Le cyclone Chido, qui a touché l’île de Mayotte dans l’océan Indien le 14 décembre 2024, a fait de nombreuses victimes et des dégâts importants. On déplore au moins 39 morts et 5 600 blessés. Les habitations et les infrastructures de l’île ont été partiellement détruites. L’aéroport, l’hôpital, de nombreuses écoles, le réseau électrique, l’accès à l’eau et la circulation sur les routes ont été touchés, déstabilisant profondément l’île.
Outre les dégâts immédiats, ce type de catastrophes a de nombreux effets négatifs secondaires qui se surajoutent durant les mois et les années qui suivent. Ces effets affectent le corps et l’esprit, l’individu et le corps social. Des situations de stress posttraumatiques ont ainsi été observées après l’ouragan Irma.
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Durant les heures et les semaines qui suivent ce genre d’évènements, des coupures d’électricité réduisent la qualité des soins médicaux et augmentent les risques de décès. Les conditions de vie sont significativement détériorées, ce qui peut conduire à de nombreuses pathologies.
L’humidité propre à la saison cyclonique affecte particulièrement la santé des enfants et des personnes à la santé fragile. L’absence d’eau potable et la nourriture en faible quantité et de qualité médiocre favorisent un affaiblissement de l’état général des populations. Pourtant, ce sont ces mêmes personnes dont on attend de reconstruire efficacement tout ce qui a été détruit.
Face à cette catastrophe, la question du temps de la reconstruction se pose. Si cinq ans ont été nécessaires pour rebâtir Notre-Dame de Paris après son incendie, combien en faudra-t-il pour toute une île ? Afin de ne pas ajouter du désespoir à cette situation difficile, certains proposent un calendrier volontariste de deux ans. Le temps de relèvement est un enjeu tant politique qu’organisationnel.
Une crise aggravée par la pauvreté du territoire
Si le relèvement des territoires après les catastrophes est si long, c’est parce que les impacts négatifs sur la société et l’économie sont multiples. Les difficultés à faire repartir un type d’activité donnée retentissent sur le redémarrage d’autres secteurs, et vice versa. L’imbrication des activités rend la reprise globale plus lente. Par ailleurs, durant la saison cyclonique, les pluies importantes n’aident pas à la reconstruction.
D’un point de vue économique, la baisse d’activité et l’augmentation du chômage qui surviennent après les catastrophes conduisent à un appauvrissement des territoires concernés et favorisent l’accroissement des inégalités.
C’est d’autant plus vrai lorsque ces territoires sont plus pauvres au départ. Or, l’île de Mayotte connaissait déjà une situation économique et sociale complexe, même avant les effets du cyclone. Certes plus riche que les îles voisines, elle souffre néanmoins de très fortes inégalités, qui la rendent plus fragile que des territoires non insulaires. Son PIB par habitant est plus faible que celui de Saint-Martin et Saint-Barthélemy, îles caribéennes, qui avaient été impactées par l’ouragan Irma.
Les possibilités de reprise d’activité de certaines personnes sont aussi conditionnées par le retour à la normale du système éducatif. Or, les élèves ne sont retournés à l’école que plus d’un mois après le cyclone et dans des conditions dégradées, car les établissements scolaires, déjà en nombre insuffisant et dans des conditions insatisfaisantes, se trouvent encore moins nombreux et dans des états encore plus critiques. Des enfants ont été rescolarisés sur l’île de La Réunion, d’autres étudient de chez eux avec leur famille.
L’électricité, un indicateur parlant
Les expériences passées concernant le relèvement après une catastrophe révèlent que la reconstruction du réseau électrique est fondamentale. L’électricité est essentielle pour le fonctionnement du réseau d’eau, pour les télécommunications, pour beaucoup de systèmes de transport (aéroport, feu tricolore, voiture électrique, etc.). L’électricité est nécessaire pour de nombreuses activités sociales et économiques.
De ce fait, la consommation d’électricité est un indicateur efficace pour estimer la reprise d’activité après les cyclones. La coordination de la reprise des activités et l’évaluation du temps de la reprise peuvent être améliorées par l’observation de cet indicateur.
Durant les dernières décennies, le suivi de la production d’électricité a montré que c’était un indicateur pertinent pour les évènements économiques, sanitaires et sociaux. Ainsi, la production et la consommation d’électricité ont permis de caractériser l’effet du Covid-19 sur les activités socioéconomiques à des échelles très larges, de mesurer l’effet des crises financières – comme celle des subprimes – et d’évaluer l’impact du réchauffement climatique sur la production d’électricité dans les milieux insulaires tropicaux.
Malgré l’intérêt d’organiser ce relèvement des territoires après les catastrophes, les retours d’expériences sont relativement peu nombreux et le temps nécessaire à la reconstruction est peu étudié. Après l’urgence, les territoires sont rarement suivis et accompagnés pendant de longues périodes, ce qui limite la connaissance que l’on a de cette phase.
Début janvier, l’électricité a été rétablie chez près de 70 % de clients à Mayotte. Reste à savoir quand les personnes qui n’ont plus ni toit ni réfrigérateur retrouveront-elles des conditions de vie proches de celles qu’elles connaissaient avant la catastrophe. Si la qualité de vie prendra du temps, le rétablissement d’aspects quantitatifs pose également question. Des activités ont disparu, des objets ont été détruits, des personnes manquent à l’appel parce qu’elles ont quitté le territoire.
L’expérience de l’ouragan Irma
Une partie de la population s’est réfugiée en dehors de Mayotte, comme à La Réunion par exemple. Les réfugiés « climatiques » de Mayotte, comme précédemment ceux de l’île de Saint-Martin après l’ouragan Irma, ne retourneront peut-être pas tous dans leur ancien lieu d’habitation. Ainsi à Saint-Martin, 20 % de la population a migré hors de l’île dans les mois qui ont suivi l’ouragan Irma en 2017 et environ 10 % d’entre eux ne sont pas revenus durant plusieurs années. Qu’en sera-t-il à Mayotte ?
Le parallèle entre la trajectoire qu’a suivi Saint-Martin peut être utile à anticiper ce qui pourrait se passer à Mayotte. S’il ne faut, en général, que quelques mois pour rétablir le réseau électrique, le temps nécessaire à la reprise globale des activités sera bien plus long, comme le montrent les exemples de Saint-Martin mais aussi de Saint-Barthélemy, qui pourtant connaissaient des situations socioéconomiques plus favorables.
Il est ainsi peu probable que Mayotte connaisse un relèvement plus rapide que Saint-Martin et Saint-Barthélemy, sauf à ce qu’une aide importante et prolongée (supérieure à celle qu’ont reçu Saint-Martin et Saint-Barthélemy) soit fournie.

Les retours d’expériences des ouragans Irma et Maria (2017) à Saint-Martin, à Saint-Barthélemy et à Porto Rico suggèrent que les conséquences dureront des années.
À Saint-Martin, la production électrique a été coupée pendant juste quelques jours, mais il a fallu un peu plus d’un mois pour reconstruire le réseau électrique – et plus de quatre ans pour que la production et la consommation électriques reviennent à leurs niveaux antérieurs.
Une fois la capacité de production et de distribution de l’électricité rétablie, une différence de production subsiste plusieurs années, liée à des activités sociales et économiques restreintes. Durant cette phase de relèvement, les économies d’énergie et la production d’énergie bas carbone doivent bien sûr être encouragées.
Certains secteurs économiques bénéficient d’un surcroît d’activités, comme le secteur de la construction (maçonnerie, génie civil, bureau d’études en géotechnique, architecte). Certaines activités de service public sont aussi susceptibles d’être renforcées sur un territoire où elles étaient sous-dimensionnées. Mais qu’en sera-t-il en période d’économies budgétaires ?
La phase critique post-catastrophe
Un scénario potentiel est un exode significatif de population, du fait de conditions de vie dégradées, d’infrastructures collectives endommagées, de stress posttraumatique diffus, d’un sentiment d’insécurité et d’une insécurité croissante, de tensions sociales et politiques plus vives. Ceci sans parler des politiques menées à l’encontre des personnes originaires des autres îles de l’archipel des Comores.
La vulnérabilité des populations augmente de façon importante après les catastrophes et en phase de relèvement. C’est pourquoi de nombreux acteurs jugent cette phase critique trop longue et les soutiens trop faibles. La promesse d’un relèvement rapide est porteuse d’espoir, mais aussi de déception et de colère lorsqu’il ne se réalise pas.
La durée et le déroulement de cette phase sont cruciaux. Certains acteurs considèrent la phase post-catastrophe de relèvement comme une opportunité pour planifier un développement différent. Les tensions sociales qui pourraient émerger, comme à Saint-Martin en décembre 2019, incitent à la prudence.
À Mayotte, comment favoriser un relèvement rapide ?
Difficile de prévoir exactement combien de temps sera nécessaire pour que le relèvement d’un territoire soit complet. Cela dépend de l’état du territoire avant la catastrophe, de la nature de la catastrophe et de l’aide reçue pour se relever.
À Mayotte, des années seront indispensables avant de revenir à des conditions de vie proches de celles antérieures au cyclone Chido, mais nous manquons d’expérience pour prédire le temps précis que cela prendra. Ce qui ne doit pas nous empêcher d’agir.
Plusieurs actions sont possibles pour favoriser un relèvement rapide des territoires affectés par les catastrophes naturelles.
En particulier :
• des secours d’urgence réactifs et efficaces pour la population (eau, nourriture, aide médicale et psychologique, logements d’urgence),
• la construction ou reconstruction d’infrastructures collectives de qualité et en nombre suffisant,
• des aides financières, techniques et humaines pour une reconstruction adaptée du territoire, notamment des aides rapides pour la reconstruction paracyclonique et des aménagements spécifiques,
• de la prévention, permettant de réduire les vulnérabilités, et la mise en place de solutions sociales,
• le fait de favoriser une production locale, y compris d’énergie bas carbone.
Julien Gargani, Enseignant-chercheur, Directeur du Centre d’Alembert, Université Paris-Saclay
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