TOKYO CORRESPONDANT
Après avoir privilégié l’image médiatique dans le choix de ses deux derniers premiers ministres, le Japon est en train de revenir aux pratiques de la « vieille école », fondées sur la modération et les équilibres au sein du parti gouvernemental, pour désigner l’homme qui prendra la tête du prochain cabinet. Des deux candidats en lice pour l’élection, dimanche 23 septembre, du président du Parti libéral-démocrate (PLD) qui, en raison de la majorité de celui-ci à la Chambre basse, devient ipso facto premier ministre, Yasuo Fukuda est donné gagnant.
Issu de la droite modérée, suave et posé, M. Fukuda (71 ans) a réussi, quelques jours après la brusque démission, le 12 septembre, du premier ministre Shinzo Abe, à rallier derrière lui les principaux clans du parti gouvernemental et à s’imposer comme favori face à l’ancien ministre des affaires étrangères, Taro Aso (61 ans). Les deux concurrents ont déposé leur candidature le 15 septembre.
Outre les erreurs tactiques commises par M. Aso, secrétaire général du PLD - « marchepied » à la présidence du parti -, qui est parti un peu vite, s’aliénant une partie de son camp, la figure pondérée de M. Fukuda, « colombe » en politique étrangère, est apparue à la direction du PLD comme une meilleure carte pour renouer avec un électorat déçu par l’apparente indifférence du premier ministre sortant aux problèmes sociaux du pays.
Un mécontentement qui s’est traduit par la cuisante défaite du PLD aux sénatoriales de juillet. Cet homme du sérail (fils de l’ancien premier ministre Takeo Fukuda, 1976-1978) a semblé préférable aux caciques du PLD, inquiets des sorties néonationalistes de M. Aso, de plus trop marqué dans l’administration sortante.
Pour le PLD, meurtri par sa défaite électorale, l’heure n’est plus aux dirigeants flamboyants à la Junichiro Koizumi (2001-2006) ou, dans une certaine mesure, à la Abe, plus terne mais supposé incarner une nouvelle génération de politiciens. Il faut revenir aux hommes expérimentés et rompus aux rouages du pouvoir. Une option partagée par la majorité de l’opinion, indiquent les sondages.
Sollicité de revenir au pouvoir, M. Koizumi n’a pas voulu prendre le risque de jouer les hommes providentiels et d’entamer son aura en se confrontant à une situation qui exige des remèdes autres que des formules à l’emporte-pièce.
Certes partisan des réformes structurelles, M. Fukuda, qui fut le bras droit de M. Koizumi de 2001 à 2004 au poste de porte-parole du gouvernement, a aussi été formé à la « vieille école » du PLD : il sait que ce parti a pu se maintenir au pouvoir pendant plus d’un demi-siècle grâce à son habileté à mener à temps des politiques de compensation sociale palliant les excès de l’expansion. La montée des disparités sociales (entre villes et campagnes, gagnants et perdants de la reprise) est une des préoccupations majeures des Japonais. Et dans un tel climat, on craint, dans les milieux économiques, que les réformes marquent le pas.
Plus que leur programme, c’est la manière d’exercer le pouvoir qui différencie les deux candidats. Selon Taro Aso, « le Japon n’a pas besoin d’un dirigeant modéré mais d’un homme fort ». Yasuo Fukuda est partisan de l’ouverture d’un « dialogue » avec le pays et promet de remédier aux déséquilibres entre régions et aux difficultés des laissés-pour-compte.
On retrouve une différence d’approche similaire en matière diplomatique. Favorables à l’alliance avec les Etats-Unis, les deux candidats plaident pour la poursuite de la mission de soutien dans l’océan Indien de la marine nippone aux forces de la coalition internationale en Afghanistan, à laquelle l’opposition de centre-gauche est hostile. Majoritaire au Sénat, elle entend y bloquer la loi prolongeant le mandat des forces japonaises qui expire le 1er novembre.
En revanche, M. Fukuda est plus soucieux que le « faucon » Aso des relations avec ses voisins chinois et coréen. Il n’a jamais été favorable aux visites répétées de M. Koizumi au sanctuaire Yasukuni - où sont honorés, parmi les morts pour la patrie, des criminels de guerre -, qui ont envenimé les relations avec la Chine. Sur la question nord-coréenne, il est partisan d’une approche plus conciliante dans l’affaire des Japonais enlevés par des agents de Pyongyang dans les années 1970-1980. L’intransigeance de MM. Abe et Aso vis-à-vis de Pyongyang a isolé Tokyo dans les négociations sur la dénucléarisation de la Corée du Nord.
CHRONOLOGIE
26 SEPTEMBRE 2006 :
Shinzo Abe, président du Parti libéral-démocrate (PLD), devient premier ministre.
29 JUILLET 2007 :
déroute du PLD aux élections sénatoriales partielles face
au Parti démocrate du Japon (PDJ).
12 SEPTEMBRE :
démission de Shinzo Abe.
15 SEPTEMBRE :
clôture des candidatures pour la succession de M. Abe.
23 SEPTEMBRE :
désignation du nouveau président du PLD, qui deviendra premier ministre.