Shinzo Abe aura à peine duré un an à la tête du Japon. Le plus jeune chef de gouvernement (52 ans) de l’après-guerre, servi par une allure de play-boy qui lui avait valu une exposition flatteuse dans les médias avant son accession au pouvoir, a présenté sa démission, mercredi 12 septembre à Tokyo, lors d’une conférence de presse.
La pression sur son cabinet, miné par une série de scandales et cruellement déconsidéré dans les sondages, était devenue insoutenable. M. Abe a annoncé simultanément son départ de la direction du Parti libéral-démocrate (PLD), le grand parti conservateur japonais dont il avait pris la tête en septembre 2006.
Soucieux de hâter la transition, il a indiqué avoir demandé au PLD de « sélectionner un nouveau président le plus vite possible ». L’actuel numéro deux du PLD et ex-ministre des affaires étrangères, Taro Aso, issu de l’aile droite du parti comme M. Abe, est favori pour le remplacer.
L’annonce du départ de M. Abe vient sanctionner une série de déconvenues qui avait pris ces dernières semaines l’allure de débâcle. Le point de non-retour avait été franchi avec la démission pour malversation financière, le 3 septembre, du ministre de l’agriculture Takehido Endo, la cinquième d’un membre de son cabinet en un an.
Ce nouveau départ avait d’autant plus marqué les esprits que M. Endo avait succédé à deux autres ministres démissionnaires – mis en cause eux aussi pour corruption – dont l’un s’était suicidé. Ces défections en chaîne avaient ajouté à l’érosion d’une popularité déjà gravement entachée par l’éclatement de scandales, dont le plus retentissant avait été le fiasco de la gestion des retraites.
COLMATAGE
Illustration du désenchantement ambiant, le PLD avait perdu, fin juillet, la majorité à la Chambre haute (Sénat) au profit du Parti démocrate du Japon (PDJ), l’opposition de centre-gauche. M. Abe avait bien tenté de restaurer son crédit en procédant, le 27 août, à un remaniement de son cabinet, prenant alors le parti de s’adosser davantage aux chefs de clan du PLD. Mais l’opération de colmatage a échoué. Selon une enquête réalisée le week-end dernier par le quotidien Yomiuri, moins de 30 % des Japonais approuvaient son action.
M. Abe avait succédé le 26 septembre 2006 au flamboyant Junichiro Koizumi, artisan d’une plus grande affirmation du Japon sur la scène internationale mais dont les réformes économiques avaient aggravé la fracture sociale. Proche de Koizumi, M. Abe était issu d’une dynastie familiale qui l’avait affilié au courant le plus droitier du PLD.
Il ne faisait pas mystère de sa volonté de réformer la Constitution pacifiste de 1947. Dans le sillage de M. Koizumi, il était résolu à imposer le Japon comme une puissance décomplexée, une ligne idéologique qui l’avait conduit à créer le ministère de la défense (jusque-là appelé Agence de défense) et à faire des offres de service à l’OTAN. Son objectif était de « faire valoir les opinions du Japon dans l’élaboration des règles qui régissent le monde ».
Simultanément, il avait tenté de réchauffer les relations avec ses voisins asiatiques – notamment la Chine et la Corée du sud – ulcérées par les visites de son prédécesseur au temple Yasukuni où, parmi les âmes des morts pour la patrie, sont honorés des criminels de guerre. Soucieux de désamorcer les passions sur le sujet, M. Abe s’était toujours refusé de préciser s’il rendrait visite un jour au temple.
Frédéric Bobin (avec AFP)
LE MONDE | 12.09.07 | 10h50 • Mis à jour le 12.09.07 | 10h50
Japon : Shinzo Abe aborde la rentrée parlementaire sur la défensive
TOKYO CORRESPONDANT
Aeine deux semaines après avoir formé un cabinet destiné à redresser son image, le premier ministre japonais, Shinzo Abe, est de nouveau éclaboussé par des scandales dans lesquels sont impliqués des membres de son gouvernement. Alors que le remaniement du 27 août semblait lui avoir apporté un peu d’oxygène, il aborde la rentrée parlementaire, lundi 10 septembre, sur la défensive. Le Parti démocrate du Japon (PDJ, centre-gauche) qui dispose, depuis les élections du 29 juillet, de la majorité à la Chambre haute, demande sa démission et des élections législatives anticipées, arguant de son manque de jugement dans le choix de son entourage.
Quelques jours après la formation d’un cabinet de rassemblement dans lequel figurent plusieurs « poids lourds » du Parti libéral-démocrate (PLD), les démissions de membres du gouvernement, accusés d’irrégularités financières, se succèdent. Cela a été le cas, le 3 septembre, du ministre de l’agriculture, Takehiko Endo.
Ce portefeuille, il est vrai, ne porte guère chance à ses détenteurs : son titulaire dans le premier cabinet Abe s’était suicidé et son remplaçant, empêtré dans des affaires peu claires, avait quelque peu terni l’image du gouvernement à la veille des élections sénatoriales. A peine nommé, le successeur de M. Endo, Masatoshi Wakabayashi, a été accusé d’avoir reçu des fonds politiques d’une association de pêcheurs subventionnée... par le ministère de l’agriculture.
Entre-temps, deux vice-ministres et un sénateur libéral-démocrate ont démissionné pour indélicatesses. Un autre ministre, Ichiro Kamoshita (environnement) est aussi en difficulté. Et samedi, c’est le ministre de l’intérieur et des communications, Hiroya Masuda, qui a reconnu une erreur de comptabilité dans ses fonds politiques.
OPTION RISQUÉE
A cette polémique s’ajoute la bataille sur la question du renouvellement de la loi autorisant la marine nippone à ravitailler, dans l’océan Indien, les navires des forces alliées engagées en Afghanistan, qui expire le 1er novembre. Le PDJ s’y oppose. Le gouvernement devra vraisemblablement composer en proposant une nouvelle loi tenant compte de certaines exigences des démocrates.
Le PLD dispose d’une confortable majorité à la Chambre basse mais, fort de celle qu’il vient d’obtenir au Sénat, le PDJ peut faire traîner en longueur le processus législatif. Le premier ministre a peu de marges de manœuvre. Dans le climat actuel, menacer de dissoudre la Chambre basse pour « reprendre la main » est une option risquée pour le PLD. Le PDJ, de son côté, ne semble pas y être vraiment préparé, craignant un retour de balancier vers le parti gouvernemental si le versatile électorat flottant, qui a sanctionné ce dernier en juillet, estime que l’opposition ne constitue pas encore une force d’alternance crédible.
Philippe Pons
* Article paru dans le Monde, édition du 11.09.07. LE MONDE | 10.09.07 | 15h21 • Mis à jour le 10.09.07 | 15h21