La génération soixante-huitarde a été bercée par l’hymne auquel nous avons emprunté notre titre, créé par Ennio Morricone, en l’honneur des deux militants Sacco et Vanzetti, et chanté par Joan Baez pour le film de Giuliano Montaldo qui leur a été consacré (19-7). Georges Moustaki prit plus tard le relais en français.
Sacco et Vanzetti sont deux prolétaires, l’un est ouvrier-fraiseur, l’autre poissonnier ambulant (après son licenciement d’une usine suite à une grève), qui avaient le double tort d’être immigrés italiens et d’être devenus anarchistes dans leur pays d’accueil, les États-Unis. Ils sont arrêtés, dans un contexte de chasse aux sorcières/chasse aux terroristes d’une Amérique des années 1920 en proie, comme en Europe, à de graves conflits sociaux, avec les particularités - propres au pays - d’une violence encore peu canalisée, avec une répression - privée et étatique - sans limite, où le Bureau d’investigation (futur FBI) commençait à devenir omniprésent.
Le 1er mai 1919 connaît meetings monstres, batailles de rues, manifestants assassinés. Avant ou après, des colis piégés sont envoyés chez les personnalités les plus réactionnaires. Le 2 janvier 1920, A. Mitchell Palmer, ministre du Department of Justice, qui vise la Maison Blanche, fait arrêter 2500 suspects dans 33 villes ; défilés de prisonniers enchaînés, expulsions et déportations se succèdent. Rappelons, par exemple, que le grand leader socialiste américain Eugène Debs, pour s’être prononcé contre la participation à la guerre interimpérialiste de 1914-1918, est encore en prison en 1921.
Comité de défense
La veille de Noël 1919, dans le Massachusetts, une fourgonnette transportant une forte somme est attaquée. Le 15 avril 1920, le caissier et le garde d’une usine de chaussures sont attaqués - la paie des ouvriers leur est dérobée. Ils décéderont quelques heures plus tard. Le 5 mai, Sacco et Vanzetti sont arrêtés dans un tramway, en possession d’armes (ce qui n’est pas tout à fait rare aux États-Unis... même si celles-ci sont prohibées). Les deux hommes ne nient pas mais, bientôt, ils vont être accusés des attentats, ce qu’ils récusent. Pour la police, il s’agissait de faire un exemple, sans se préoccuper de l’absence de preuves matérielles, quitte à ignorer, en 1925, les aveux du gangster Celestino Madeiros, aveux qui vont relancer la campagne contre la condamnation de Sacco et Vanzetti, en la relayant dans les grands médias.
Défendus, au départ, par la communauté italienne, dont les membres constituaient une minorité des plus exploitées et opprimées, surveillée de près par Palmer en étroite collaboration avec les hommes de Mussolini. Puis, devenus des symboles de la lutte contre l’arbitraire policier et judiciaire, contre la peine de mort, contre le racisme anti-immigrés, contre la criminalisation du mouvement ouvrier, ils furent, pendant sept ans, et en particulier la dernière année, au centre de campagnes mondiales que menèrent les anarchistes (Le Libertaire est le premier journal de France à en parler), bientôt rejoints par le Secours rouge international (qui collectera des millions) et l’Internationale communiste, qui n’était pas encore partie à la chasse aux anarchistes. Ils réussirent à dépasser la stricte défense de classe, touchant plus largement les organisations des droits de l’Homme, les intellectuels libéraux, les humanistes, etc. L’infatigable et mécréant libertaire Louis Lecoin n’hésitant pas à demander au pape d’intervenir.
En France, dès le 7 octobre 1921, des comités d’action réunissent CGTU, Union anarchiste et Parti communiste (PC). Le 19, l’ambassadeur des États-Unis recevra un colis piégé, cadeau de la « réfractaire » May Picqueray - on le saura bien plus tard, dans son autobiographie -, ce qui attirera l’attention de la presse. Le PC, pour éviter les heurts avec la police, détourne la manifestation du 23 octobre, que les libertaires veulent amener à l’ambassade. Il considère « la campagne [...] par trop teintée d’individualisme et d’anarchisme », mais c’est grâce à lui que la mobilisation finit par prendre une grande ampleur. En 1926, un Comité de défense Sacco-Vanzetti plus large, dans lequel entrent la Ligue des droits de l’Homme (LDH), la CGT et la Section française de l’Internationale ouvrière (SFIO), est créé. Au premier rang, on retrouve les protagonistes encore en vie de la défense de Dreyfus. Certains anarchistes préfèrent faire cavaliers seuls, face à ceux qu’ils considèrent mobilisés par calcul politicien, et ils créent leur propre comité.
Archives inédites
En 1927, Le Libertaire entame une parution bihebdomadaire et le numéro annonçant l’exécution (le 23 août) sera tiré à 50 000 exemplaires. L’Humanité n’est pas en reste, et le journal couvre quotidiennement la campagne. Le lendemain du passage à la chaise électrique, l’Union anarchiste (UA) appelle à manifester devant l’ambassade, et le PC sur les grands boulevards. Les deux cortèges fusionneront, des bourgeois tirent depuis les terrasses de café : c’est un début d’émeute, avec des dégâts matériels considérables (notamment à l’American Legion). On compte 200 arrestations et plusieurs centaines de blessés. Certains historiens estiment que l’affaire fut à l’origine d’un certain anti-américanisme populaire en France même. Le jour de l’exécution, 25 000 personnes manifestent à Detroit. À New York, une foule immense est présente à Union Square, le lieu des rassemblements ouvriers. Ce sera encore le cas lors des obsèques. Des manifestations n’ont cessé d’avoir lieu dans le monde entier.
Le « frame-up system » (le système des coups montés), comme l’appelait la Défense ouvrière internationale (ILD, principale organisatrice américaine de la campagne de défense, et dont le secrétaire était le communiste James P. Cannon, futur dirigeant trotskyste), n’était pas forcément nouveau en Amérique. Il n’en reste pas moins que s’annonçaient là de nouvelles pratiques en voie de systématisation. Ce qui fut pressenti partout.
Depuis, pas une année ne s’est passée sans qu’ici ou là n’apparaisse une œuvre en rapport. Exemple : Gutzon Borgium, le sculpteur des immenses têtes de présidents du mont Rushmore, demande un sursis le jour de leur inauguration. Devant le refus présidentiel, il sculpte un bas-relief, que la mairie de Boston (Massachusetts), refusera jusqu’en 1997 d’installer, malgré les interventions, après guerre, d’Eleanor Roosevelt et d’Albert Einstein. Il faudra que la ville élise son premier maire italien pour que l’œuvre soit installée dans un recoin de la bibliothèque municipale. En français, un des plus récents ouvrages est L’affaire Sacco et Vanzetti, de Ronald Creagh (De Paris-Max Chaleil, 264 pages, 16 euros), où l’auteur nous fait bénéficier de sa consultation des archives - inédites récemment ouvertes - du FBI.
« Here’s to you Nicolas and Bart
« Rest forever here in our hearts
« The last and final moment is yours
« That agony is your triumph ! » [1]
Note
1. « Maintenant Nicolas et Bart
« Vous dormez au fond de nos cœurs
« Vous étiez tout seuls dans la mort
« Mais par elle vous vaincrez ! »