses camarades montagnards chevronnés, ils tendirent une banderole entre les tours de la cathédrale de Lausanne et firent sonner les cloches pendant quatre jours.
En 1976, il quitta Lausanne avec l’intention de rejoindre le Portugal en révolution, mais finalement son étape à Paris s’éternisa au-delà du prévu. Le voilà militant de la LCR et c’est désormais en France qu’il déploya son activité de militant trotskyste. Bientôt permanent de la Fédération de la Seine-Saint-Denis, en 1982 il fut rudement tabassé par le Service d’ordre de la CGT alors qu’il distribuait un tract devant l’usine Peugeot à Aulnay-sous-Bois. Comme l’indiquait son camarade Olivier Martin à ses obsèques : « Derrière le militant d’extrême gauche le plus connu de Montreuil-sous-Bois (Seine-Saint-Denis) se cachait le plus français des Suisses ». Dès le début des années 1980 dirigeant de la LCR, membre du CC puis du BP, il était toujours volontaire pour les tâches techniques qu’il ne séparait pas de l’animation politique. Il écrivit de nombreux articles pour Rouge ou pour Critique communiste mais en fut aussi le Directeur de publication. Il était très attaché à ce qu’il considérait comme un legs précieux de la tradition trotskyste, le souci de la démocratie interne, avec pour les opposants à la direction la possibilité de s’organiser en tendances voire en fractions. Il perçut très tôt l’importance de l’écologie, se mobilisant non seulement contre la construction des centrales nucléaires (Malville, 1977, Plogoff, 1980), mais aussi faisant la promotion de la mobilisation en défense de « la Loire, fleuve sauvage », qui culmina le 27 avril 1989 avec une grande manifestation européenne de 10 000 personnes au Puy-en-Velay. Peu après, les autorités abandonnèrent le projet de grand barrage. Pour lui, lutter pour la défense de la nature signifiait contester l’ensemble du système capitaliste responsable du réchauffement climatique. Soucieux du développement de la LCR, à la fin des années 1980, il fut réservé face au projet de la majorité de son organisation qui pensait reconstruire un parti de combat avec ceux qui, comme Pierre Juquin, rompaient avec le PC. Au 8e congrès de la LCR (1987), il anima la tendance ARA - Aguirre, Rochal, Alexis : pseudonymes des initiateurs de la tendance - (10 % des suffrages des militants) en désaccord avec le ralliement à la candidature Juquin aux Présidentielles de 1988. Au début de la décennie 1990, avec d’autres militant.e.s chevronné.e.s comme Léon Crémieux, Patrick Lemoal, Christine Poupin, ou encore inconnus comme Olivier Besancenot, il fut un des fondateurs de la tendance Révolution ! défendant l’alliance avec LO, ce qui se fera pour les élections européennes de 1998, permettant à la liste commune de dépasser les 5 % et d’obtenir cinq élus dont Alain Krivine et Roseline Vachetta. Cette relative percée électorale pour l’extrême gauche trotskyste se renouvela aux Présidentielles de 2002 (O.Besancenot 4,25 %, A.Laguiller 5,72 %). Aux élections suivantes de 2004, les listes LO-LCR durent se contenter de 4 à 5 % aux régionales et de 2,56 % aux européennes. « Des résultats très en deçà de nos prévisions », regrettait Aguirre. Il pensait que ce qu’il appelait « le huis clos » avec LO avait été contre-productif : « L’image de la LCR, organisation révolutionnaire anticapitaliste, mais ouverte, non sectaire, en a pris un sérieux coup de vieux, et le capital acquis lors de l’élection présidentielle a été entamé ». Il conseillait pour l’avenir d’éviter tout ce qui laisserait entendre que politiquement il y aurait un axe privilégié LCR-LO permanent. « Il y a bien d’autres regroupements, ajoutait-il, des équipes syndicales, associatives, des militants altermondialistes, qui se posent la question d’une alternative politique » (Critique communiste, été 2004). En effet, cet internationaliste fervent s’était engagé résolument dans le mouvement altermondialiste, contre la guerre, le racisme et le libéralisme. Il fut présent aux Forums sociaux européens de Florence (2002), Paris (2003), Londres (2004), Athènes (2006). Il avait co-organisé le FSE de Paris en 2003, avec l’espoir que naissent d’autres formes d’organisations internationales. Il fut de ceux qui encouragèrent ses camarades syndicalistes exclus par des directions syndicales soucieuses de conciliation plutôt que de luttes – que ce soit la CFDT ou la FEN – à créer de nouveaux syndicats, SUD-Solidaires ou FSU.
Après le succès du « Non » au référendum européen du 29 mai 2005, Aguirre se montra favorable à des candidatures unitaires pour les élections présidentielles et législatives de 2007. Au cours du 16e congrès de la LCR (janvier 2006), avec ses camarades de la Plate-forme 4 (PF4), il reprocha à la direction de la LCR « sa réticence à engager une véritable campagne politique pour lever des obstacles à des candidatures unitaires » (Critique communiste, mars 2006, p.24).
Avec l’Appel pour des Assises de l’anticolonialisme postcolonial et la Marche des Indigènes de la République appelée pour le 8 mai 2005 (à la fois anniversaire de la capitulation nazie et des massacres de Sétif et Guelma), la LCR se trouva confrontée à l’émergence de nouvelles revendications. Une majorité refusa de participer à la Marche et aux Assises, voyant dans ces initiatives un risque de division du mouvement antiraciste et féministe. Les porte-parole de la direction nationale (Daniel Bensaïd, Samy Johsua et Roseline Vachetta) pointaient du doigt le risque « d’ethniciser ou de confessionnaliser les conflits politiques, de flatter le communautarisme » (Rouge, 7 avril 2005). Dans le numéro de Rouge suivant, plusieurs militants, dont Aguirre, demandaient au contraire que la LCR participe à ces initiatives. L’Appel est un cri de colère légitime, ajoutaient-ils. Ils voyaient chez les enfants d’immigrés une volonté d’égalité et non un repli communautaire. Le risque, écrivaient-ils, est de susciter la méfiance chez des militants qui sont nos amis, nos alliés de toujours : « Autonomie et unité ne s’excluent pas. À nous d’œuvrer à la convergence des luttes » (Rouge, 14 avril 2005). Dans une contribution plus développée, Léonce Aguirre et Catherine Samary trouvaient regrettable qu’on en reste au mot d’ordre des années soixante-dix « Travailleurs français-immigrés même patron même combat », un mot d’ordre insuffisant car il ne prend pas en compte « l’oppression sociale et culturelle spécifique que subissent les populations rejetées parce que d’origines non européennes » (Critique communiste, juillet 2005). Après le vote de la loi sur les signes religieux à l’école (15 mars 2004), Aguirre avait participé au Collectif « Une école pour toutes », ne supportant pas l’exclusion des filles voilées des établissements scolaires, une stigmatisation inadmissible pour lui. À partir des années 1980, il prit une part importante à l’organisation des camps d’été de la Quatrième Internationale qui réunissaient, chaque année dans un pays européen différent, des jeunes venus des sections européennes mais aussi d’Asie ou d’Amérique.
Auteur d’un « Dossier Pédophilie » pour le journal, Aguirre ouvrit ses colonnes à la défense des droits des enfants et, sans doute traumatisé enfant par la pédagogie à l’ancienne qu’il avait subie, à la lutte contre la violence exercée contre eux (dossier : « il n’y a pas de bonne fessée » par exemple). Il s’engagea comme délégué des parents d’élèves, intervenant pour qu’en conseil de classe les élèves soient traités avec considération.
Enfin, Aguirre eut le temps de participer à la construction du NPA. Il se réjouissait de voir se créer des centaines de comités où se retrouvaient des militants aux expériences politiques, syndicales, associatives fort diverses. Il se montrait cependant inquiet de voir que la LCR était la seule composante conséquente à être partie prenante du processus, tandis qu’arrivaient de petites organisations issues de l’extrême gauche révolutionnaire, dont certaines n’avaient rompu « ni avec des orientations avant-gardistes, ni avec certaines formes de sectarisme ». À sa fondation en février 2009, le NPA comptait près de 10 000 membres encarté.e.s répartis en 476 comités. Mais rapidement les tendances à la dissociation allaient l’emporter, donnant raison à son pessimisme lucide.
Aguirre fut pendant de longues années le complice et le compagnon de Sophie Zafari avec laquelle il eut deux enfants, Simon et Léa, pour qui il fut un père attentif et drôle, mais inquiet de ne pas leur avoir donné assez de temps. Sa dernière compagne, Cynthia, était luxembourgeoise. À son enterrement, les hommages furent unanimes, venus des organisations de la Quatrième Internationale et de militants étrangers, mais aussi de toutes les organisations françaises situées à gauche de la gauche, de syndicats, d’organisations de solidarité avec les immigrés, de la Fondation Copernic, d’Attac.
Jean-Paul Salles