Un scolasticide est la destruction délibérée d’un système d’éducation et de ses institutions. Le terme a été créé par Karma Nabulsi, palestinienne, professeure de sciences politiques à l’université d’Oxford et spécialiste des lois de la guerre. Le contexte immédiat était l’Opération Plomb durci de décembre 2008, la première attaque israélienne majeure sur la Bande de Gaza après le désengagement unilatéral d’août 2005. Le contexte plus large était le colonialisme de peuplement sioniste et ses attaques contre les universitaires, les étudiants et les institutions d’éducation depuis la Nakba (« catastrophe ») de 1948. Le terme combine le préfixe latin « schola », qui veut dire « école » et le suffixe latin « cide » [de « caedere »], qui signifie « tuer ». Nabulsi l’a utilisé pour décrire la « destruction systématique par Israël de l’éducation palestinienne » et de la tradition de l’enseignement palestinien. Cette tradition, observait Nabulsi, tourne autour du « rôle et du pouvoir majeurs de l’éducation dans une société sous occupation », dans laquelle la liberté de pensée « pose des possibilités, ouvre des horizons », en contraste marqué avec le « le mur d’apartheid, les entraves des checkpoints et l’étranglement des prisons ». Reconnaissant « à quel point l’éducation est importante pour la tradition palestinienne et la révolution palestinienne », Nabulsi remarquait que les décideurs politiques coloniaux israéliens « ne pouvaient la supporter et devaient la détruire » (Ahmad & Vulliamy 2009).
Le sionisme est un mouvement de colonialisme de peuplement, exactement comme sa principale progéniture politique, l’État d’Israël. La logique du colonialisme de peuplement est d’affaiblir et, si possible, d’éliminer la communauté autochtone. Un moyen d’affaiblir une communauté autochtone est de juguler son développement intellectuel. Les attaques sionistes contre les institutions éducatives palestiniennes remontent à la création de l’État d’Israël en 1948. Au cours de la première guerre israélo-arabe, les établissements universitaires palestiniens et la plupart des institutions éducatives islamiques et chrétiennes, à l’intérieur de ce qui est plus tard devenu Israël, ont été détruites. Entre 1948 et 1967, le développement de l’enseignement supérieur a été suspendu dans toute la Palestine historique, et quand il a recommencé à évoluer à nouveau, il a été attaqué par les autorités israéliennes (Qumsiyeh & Banat 2024).
Israël s’est emparée de la Cisjordanie et de la Bande de Gaza pendant la guerre israélo-arabe de juin 1967 et a commencé peu après à y construire des colonies civiles — en claire violation de la Quatrième Convention de Genève. L’occupation militaire, qui était supposée être temporaire, en attente d’une résolution diplomatique du conflit, s’est transformée en une situation coloniale typique. La Bande de Gaza n’est pas arriérée et appauvrie à cause de conditions objectives mais parce que le vorace régime colonial d’Israël ne lui a donné aucune chance de s’épanouir. Le progrès économique a été entravé par une stratégie israélienne délibérée de « dé-développement », un concept clé créé par Sara Roy dans son livre pionnier « The Gaza Strip : The Political Economy of De-development » [La Bande de Gaza : l’économie politique du dé-développement]. Sa thèse puissante est que l’état catastrophique de la Bande de Gaza n’est pas le résultat de conditions objectives mais d’une politique israélienne délibérée de la maintenir sous-développée et dépendante. Le livre montre en détail les mesures variées par lesquelles Israël a systématiquement entravé la croissance de l’industrie dans la Bande de Gaza et a exploité l’enclave comme une source de travail bon marché pour ses propres produits (Roy 1995).
En 2005, quand la population de Gaza atteignait 1,4 million, une minorité minuscule de 8 000 colons juifs contrôlaient 25% du territoire, 40% des terres cultivables et la part du lion des rares ressources en eau. Cette année-là, un gouvernement israélien de droite dirigé par Ariel Sharon a effectué un retrait unilatéral de Gaza. Cette mesure a été présentée comme un geste généreux envers la population de Gaza, comme une opportunité de faire de leur enclave surpeuplée le Singapour du Moyen-Orient. En réalité, le retrait d’Israël a fait effectivement de la Bande de Gaza la plus grande prison à ciel ouvert du monde.
Bien qu’Israël ait retiré ses colons et ses soldats de Gaza, selon le droit international, il est demeuré la puissance occupante parce qu’il a continué à contrôler l’accès à l’enclave par terre, par mer et par air. En janvier 2006, le Hamas, mouvement de résistance islamique, a gagné la majorité absolue dans une élection libre et équitable qui a eu lieu dans toute la Palestine, dont Gaza, et a continué en vue de former un gouvernement. Israël a refusé de reconnaître ce gouvernement et a recouru à une série de mesures économiques, diplomatiques et militaires pour le saper. Les États-Unis et l’Union européenne ont refusé de reconnaître ce gouvernement palestinien démocratiquement élu et ont rejoint Israël dans une guerre économique pour le saper. C’était un exemple caractéristique de l’hypocrisie occidentale. Les dirigeants occidentaux proclament haut et fort leur dévotion pour la démocratie, mais quand le peuple vote pour le « mauvais » groupe de politiciens, ils refusent d’accepter le résultat. En mars 2007, le Hamas a formé un gouvernement d’unité nationale avec son rival, le Fatah, et a proposé à Israël des négociations pour une trêve de longue durée. Israël a refusé de négocier et a encouragé le Fatah à monter un coup d’État pour chasser le Hamas du pouvoir. En juin 2007, le Hamas a anticipé le coup et consolidé son contrôle sur la Bande de Gaza pendant qu’Israël resserrait son blocus de Gaza. Un blocus est une forme de punition collective qui est proscrit en droit international.
Le blocus illégal a été suivi par une série d’offensives militaires israéliennes contre Gaza. L’opération Plomb durci de décembre 2008 a été suivie par des offensives militaires en 2012, 2014, 2018, 2021, 2022 et 2023. Ces offensives militaires ou mini-guerres étaient dirigées contre le Hamas, mais parce qu’elles impliquaient invariablement le ciblage délibéré de civils, elles devraient être considérées comme des attaques contre la population de Gaza dans son ensemble (Shlaim 2019). Les généraux israéliens se réfèrent à ces incursions récurrentes comme à la « tonte du gazon », impliquant une action mécanique qui doit être répétée périodiquement, sans fin en vue. L’idée est d’attaquer Gaza à intervalles de quelques années avec des forces massives terrestres, maritimes et aériennes, pour dégrader la capacité militaire du Hamas, endommager l’infrastructure civile et se retirer sans chercher à régler les racines politiques du problème. Sous cette rubrique sinistre, la prochaine guerre est juste au coin de la rue (Rabbani 2014).
La guerre actuelle à Gaza a été provoquée par une attaque du Hamas le 7 octobre 2023 au festival de musique israélien Supernova, attaque au cours de laquelle 1195 Israéliens ont été tués (dont 815 civils) et 251 pris en otages, culminant dans le massacre le plus mortel de l’histoire israélienne. Des attaques précédentes avaient pris la forme de tirs de roquettes de l’aile militaire du Hamas, les Brigades Izz ad-Din al-Qassam, de l’intérieur de Gaza vers les colonies du sud de l’Israël. Cette attaque a inclus la démolition de la clôture entourant Gaza par le Hamas, d’autres groupes de résistance et des civils non affiliés, et une incursion sans précédent par terre et par parapente dans Israël. Initialement, les groupes palestiniens ont attaqué des bases militaires et ont tué environ 380 soldats et membres du personnel de sécurité. Plus tard est arrivée l’attaque sans discrimination contre des civils au cours de laquelle de sérieuses atrocités ont été commises. L’attaque contre les civils a été vertement et justement condamnée par la communauté internationale. Pourtant elle ne s’est pas produite dans le vide ; elle s’est produite dans le contexte de décennies d’occupation, de l’occupation militaire la plus longue et la plus brutale des temps modernes.
Israël revendique son droit à l’auto-défense. Selon les lois internationales, cependant, un État n’a pas le droit à l’auto-défense contre un peuple qu’il occupe. C’est le peuple qui vit sous occupation militaire qui a le droit de résister, y compris le droit à la résistance armée [1]. Quoi qu’il en soit, même si Israël avait droit à l’auto-défense, sa réponse à l’attaque du Hamas devait rester dans les limites établies par le droit international. La réponse d’Israël, Opération Épée de fer pour lui donner son nom officiel, ne s’est pas conformée au droit humanitaire international, et n’a certainement pas été proportionnée dans son exécution. Toutes les offensives militaires d’Israël précédentes ont entraîné la mort et la destruction pour la population de Gaza.
L’Opération Épée de fer a fait monter la mort et la destruction à un niveau entièrement nouveau et totalement injustifiable.
Pendant la première année de la guerre, l’armée israélienne a tué au moins 44 786 Palestiniens et en a blessé 106 188 [2]. Les femmes et les enfants représentent environ 70% des victimes, poussant certains commentateurs à appeler cette guerre une guerre contre les enfants. 25 000 enfants sont orphelins. Une nouvelle catégorie a été inventée — WCNSF pour Wounded Children No Surviving Relatives [Enfants blessés sans parent survivant]. Cette abréviation glaçante est devenue courante. Près de 80% des victimes adultes et enfants ont été tués dans des bâtiments résidentiels ou des hébergements similaires. Le chef des droits humains aux Nations Unies, Volker Türk, a dit dans une déclaration que « ce niveau sans précédent d’assassinats et de blessures de civils est une conséquence directe du non-respect des principes fondamentaux du droit humanitaire international. » Il a cité les lois de distinction, qui exige des parties en guerre de distinguer entre combattants et civils ; de proportionnalité, qui interdit des attaques où le dommage aux civils dépasse l’avantage militaire ; et le devoir de prendre des précautions dans les attaques (OHCHR 2024b).
Environ 80% des unités d’habitations et d’infrastructure civile de Gaza ont été détruites ou endommagées. Plus de 90% de la population de 2,3 millions de personnes a été déplacée, certaines personnes jusqu’à dix fois, et beaucoup d’entre eux ont été soumis à un bombardement aérien après avoir obéi à l’ordre d’évacuer. Le déplacement par force des civils est un crime de guerre, un crime de guerre que les Forces de défense israéliennes (FDI) commettent sur une base quotidienne. Les civils ont supporté le poids des attaques des FDI à Gaza. La guerre a provoqué des niveaux sans précédent de mort, de blessure, de famine, de maladies et de pathologies. Des familles entières ont été tuées dans des lieux d’abris, comme les écoles de l’UNRWA (United Nations Relief and Works Agency for Palestine Refugees in the Near East, Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient). Trente et un des trente-six hôpitaux ont été endommagés ou détruits par les tirs des FDI, réduisant de manière drastique leur capacité à soigner les malades et les blessés. Les gens ont été poussés au-delà du point de rupture et ont dû supporter des souffrances presque sans équivalent. Israël, avec le soutien de ses fournisseurs d’armement occidentaux, a rendu la Bande de Gaza inhabitable. La destruction n’est pas simplement « un dommage collatéral », mais un moyen délibéré d’atteindre un objectif plus large, à savoir le nettoyage ethnique des Palestiniens et l’effacement de l’identité palestinienne.
Le scholasticide est l’un des multiples crimes commis à Gaza par Israël à la poursuite de son plus large objectif. Elle comprend non seulement l’assassinat des éducateurs et la destruction des institutions d’éducation, mais aussi le fait d’infliger des dommages corporels et/ou mentaux aux étudiants, aux enseignants et aux membres du personnel affiliés ; l’interdiction des échanges universitaires, en particulier le refus des visas et des permis de résidence pour des universitaires cherchant des opportunités à l’étranger ; des formes d’intimidation variées conçues pour inhiber l’accès à l’éducation ; la restriction de ressources vitales, dont internet et l’électricité ; l’interruption des financements pour des objectifs éducatifs ; et le déni d’éducation aux prisonniers politiques ou aux détenus (Scholars Against War n. d.). Le scholasticide est ancré dans un réseau plus vaste de la destruction, qui inclut le domicide, la destruction des maisons résidentielles ; l’écocide, la destruction de l’écologie ; l’économicide, la destruction de l’économie ; le mémoricide (Masalha 2012, particulièrement ch.2), l’effacement des mémoires et des souvenirs d’événements passés ; et l’historicide, la destruction des cimetières et des sites anciens. Dans le cadre de la campagne contre la population de Gaza, Israël a poursuivi la destruction massive du système éducatif palestinien. C’est un crime de guerre selon l’Article 56 des Règlements de la Haye, qui interdit « toute saisie ou destruction ou dommage intentionnel causés aux institutions éducatives, charitables, culturelles et religieuses » (Amnesty International 2024). Les écoles et tous les autres établissements éducatifs sont en théorie protégés par le droit humanitaire international, mais ils n’ont pas été épargnés par les FDI. Dans les onze premiers mois de guerre, 85% des écoles (477 sur 564) ont été frappées ou endommagées, 396 bâtiments scolaires ayant été frappés directement et au moins 9 839 élèves et 411 enseignants et personnel administratif ayant été tués (reliefweb 2024). Après treize mois, l’UNICEF a rapporté que plus de 95% des écoles de Gaza avaient été partiellement ou complètement détruits, et que 87% exigeraient une reconstruction importante avant de pouvoir fonctionner à nouveau. En attendant, 658 000 enfants d’âge scolaire à Gaza ont été privés de toutes les activités d’apprentissage officiel. L’imagerie satellite a suggéré que les écoles sont maintenant utilisées pour des opérations militaires, dont la détention et les interrogatoires (Amnesty International 2024).
Quand la guerre a éclaté, Gaza avait onze universités en fonctionnement : l’université Al-Aqsa ; l’université Al-Azhar–Gaza ; l’Université ouverte Al-Quds ; l’université de Gaza ; l’université islamique de Gaza ; l’université Israa ; le Collège technique de Palestine ; le Collège universitaire de sciences appliquées ; l’Université de Palestine ; le Centre communautaire et de formation de Gaza ; et l’université Hassan. Chacune de ces institutions d’enseignement supérieur a été bombardée par les FDI ; quelques-unes ont été complètement détruites, d’autres ont été saisies comme bases militaires ou centres pour l’interrogatoire et la torture des détenus. Cette attaque barbare sur l’infrastructure de l’enseignement supérieur a laissé 88 000 étudiants incapables de continuer leurs études. En janvier 2024, après seulement quatre mois de guerre, Israël avait détruit la dernière université restant à Gaza : l’université Israa. Des experts des Nations Unies ont fait une déclaration dénonçant le scholasticide comme faisant partie d’ « un schéma systématique de violence visant à démanteler la fondation même de la société palestinienne » (OHCHR 2024a).
Le 18 avril 2024, au cours du septième mois de guerre, un groupe d’experts des Nations Unies a exprimé sa grave inquiétude concernant le schéma des attaques contre des écoles, des universités, des enseignants et des étudiants de la Bande de Gaza, s’alarmant sérieusement de la destruction systématique du système d’éducation palestinien. « Avec plus de 80% des écoles de Gaza endommagées ou détruites, il peut être raisonnable de se demander s’il y a une tentative intentionnelle de détruire complètement le système d’éducation palestinien, une action connue comme ‘scholasticide’ », ont dit les experts. « Les attaques persistantes, impitoyables contre l’infrastructure éducative à Gaza, ont un impact dévastateur à long terme sur les droits fondamentaux d’un peuple à apprendre et à s’exprimer librement, privant encore une autre génération de Palestiniens de leur avenir … Quand les écoles sont détruites, les espoirs et les rêves le sont aussi » (OHCHR 2024a).
Pour détruire les espoirs et les rêves, Israël a ciblé spécifiquement l’échelon le plus élevé des universitaires. Cela a été l’équivalent universitaire de la politique de longue durée d’Israël de décapiter le Hamas et le Hezbollah. Les morts incluent Prof. Sufian Tayeh, président de l’Université islamique de Gaza, détenteur de la chaire de l’UNESCO en astronomie, astrophysique et sciences spatiales ; Dr Ahmed Hamdi Abo Absa, doyen du département d’ingénierie logicielle de l’Université de Palestine (après trois jours d’emprisonnement), abattu et tué par les forces israéliennes alors qu’il quittait son bâtiment sur le campus ; et Muhammad Eid Shabir, ancien président de l’Université islamique de Gaza, virologue et immunologiste, assassiné par les forces militaires israéliennes (Qumsiyeh & Banat 2024). L’universitaire le plus connu ciblé dans la guerre actuelle a peut-être été Refaat Alareer, professeur de littérature comparée et d’écriture créative à l’Université islamique de Gaza. Poète renommé, avocat fervent de la libération palestinienne et enseignant très apprécié, il a été tué par les forces israéliennes en décembre 2023, dans une frappe aérienne apparemment ciblée (Euro-Med Human Rights Monitor 2023).
Les motifs d’Israël pour attaquer des écoles et des universités restent débattus. Israël affirme qu’il attaque des institutions éducatives parce qu’elles sont utilisées par le Hamas comme centres de commandement et de contrôle et que cela en fait des cibles militaires légitimes. Mais il n’a jamais fourni de preuves fiables pour étayer cette affirmation. Israël affirme aussi que le Hamas utilise régulièrement des civils comme boucliers humains, ce qui constitue un crime de guerre. Une partie de la justification pour cette allégation se trouve dans le fait que des responsables du Hamas ont poussé des civils dans quelques zones de Gaza à rester dans leurs maisons après des ordres israéliens d’évacuation. Cependant, les attaques israéliennes répétées sur les zones humanitaires « de sécurité » qui, comme le révèle l’analyse de BBC Verify, ont été frappées plus de 97 fois depuis mai, tuant 550 personnes, suggèrent un autre motif plausible (Garman & Irvine-Brown 2025). Dans tous les cas, Israël est encore obligé selon le droit international de protéger des civils, comme Amnesty International UK (2024) nous le rappelle dans leur récent « Questions-Réponses » sur Gaza. Il vaut la peine de mentionner qu’Israël n’a produit aucune preuve concluante que le Hamas utilise des boucliers humains. Au contraire, il y a beaucoup de preuves, de sources variées, y compris des sources israéliennes comme l’organisation non-gouvernementale Breaking the Silence [Briser le silence] (Tantesh et al. 2024) et le journal Haaretz (Kubovich & Hauser Tov 2024), ainsi que des images photographiques d’Al-Jazeera, que les FDI utilisent des civils palestiniens comme boucliers humains (Gordon 2024). L’observation des actions des FDI sur le terrain suggère qu’ils font partie intégrante d’une politique visant à l’oblitération systématique de l’éducation palestinienne par des arrestations, des emprisonnements ou des assassinats d’enseignants, d’étudiants et de membres du personnel administratif et par la destruction de l’entière infrastructure éducative.
Un autre fil de la politique d’Israël est l’attaque contre le système de santé palestinien : trente et un des trente-six hôpitaux de Gaza ont été soit détruits par les FDI soit endommagés assez gravement pour les rendre dysfonctionnels. Particulièrement sinistre est le ciblage des écoles médicales. Human Rights Watch a rapporté que les forces israéliennes ont arbitrairement détenu des travailleurs de santé palestiniens dans Gaza, les ont déportés dans des établissements de détention en Israël, et leur auraient fait subir des mauvais traitements. La détention des travailleurs de santé dans le contexte d’attaques répétées de l’arme israélienne contre des hôpitaux de Gaza a contribué à la dégradation catastrophique du système de soins dans le territoire assiégé. Des médecins, infirmiers et ambulanciers libérés ont décrit à Human Rights Watch leurs mauvais traitements dans les prisons israéliennes, les passages à tabac, les positions douloureuses contraintes, les menottes et bandeaux sur les yeux pendant une longue durée, et le déni de soins médicaux. Ils ont aussi rapporté des tortures, dont des viols et des mauvais traitements sexuels par les forces de défense israéliennes (Human Rights Watch 2024). Dr Adnan Al-Bursh, le chef du département d’orthopédie à l’hôpital al-Shifa de Gaza a été sévèrement torturé et, selon l’opinion de la Rapporteuse spéciale des Nations unies Francesca Albanese, « probablement violé à mort » (Speakman Cordall 2024). En bombardant des écoles médicales, Israël empêche une plus jeune génération de travailleurs de santé d’être formée pour prendre la place de ceux qui sont morts.
Le scholasticide est étroitement lié au génocide culturel qu’Israël commet aussi dans la Bande de Gaza. Le ministre des Affaires religieuses à Gaza a annoncé, le 6 octobre 2024, qu’Israël avait détruit 79% des mosquées pendant sa guerre contre les Palestiniens. L’armée israélienne a rasé 814 des 1245 mosquées de Gaza et sévèrement endommagé 148 autres pendant son bombardement intensifié (Middle East Eye 2024). La Grande Mosquée de Gaza, aussi connue sous le nom de Grande Mosquée Omari, la plus vaste et la plus ancienne mosquée de tout Gaza, a été détruite par une frappe aérienne israélienne.
Avec les mosquées, trois églises ont aussi été détruites et dix-neuf des soixante cimetières ont été délibérément ciblés, selon le ministère. De plus, 195 sites patrimoniaux, soixante pour cent des librairies et treize bibliothèques ont été endommagés ou détruits, dont les Archives centrales de Gaza, contenant 150 ans d’histoire. Parmi les autres cibles d’Israël ont figuré des maisons d’édition, des centres culturels, des musées, des maisons historiques et des sites archéologiques. L’assassinat ciblé d’intellectuels publics, en plus des monuments physiques eux-mêmes, n’a rien de nouveau. Il continue une politique de longue date du gouvernement israélien, celle d’éliminer les personnalités publiques associées avec l’OLP (Organisation de libération de la Palestine), comme le romancier Ghassan Kanafani in 1972 (TRTWorld 2024).
Le scholasticide n’est qu’un aspect de la tentative à multiples facettes d’Israël pour éradiquer l’identité palestinienne à Gaza. Israël est aussi allé sans doute jusqu’au crime des crimes – le génocide. Le génocide est intimement connecté avec le scholasticide. Raphael Lemkin, le spécialiste juridique juif polonais pionnier qui a créé le terme « génocide » et a joué un rôle clé dans son insertion dans le droit international, voyait le génocide comme un effort pour « saper la base fondamentale de l’ordre social ». Une clé de cet effort, selon Lemkin, est l’attaque contre les cultures des collectivités nationales, ethniques, raciales ou religieuses.
L’Institut Lemkin a commencé à alerter sur le potentiel de violence génocidaire par Israël après le début de la guerre, diffusant une déclaration qui identifiait et condamnait des atrocités commises soit par le Hamas soit par Israël. Le 27 octobre, l’Institut Lemkin a affirmé que « [Israël et les États-Unis] commettent un génocide à Gaza ». L’institut a aussi critiqué la couverture médiatique occidentale de la guerre en ce qu’elle « évite le contexte historique », « déplaçant la responsabilité » hors de l’État d’Israël, et « faisant en sorte que le public reste ignorant » du droit international pertinent (Lemkin Institute 2023).
La Convention sur la prévention et la punition du crime de génocide définit le génocide comme « un crime commis avec l’intention de détruire un groupe national, ethnique, racial ou religieux, en partie ou en totalité ». Quand on regarde le spectre entier des politiques suivies par Israël à Gaza depuis l’attaque du Hamas, il est difficile de résister à la conclusion qu’il est coupable de génocide.
Le scholasticide est un niveau de la campagne systématique d’Israël pour détruire les Palestiniens comme groupe national. Détruire les écoles et les universités n’est qu’un aspect, mais un aspect d’une importance cruciale, d’une politique délibérée pour détruire les institutions qui lient la société palestinienne ensemble.
Par ses propres actions à Gaza, Israël s’est relégué de plus en plus au statut d’un paria international. Le soutien inconditionnel occidental a permis à Israël de se tirer, littéralement, de meurtres. Les roues de la justice internationale broient lentement, mais elles ont commencé à bouger. Israël est actuellement en procès pour génocide à la Cour internationale de justice de La Haye. La Cour pénale internationale a émis des mandats d’arrêt pour crimes de guerre contre le Premier ministre Benjamin Netanyahou et son ancien ministre de la Défense, Yoav Gallant. Cela est immensément significatif au niveau symbolique, autant qu’au niveau pratique. Les dirigeants d’un pays qui a affirmé jadis être « une lumière parmi les nations » finissent comme fugitifs de la justice internationale.
Les scènes d’horreur qui sont diffusées en direct chaque jour de Gaza sont le point culminant d’un siècle de colonialisme de peuplement sioniste, qui est de manière inhérente violent et expansionniste, avec le but ultime de nettoyer ethniquement la population autochtone entière. Francesca Albanese, Rapporteuse spéciale des Nations Unies sur la situation des droits humains dans les Territoires palestiniens, a formulé ce lien avec une lumineuse clarté. Dans son rapport du 25 mars 2024 au Conseil des droits de l’homme des Nations Unies, « Anatomie d’un génocide », elle écrit : « Les actions d’Israël ont été poussées par une logique génocidaire essentielle à son projet de colonialisme de peuplement en Palestine, signalant une tragédie annoncée ». La tragédie pourrait finir par submerger ses propres auteurs. Les régimes coloniaux deviennent souvent particulièrement violents avant leur disparition. Les universitaires de Gaza ont été placés sous une pression sans précédent et insupportable par les forces d’occupation. Un groupe d’universitaires et d’administrateurs des universités de Gaza a diffusé l’appel à action qui suit :
« Nous sommes réunis en tant qu’universitaires palestiniens et membres du personnel des universités de Gaza pour affirmer notre existence, l’existence de nos collègues et de nos étudiants, et pour insister sur notre avenir, face à toutes les tentatives actuelles pour nous effacer. Les forces d’occupation israéliennes ont démoli nos bâtiments mais nos universités continuent à vivre. Nous réaffirmons notre détermination collective de rester dans notre pays et de reprendre l’enseignement, l’étude et la recherche à Gaza, dans nos universités palestiniennes, à la première occasion.
« Nous appelons nos amis et nos collègues du monde entier à résister à la campagne en cours de scholasticide en Palestine occupée, à travailler avec nous pour rebâtir nos universités démolies, et à refuser tous les plans cherchant à contourner, effacer ou affaiblir l’intégrité de nos institutions académiques. L’avenir de nos jeunes à Gaza dépend de nous et de notre capacité à rester dans notre pays pour continuer à servir les générations à venir de notre peuple … L’éducation n’est pas seulement un moyen de transmettre la connaissance ; elle est un pilier vital de notre existence et un phare d’espoir pour le peuple palestinien (British Society for Middle Eastern Studies 2024). »
Le monde académique britannique entendra-t-il leur appel ?
Avi Shlaim
Remerciements
L’auteur voudrait remercier Francesca Vawdrey pour son aide avec cet article.
Notes
[1] Le droit à la résistance est reconnu dans le droit international coutumier comme émanant du droit à l’auto-détermination, et cela se réflète dans beaucoup de résolutions des Nations Unies, dont la résolution de l’Assemblée générale 37/43, §2. Le droit des Palestiniens à la résistance est reconnu dans la décision des juges de la Cour internationale de justice : « Conséquences juridiques venant des politiques et des pratiques d’Israël dans le Territoire palestinien occupé, dont Jérusalem-Est, » Avis consultatif, 19 juillet 2024, Rapports de la CIJ 2024.
[2] https://www.ochaopt.org/content/reported-impact-snapshot-gaza-strip-10-december-2024
Ces chiffres représentent les morts confirmés et identifiés. Le nombre réel des victimes est probablement beaucoup plus grand. Une étude dans The Lancet estime que le nombre de victimes pourrait atteindre 186 000 (Khatib et al. 2024).
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