Réuni en congrès les 15 et 16 mars à Paris, le parti Place publique, cofondé par Raphaël Glucksmann, s’apprête à appliquer ses nouveaux statuts. Mais pour un certain nombre de militant·es, l’événement a déjà un goût amer. Ils et elles reprochent à la direction du mouvement une gouvernance verticale et un verrouillage croissant des instances, cachés derrière des discours prônant une démocratie basée sur le compromis et la coconstruction.
L’essentiel des critiques se cristallise autour des deux coprésident·es, Raphaël Glucksmann et Aurore Lalucq, à qui l’on reproche de prendre toutes les décisions sans réelle concertation. Delphine*, une ancienne cadre du parti, explique avoir observé un tournant au moment des européennes de 2024. Avant, dit-elle, il y avait une « plus grande tradition de consultation » des adhérent·es et moins de choses « décidées dans l’urgence ».
Guillaume*, un militant de la première heure, compare le mode de gouvernance de Place publique avec celui de La France insoumise (LFI). Certain·es s’étonnent des différences qu’ils et elles perçoivent entre les discours publics de Raphaël Glucksmann et la réalité de la pratique démocratique. « Le problème, c’est le hiatus entre la politique prônée et la gouvernance interne », explique Camille*, qui a rejoint le mouvement avant les élections européennes.
Raphaël Glucksmann, co-président de Place publique, le 3 mars 2025. © Photo Xose Bouzas / Hans Lucas via AFP
Déjà confrontée à des critiques en son sein, la direction de Place publique avait lancé en septembre 2024 une réforme de ses statuts, afin de faire face à l’afflux de nouveaux adhérents et adhérentes consécutif à la campagne européenne. Parmi celles et ceux souhaitant démocratiser la gouvernance, cette annonce avait été accueillie avec une forme d’espoir. « On était prudents, mais on avait espoir que cela change. Nous voulions proposer un autre fonctionnement », explique Jérémy*, un ancien coréférent du mouvement.
En octobre 2024, Jérémy et d’autres militant·es venu·es d’un peu partout en France avaient ainsi profité de la rentrée politique de Place publique à La Réole (Gironde) pour se rencontrer et échanger sur la manière dont le débat interne pourrait être mieux organisé. Dans la foulée, un appel était rédigé par une quarantaine de signataires, demandant la constitution d’une « convention citoyenne » pour réformer les statuts avec la base.
Depuis, les signataires du texte se sont constitués en collectif. Le groupe, baptisé « Réveiller PP », n’est pas très étoffé, mais il rassemble des militantes et militants actifs. Nombre d’entre elles et eux sont ou ont été coréférent·es au niveau départemental, certain·es exercent même un mandat local. Tou·tes ont adhéré au parti avant les européennes, séduits par la promesse originelle de « faire de la politique autrement », comme l’indique la charte de gouvernance.
Une vague de départs
Très vite, les membres du collectif s’inquiètent de l’opacité du processus mis en place pour réformer les statuts. Ils et elles s’étonnent que les trois « experts » désignés par le conseil politique du parti pour mener à bien cette réforme ne communiquent aucun compte rendu de leurs travaux. « C’était comme une boîte aux lettres fantôme, on déposait une proposition mais on ne savait pas ce qu’il en était », explique Guillaume, le militant de la première heure.
Malgré les demandes de transparence, le collectif dit n’avoir obtenu aucune réponse de la part de la direction du mouvement. « Nous avons alerté sur le fait que la méthode proposée conduirait Place publique à une crise de gouvernance sans précédent », affirme Jérémy, coleader de Réveiller PP. En signe de contestation, plusieurs coréférent·es, mais aussi des membres du secrétariat général, ont décidé de démissionner de leurs fonctions, voire de quitter le parti.
C’est notamment le cas d’Anaïta David, jusqu’alors coréférente nationale de Place publique jeunes (PPJ), qui a annoncé son départ mi-décembre 2024. « Les décisions stratégiques étaient prises sans aucune concertation des adhérents. Il y avait un manque grandissant de démocratie interne », dit-elle à Mediapart. Elle pointe aussi une différence entre les « décisions politiques de la direction » et « la promesse d’union de la gauche » qui avait motivé son engagement.
En introduction de la réunion, Raphaël Glucksmann s’est dit « fier que Place publique, contrairement à d’autres, ait su entamer un dialogue sur la manière dont il se structure ». Jo Spiegel, membre fondateur du parti, connu pour son concept de « démocratie-construction », a quant à lui salué des « statuts des militants ». Mais pour certain·es adhérent·es, les espoirs sont douchés dans la seconde. « Une toute petite partie des propositions formulées par le collectif ont été reprises, certaines clauses ont été vidées de leur substance », déplore Jérémy.
La réforme des statuts verrouille l’appareil politique.
« In fine, on est assez nombreux à faire l’analyse que la réforme des statuts verrouille l’appareil politique », poursuit le militant. « On aboutit à une multitude de structures qui éloignent encore davantage les instances nationales des [sections] Place publique départementales, avec un pouvoir absolu réservé aux coprésidents », regrette aussi Camille. Interrogée par Mediapart, la secrétaire générale du parti balaye ces critiques, évoquant au contraire une « gouvernance mieux articulée, plus transversale et démocratique ».
« Nos nouveaux statuts ne sont pas un verrouillage, mais au contraire un élargissement démocratique, fait valoir Pascaline Lécorché. Ils garantissent une représentation renforcée des territoires, des jeunes et des militants à tous les échelons du parti. […] Ces avancées, loin d’être un durcissement, sont une réponse directe à la croissance de notre mouvement, qui rassemble aujourd’hui plus de 10 000 adhérents. » Selon la secrétaire générale de Place publique, « les critiques sur une prétendue “verticalité” relèvent du fantasme ».
Pascaline Lécorché se félicite en outre du « processus démocratique » mis en place pour réformer les statuts du mouvement. Un processus « qui aura duré près de six mois, poursuit-elle, en interaction avec l’ensemble des adhérents et des instances, faisant appel à des experts externes choisis pour leur compétence ». Et de conclure : « Ces nouveaux statuts ont été salués – notamment par des membres fondateurs de Place publique – et ont été adoptés à 93 % par nos adhérents. »
Les nouveaux statuts de Place publique ont en effet largement été adoptés le 23 février. Mais dans les faits, moins d’un tiers des adhérent·es ont en réalité participé au vote : sur les 8 564 personnes encartées depuis plus de trois mois composant le corps électoral, seules 2 696 se sont exprimées ce jour-là. Si seulement 186 adhérent·es ont voté contre leur adoption, le chiffre est pourtant décrit comme « inespéré, au vu des difficultés qu’[ils ont] eues à communiquer », analyse Guillaume.
Fermeture de la boucle Telegram
Dès le lendemain, la direction du mouvement a pris une nouvelle décision, que certain·es ont interprété comme un « coup de force » : fermer la seule boucle nationale du parti, créée en 2022 sur la messagerie Telegram. C’est Pascaline Léchorché qui l’a annoncé aux 600 membres de la boucle de communication en question : « Le conseil politique de Place publique a décidé à l’unanimité de fermer [cette] boucle », a-t-elle écrit, invoquant des « dérapages qui ne permettent pas de créer un lieu d’échanges serein ».
« C’était surtout le seul lieu de débat interne », souffle Guillaume, qui dénonce « une reprise en main extrêmement forte ». « C’était le dernier espace de libre expression nationale dont nous disposions, notamment pour critiquer les dérives constatées », complète Jérémy. D’autres, à l’instar de Claude*, adhérent de longue date, ont vu derrière cette fermeture une façon d’éviter la constitution d’une liste d’opposition à celle de Raphaël Glucksmann et Aurore Lalucq pour le congrès.
Les choses ne se sont pas arrêtées là. Dans la foulée de la fermeture de la boucle Telegram, Jérémy s’est vu notifier son exclusion de Place publique. Dans un courrier que Mediapart a pu consulter, le conseil politique du mouvement motive sa décision en évoquant les « messages intempestifs » que le militant aurait adressés « avec une insistance, une rhétorique et une terminologie qui semblent malveillantes pour les instances du parti ».
« J’ai l’impression que si on applique ce qui est reproché dans la lettre, il y en a plus d’un qui serait exclu », réagit un membre du Réveiller PP sur une boucle du collectif. L’intéressé estime de son côté que la direction n’a pas saisi le conseil éthique, comme le prévoit la charte de gouvernance du parti. Selon nos informations, les cinq membres de ce conseil d’éthique ont décidé de démissionner en bloc de leurs fonctions au lendemain de la présentation des nouveaux statuts.
La direction de Place publique affirme que les « décisions internes – fermetures de groupes de discussion, exclusions individuelles (trois depuis la création du parti) – s’inscrivent dans une volonté de clarté et de cohérence ». « Un parti politique n’est pas un forum anonyme : nous avons fait le choix de privilégier des espaces de débats encadrés et démocratiques, plutôt que des boucles informelles où l’agitation l’emporte sur le fond, poursuit-elle. Loin d’être une manœuvre d’“exclusion”, c’est un choix assumé de qualité démocratique et de respect des débats. »
Parmi celles et ceux qui avaient cru en une nouvelle offre politique, la déception est palpable. Beaucoup considèrent que Place publique s’apprête à devenir une simple écurie présidentielle. « Les adhérents de base ne sont vraiment considérés que pour se mobiliser lors des campagnes électorales », se désole encore Camille.
Samedi et dimanche, il n’y aura qu’une liste pour prendre la suite de Raphaël Glucksmann et Aurore Lalucq… Celle de Raphaël Glucksmann et Aurore Lalucq.
Sofiane Orus Boudjema